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La lecture plaisir par la lecture à haute-voix

1995
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    La lecture plaisir par la lecture à haute-voix

    Par Corinne Brun, Institut de pédagogie musicale et chorégraphique

    Plusieurs bibliothèques ont expérimenté et poursuivent depuis trois ou quatre ans une série d'animations axées sur la lecture à haute voix par les enfants, dans le cadre d'ateliers-classes-lecture se déroulant au sein de la bibliothèque sur une durée de six à huit mois et mettant en synergie bibliothécaires, enseignants et intervenant extérieur.

    La volonté de faire face aux difficultés de lecture des enfants

    Ce projet, conçu par Yves de Williencourt, résulte d'une réflexion issue de ses expériences diverses : le théâtre et son enseignement à des enfants et à des adultes étrangers, un travail corporel et des expériences en entreprises à la suite d'une école de commerce jusqu'à la création d'une société de télématique.

    A l'origine de cette initiative d'animations sur la lecture à haute voix, il y a la volonté de faire face aux grandes difficultés de nombreux enfants face à la lecture et la rencontre de Hélène Hollebeke, conservateur de la bibliothèque de Sannois (Val-d'Oise) avec Yves de Williencourt. Passionnés par la transmission orale du texte, aujourd'hui assez oubliée, ils veulent avant tout faire partager le plaisir de la lecture.

    Plusieurs formes d'animations sont proposées, notamment :

    • ateliers-découverte. Pour les cours préparatoires, dans le but que l'apprentissage technique ne fasse barrage au plaisir de la lecture ;
    • ateliers-classes-lecture. Pour les cours moyens, afin que la lecture, en passe d'être maîtrisée, fasse vivre le livre ;
    • séances de lecture à haute voix et ateliers-lecture. Destinées au public de la bibliothèque et aux classes de quatrième, troisième et seconde, pour retrouver la chaleur de la tradition orale, faire (re)découvrir des textes à tous et offrir la lecture en cadeau, et éviter que les adolescents ne "décrochent ».

    Nous avons choisi de parler ici plus précisément des ateliers-classes-lecture pour leur action envisagée à long terme avec un travail en profondeur et un réel partenariat des trois corps professionnels bibliothécaire-enseignant-intervenant.

    Un désir accru de lecture, une manière différente de lire

    Une fois par mois en moyenne, des classes viennent à la bibliothèque pour une séance d'une heure et demie qui se déroule en trois étapes : une demiheure avec la classe entière pour une discussion à bâtons rompus sur la lecture, la bibliothèque, les possibilités de recevoir et/ou de faire passer ce qu'on lit, avec des extraits lus par l'intervenant. Puis une demi-heure par demi-groupes : pendant qu'un groupe voit avec le bibliothécaire comment on peut jouer à partir du livre, l'autre groupe est en atelier avec Yves de Williencourt. L'atelier commence par une mise en écoute, avec des techniques de respiration, de relaxation puis des exercices d'articulation, de placement de voix, suivis par la mise de ton qui va engendrer une meilleure compréhension du texte et une diversité d'expressions suivant l'intention que l'on voudra donner à une phrase.

    Ce travail entraîne peu à peu un déblocage psychologique avec une relation différente au texte et une émulation entre les enfants. Alors on ne constate pas seulement un désir accru de lecture mais aussi une manière de lire différente, avec une dédramatisation de la lecture. Un enseignant témoigne : « Maintenant ils mettent le ton, sinon les petits camarades leur disent : t'as pas mis le ton. »

    Le choix des textes revient aux enfants et le cadre donné lors de ces ateliers laisse la possibilité à des modulations apportées par le groupe. Hélène Hollebeke : " C'est un travail toujours en évolution, qui s'affine et s'improvise par rapport au vécu des enfants. »

    Yves de Williencourt a pour principe de laisser venir les choses tout en gardant la vigilance de l'oeil extérieur. S'il aime à répéter que tout vient d'eux, c'est que son projet résulte d'une réflexion qui tend plus à guider, à faire évoluer une action plutôt qu'à vendre une animation toute prête. C'est ce qu'on appelle la directivité cachée ! » dit un enseignant.

    La ponctuation de la série d'ateliersclasses-lecture en fin d'année par un défi-lecture gratifie l'enfant avec une manifestation spectaculaire, rassemblant plusieurs classes, avec des récompenses, des articles dans les journaux, la présence des élus locaux... Mais le véritable impact sur l'enfant pour son approche de la lecture aura été donné par la régularité et la durée des animations. L'enseignant assiste toujours aux ateliers, tout en restant assez extérieur à l'action, cela lui permet de voir l'enfant dans un cadre où il s'extériorise différemment. Certains enseignants déclarent intégrer dans leur propre pédagogie des techniques employées par Yves de Williencourt. Ils poursuivent ainsi au quotidien une approche différente de la lecture.

    A ce jour, quelque cent cinquante ateliers-classes-lecture ont été réalisés. Le projet lancé il y a quatre ans est donc bien rodé, et les équipes de bibliothécaires et d'enseignants bénéficient aujourd'hui des expériences passées de mise en place. Elles peuvent choisir néanmoins de moduler le projet et de s'investir dans une application personnalisée de l'action. Mais des équipes réduites pourront faire « rouler la série des animations sans charge de travail supplémentaire.

    Même si le recul n'est pas encore assez important pour pouvoir mesurer réellement l'apport de cette action, certaines constatations comme des réflexions d'enseignants ou d'enfants montrent l'impact de ces ateliers : un enseignant constate qu'un enfant inhibé parvient à s'exprimer oralement, qu'un autre arrive à prendre la distance nécessaire entre l'articulation et la compréhension du texte. Des paroles d'enfants comme « on nous apprend à apprendre des mots nouveaux" ou 'on a appris à faire le silence, à bien lire, à créer des jeux, à articuler... » sont autant de retours à l'intervenant sur le retentissement de son travail. L'évaluation de ces ateliers par les enseignants et le bouche à oreille dans l'école ont amené de nouvelles demandes.

