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    Médiateurs du livre dans les quartiers

    Journée de réflexion ABF du 10 avril 1995

    Par Marie-Martine Tomitch, Bibliothèque interuniversitaire de Médecine, Paris

    En 1992, à l'initiative du ministère de la Culture et d'ATD Quart-Monde, un dispositif expérimental de formation de Médiateurs du livre a été mis en oeuvre. Cette formation s'est appuyée sur un stage sur le terrain dans des bibliothèques municipales.

    L'Association des bibliothécaires français, qui a été partenaire actif de l'opération « Médiateurs du livre dans les quartiers », par le volet formation élémentaire des médiateurs était particulièrement désireuse que les responsables des établissements d'accueil (ou leur collaborateur plus précisément chargé du suivi des médiateurs) puissent échanger leurs expériences et en tirer quelques enseignements et conclusions, du point de vue du bibliothécaire et du fonctionnement de la bibliothèque au quotidien. À cet effet l'Association des bibliothécaires français a organisé le 10 avril 1995 une journée de réflexion sur le thème : « Médiateurs du livre dans les quartiers ».

    Huit bibliothécaires ayant accueilli en 1992 et 1993 un stagiaire dans la fonction de médiateur du livre dans les quartiers, dans le cadre de l'opération nationale, ou ayant engagé a posteriori des médiateurs dans leur bibliothèque, ont participé à cette journée de réflexion : Marguerite Backes (Vaulx-en-Velin), Anne-Marie Bernard (Bordeaux), Patrick Boudol (Gre-noble), Christine Carrier (Amiens), Jocelyne Champeaux (Lille), Françoise Costil (Lyon), Joëlle Muller (Cité des sciences La Villette), Anne Vittori (Bezons). Claudine Belayche, Françoise Danset et Marie-Martine Tomitch représentaient l'Association des bibliothécaires français.

    Les échanges et débats ont porté sur cinq grands thèmes :

    • Quelles fonctions ou missions ont été réellement exercées par les médiateurs ?
    • Comment l'équipe de la bibliothèque a-t-elle participé avec les médiateurs à ces nouvelles actions ?
    • Qu'apporte l'intégration d'un médiateur dans l'effectif de la bibliothèque par rapport au travail en partenariat associatif?
    • Peut-on évaluer le résultat sur les publics, les enfants et les familles ?
    • Comment préparer l'accueil d'un médiateur au sein d'une bibliothèque ?

    Missions exercées pendant la formation

    Selon les établissements d'accueil mais aussi selon la personnalité, les dispositions et l'expérience des médiateurs, les fonctions exercées au sein des bibliothèques ont varié.

    Toutefois, afin que les médiateurs découvrent la bibliothèque et s'intègrent progressivement au sein de l'équipe ils ont toujours été dès le départ associés à la chaîne du traitement du livre. Ainsi ont-ils, pour la plupart, participé aux tâches techniques courantes. Ils ont vérifié des commandes, équipé et réparé des livres, rangé des documents, ils ont fait un peu de catalogage, participé au classement et au prêt. Ils ont par ailleurs été associés aux réunions de choix de livres, ce qui leur a permis de mieux connaître les livres et le monde de l'édition.

    Mais l'objectif de la formation des médiateurs et de leur stage pratique était de : « favoriser, au sein des institutions culturelles, une démarche d'ouverture en direction des publics les moins préparés à en être les usagers [...] développer, avec les milieux les plus exclus, des pratiques susceptibles de leur permettre une expression culturelle et l'accès aux institutions culturelles Faire le pont entre deux univers : les bibliothèques de lecture publique et les milieux défavorisés telle était en définitive la mission des médiateurs. Aussi la fonction accueil, l'aspect relationnel à l'extérieur ont été privilégiés et sont restés au coeur de leur action. Dans la bibliothèque ils ont été initiés à l'accueil des lecteurs, des groupes et des classes d'enfants, dans la rue ils ont pris part à des animations spécifiques : présentations ou lectures de livres, sensibilisation à la lecture. Après une période d'observation certains d'entre eux ont été capables de créer seuls des animations spécifiques : atelier d'écriture à l'extérieur de la bibliothèque avec des enfants, colportage à domicile dans les familles défavorisées, action « bibliothèque de rue et petite enfance » au site de caravanes, interventions en PMI, en crèche, ou à l'intérieur de la bibliothèque notamment auprès des enfants et de jeunes en difficulté et/ou avec des comportements difficiles.

