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    Café littéraire à la bibliothèque centre ville de Grenoble

    Par Catherine Pouyet, Directrice bibliothèques municipales de Grenoble
    Par Ervée Chassouant-Marce, Attaché principal, chargée des animations

    Grenoble est une ville connue pour son dynamisme culturel qui s'appuie sur la vitalité des institutions et sur un environnement associatif et universitaire particulièrement riche ; dans ce contexte le réseau des bibliothèques municipales s'est toujours efforcé d'être un des acteurs importants de la vie culturelle le plus souvent en partenariat, en multipliant les actions d'animations, et en les adaptant aux publics de ses 16 équipements répartis sur tout le territoire de la commune.

    Une certaine spécialisation s'est instaurée au fil du temps dans les différents équipements ; la situation dans la ville, la sociologie du quartier constituent autant de critères et conduisent les bibliothécaires à expérimenter des formules de plus en plus adaptées à leur public.

    Vignette de l'image.Illustration
    Plaisir du texte, Roland Barthes

    La bibliothèque centre ville occupe une place privilégiée dans ce réseau par sa localisation, en plein coeur urbain, à l'intersection des deux lignes de tramway dont l'une dessert le campus universitaire. Cet équipement de 1 200 m2réservé au public adolescents et adultes propose 50 000 livres et 9 000 CD, dispose d'une petite salle d'exposition ouvrant sur une vaste salle de presse et malgré son manque de surface et de fonctionnalité, connaît un gros succès auprès du public comme en témoignent ses résultats de 1994 - 9 000 emprunteurs, 302 739 prêts et une forte fréquentation quotidienne d'étudiants et de lycéens.

    Cette bibliothèque a toujours organisé des rencontres, des débats, des conférences, sur la littérature contemporaine et les problèmes de société, le plus souvent en collaboration avec des libraires. Deux à trois fois par mois la salle de presse était transformée en salle de conférence, moyennant force manipulation de sièges, mais le succès public était assuré, surtout lorsqu'il s'agissait d'invités prestigieux.

    L'arrivée en 1993 d'une nouvelle responsable, non-bibliothécaire mais ayant une longue expérience de l'action culturelle, a donné un second souffle aux activités d'animations. Il fallait avant tout simplifier l'utilisation de la salle, jouer plutôt sur la convivialité du lieu, pouvoir répondre aux très nombreuses sollicitations du milieu associatif, de l'université, d'artistes, à la recherche d'un lieu d'échange et d'expression en plein centre ville. L'idée du café littéraire s'est très vite imposée.

    Un certain nombre de conditions devaient être mises en oeuvre préalablement pour assurer le succès de ce projet. Si la localisation était idéale, il restait à modifier l'ambiance de cette salle équipée en mobilier traditionnel de bibliothèques. Chauffeuses usagées et tables en laminé blanc ont été remplacées par des guéridons en marbre et des chaises de bistrot. Un lampadaire, un portemanteau, une glace ont complété le décor. La Caisse d'Épargne des Alpes a sponsorisé l'opération à hauteur de 18 000 francs.

    Cette nouvelle ambiance convient parfaitement à la fonction salle de presse que garde cet espace en période d'ouverture normale au public. Des accrochages renouvelés périodiquement en font un lieu vivant où il est agréable de lire un quotidien, de feuilleter une revue, de faire une pause en venant s'approvisionner à la bibliothèque.

    En fin de journée, à 18 heures 30, le décor se précise, éclairages, instruments de musique, boissons parfois, viennent affirmer sa vocation. Auteurs, artistes, comédiens chargés des lectures, musiciens invitent le public installé librement autour des tables bistrot à découvrir une oeuvre, un genre littéraire à travers différentes formes d'expression. Le dialogue s'instaure entre les intervenants puis progressivement avec le public.

    Si la formule reste identique, chaque café littéraire est unique par les rencontres qu'il propose. Pour être plus concret, donnons quelques exemples de cette diversité rendue possible par les nombreux partenariats que nous entretenons sur la ville. Notre premier café littéraire s'est organisé autour d'un hommage à Arthur Rimbaud suite à un voyage d'écrivains et de plasticiens partis sur les traces du poète jusqu'au Yé-men, en passant par Chypre et l'Égypte, organisé par le CREARC (Centre création recherche et culture).

    Au cours de cette soirée les écrivains ont échangé leurs impressions de voyage, des comédiens nous ont lu des lettres d'Arthur et d'Isabelle Rimbaud écrites lors du séjour du poète en Abyssinie. Une plasticienne avait accroché sur les murs de la petite salle d'exposition adjacente des sculptures et des peintures particulièrement lumineuses réalisées au cours de ce voyage. Le récit et les lectures ont été ponctués par des pauses musicales arabes, andalouses avec luth et viole. La Caravane Rimbaud » nous a invité à un formidable voyage en buvant du thé et du carcadet venus d'Égypte.

    Fort de ce succès, nous avons enchaîné avec un autre café littéraire intitulé « Des pas dans la ville avec cette fois la complicité d'une troupe de théâtre, Les Inachevés », dirigée par Moïse Touré et avec la participation d'un éditeur, Paroles d'Aube, qui s'était engagé à publier une vingtaine de textes d'auteurs sur la ville dans sa revue Aube Magazine. Nous avions demandé à des professeurs de quatrième et de troisième de faire travailler leurs élèves en atelier d'écriture sur le thème de la poésie urbaine. Au cours de la soirée, auteurs et élèves ont présenté leurs textes avec le soutien de comédiens, sur un fond de chansons de rue et d'orgue de barbarie. Un aquarelliste, deux photographes et un sculpteur ont été également sollicités pour nous proposer leurs visions subjectives de la ville.

    Si les axes de programmation sont relativement précis - hommage à des auteurs : Arthur Rimbaud, Charles Ramuz, Jean-Marie Kôltès, Louis Calaferte, Henri Michaux..., débat sur des genres littéraires : la poésie, le roman et controverses sur la littérature : le roman n'a jamais disparu... - nous sommes souvent conduits à saisir des opportunités liées à l'actualité culturelle locale pour arrêter précisément cette programmation.

    Une bonne communication assurée par une annonce dans le journal mensuel des bibliothèques, Les Rendez-vous, tiré à 7 000 exemplaires, la diffusion de tracts ciblés sur le café littéraire et relayée par nos partenaires, nous permet de compter sur une fréquentation de 80 à 100 personnes par soirée. La fidélisation de ce public se précise de plus en plus, l'intérêt des rencontres, la convivialité du lieu et l'ambiance qui y règne y contribuant largement.

    La bibliothèque a ainsi placé le livre, la lecture et la littérature comme objets de rencontre et de débat au coeur de la ville, en retrouvant la liberté de ton et la convivialité du café.

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    Le don des morts : sur la littérature, Danièle Sallenave