    Le plaisir de partager la lecture avec les autres

    A Montmorency, cette série d'animation a lieu depuis trois ans, et l'intérêt des bibliothécaires est maintenu par le caractère évolutif des projets qui peuvent aussi être faits en liaison avec d'autres événements organisés au sein de l'école ou de la bibliothèque.

    A L'Isle-Adam, Andrée Arnaud, responsable de la bibliothèque, a choisi de tenter une expérience complémentaire aux ateliers-classes-lecture. Yves de Williencourt est chargé de mener sur l'année la cohérence de l'ensemble des animations. Parallèlement aux ateliers-lecture également mis en place ici sur l'année, les animations plus ponctuelles (expositions, jeux-concours...) s'inscrivent donc dans une réflexion globale. « Notre équipe intègre ainsi le travail de l'animateur et y participe. Yves est très impliqué dans la vie de la bibliothèque et en même temps, il apporte un autre souffle, extérieur au fonctionnement interne. L'ensemble des animations est très suivi par les enfants et tend à démontrer combien son rôle de conseil est efficace. »

    Le développement possible d'actions de ce type suppose des relais, qui peuvent être mis en place dans différentes structures. Récemment, un travail a été lancé avec des animateurs de centres aérés : des idées d'animations, avec une structure et un projet, données par Yves de Williencourt sont développées et mises en pratique par les animateurs avec les enfants sur une durée déterminée. Se développe ainsi une stratégie de « conseil en " prestations de service » proposées aux collectivités par journée ou demi-journée. Ces termes, peu employés dans le milieu des bibliothèques, expriment une réflexion sur des actions à long terme également peu courantes.

    Pour conclure sur les ateliers-classeslecture destinés aux enfants, nous avons choisi de poser deux questions aux deux responsables de bibliothèque qui ont accueilli cette action.

    Corinne Brun : Quelle est l'originalité du projet par rapport aux animations qui existent déjà autour de la lecture ?

    Hélène Hollebeke (responsable de la bibliothèque de Sannois) : En général, les défis-lecture se font dans le cadre de l'école ; celui-ci se fait dans le cadre de la bibliothèque et avec un nombre de classes plus important. D'autre part, les comédiens proposent souvent des animations sur la lecture à haute voix « clé en mains », ne faisant pas intervenir les enfants, alors que le projet d'Yves de Williencourt réintroduit dans l'action l'apport des enfants. Enfin, il y a la durée de cette série d'ateliers qui va bien au-delà d'une simple animation.

    Marie-Claude Nicolas (responsable de la bibliothèque de Montmorency) : La particularité de ce projet, c'est l'accent mis sur la lecture à haute voix, et sur le plaisir de partager cette lecture avec les autres.

    C. B. : Quelles sont les retombées de cette série d'ateliers sur les enseignants, les enfants, les bibliothécaires ?

    H. H. : Les enseignants ont découvert des approches ludiques de la lecture et des moyens pour obtenir l'écoute des enfants. Les enfants comprennent mieux ce qu'ils lisent. Quant aux bibliothécaires, elles ont acquis une position par rapport aux enseignants comme spécialistes de la lecture qui ont des choses originales à proposer. Les uns ont beaucoup appris des autres.

    M.-C. N. : Je ne peux pas répondre à la place des enseignants. En ce qui concerne les enfants, je pense qu'ils y trouvent beaucoup de plaisir, ce qui est difficile à quantifier mais transparaît vraiment dans leur attitude. Quant à la bibliothèque, l'ensemble du personnel doit participer et s'investir pour mener à bien le projet. L'équipe en retire une certaine cohésion et une motivation commune.

    Des ateliers-classes-lecture aux ateliers pour adolescents et... bibliothécaires

    Lancée à l'origine dans le Val-d'Oise, les ateliers-classes-lecture se développent maintenant ailleurs, par exemple à Montpellier, à la médiathèque de quartier Victor-Hugo et à la bibliothèque de quartier Jean-Paul-Sartre.

    A Choisy-Le-Roi (Val-de-Marne), les ateliers-lecture ont été mis en place cette année pour les adolescents, et d'autre part s'est déroulée une session de formation à la lecture à haute voix pour les bibliothécaires de la ville. Catherine Martel, responsable de la bibliothèque, nous donne les conclusions de cette action : « Les sections adulte et jeunesse sont éloignées de cinquante mètres et les deux équipes, jus-que-là très séparées, se sont retrouvées pour cette formation à la lecture à haute voix et pour un projet commun envers les adolescents. En deux sessions de quatre séances avec une douzaine de bibliothécaires chacune, puis avec deux séances collectives, cette formation a fait prendre conscience aux collègues de leurs possibilités ; un travail en profondeur a été mené, révélant des tempéraments, des attitudes. Yves de Williencourt met le groupe en valeur, tout en reconnaissant chaque personnalité. En ne heurtant jamais, il donne envie d'aller plus loin. Alors qu'une expérience précédente avec un comédien s'était assez mal passée, là, devant notre enthousiasme, des collègues qui avaient refusé a priori cette formation se sont ralliés au groupe ! Maintenant notre but est de mener ensemble un projet de lecture inter-génération, par exemple que les adolescents lisent pour les enfants. »

    Des actions diversifiées mais convergentes sont envisagées pour parvenir à « une ville en lecture » en 1997.

    A suivre...