    Généralement l'équipe de la bibliothèque, lieu d'accueil et de formation du médiateur, avait déjà à son actif un certain nombre d'actions, dans ou hors la bibliothèque, en direction de la petite enfance, des écoles et des publics défavorisés. En effet, de plus en plus, les bibliothécaires font de la médiation culturelle et reçoivent des publics diversifiés, notamment dans le cadre de DSU (Développement social urbain) ou de DSQ (Développement social des quartiers). Et si cette fonction sociale se développe aujourd'hui il a été rappelé qu'elle a toujours existé notamment dans les quartiers difficiles. Le médiateur n'a donc pas été seul à s'occuper des personnes défavorisées. Et dans tous les cas les bibliothécaires ont jugé essentiel que le médiateur fasse partie intégrante de l'équipe et apparaisse comme tel. Il a paru aussi primordial que les bibliothécaires s'impliquent ou continuent de s'impliquer à l'extérieur puisque le médiateur était intégré au sein de l'équipe y compris dans les tâches techniques. Passerelle entre la bibliothèque municipale et les populations défavorisées, soulignons aussi que l'action des médiateurs a souvent permis à la bibliothèque de nouer ou de consolider des liens de partenariat avec le milieu associatif alors que les bibliothécaires, traditionnellement, travaillaient essentiellement avec l'Éducation nationale.

    Quel résultat sur les publics, les enfants et les familles ?

    La bibliothèque arrive toujours à toucher les enfants qui s'y rendent avec leur école. Toutefois, certaines populations d'enfants non scolarisés n'y ont pas accès ; les enfants de gitans vivant dans des caravanes par exemple. Dans ce cas la bibliothèque de rue animée par le médiateur dans des lieux excentrés a permis d'avoir une action spécifique en direction de ces enfants. Par ailleurs le colportage à domicile dans les familles s'avère souvent très difficile car les agents de la bibliothèque sont pris pour des travailleurs sociaux, or les familles ont peur des travailleurs sociaux qu'elles ne veulent pas laisser entrer. Aussi l'intervention d'un médiateur a souvent facilité le contact avec ces familles de milieux défavorisés car il semblerait que son expérience sociale facilite ce contact. Ainsi au niveau de la fréquentation des enfants l'action des médiateurs du livre semble avoir porté ses fruits. Un énorme travail de fourmi a pu aussi être parfois réalisé en direction de familles qui fréquentaient la bibliothèque de rue, qui ont fréquenté le bibliobus et qui finalement se sont inscrites à la bibliothèque. Notons aussi qu'un travail de socialisation des familles a été accompli notamment par rapport aux livres perdus ou détériorés. Face à une logique purement administrative la présence du médiateur du livre a souvent permis de régler de nombreux problèmes tout en évitant l'exclusion de la bibliothèque.

    Réciproquement l'accompagnement des tuteurs professionnels semble avoir beaucoup aidé les médiateurs dans leur action. Ainsi, par exemple, avec l'aide des bibliothécaires ils ont acquis une bonne connaissance des livres et des nouveautés, et ont donc amélioré leur choix de livres pour la bibliothèque de rue et le colportage dans les familles.

    Bilan et prospective

    Cette expérience a demandé beaucoup d'investissement aux agents des bibliothèques qui n'étaient pas du tout préparés à l'accueil d'un tel profil. Par rapport à l'investissement total, le bilan d'insertion professionnelle de ces jeunes est tout à fait choquant : seulement la moitié sont insérés et ce sur des contrats précaires. Aussi, s'il n'y a pas en amont une volonté réelle d'embauche, cette formation semble vaine. En conséquence il semblerait préférable qu'à l'avenir la formation des médiateurs s'inscrive dans une politique culturelle locale : plan lecture, contrat de ville. De même la reconduction d'une opération de ce type semblerait plus réaliste si elle se faisait au niveau régional. Cela permettrait de mettre en oeuvre un dispositif pour promouvoir la lecture tout en répondant aux particularismes locaux.

    Les médiateurs ont besoin d'une formation spécifique. La formation élémentaire ABF qui leur a été dispensée a du être adaptée mais cela a été parfois difficile. De plus, la semaine de formation à Paris semble avoir été souvent mal vécue psychologiquement par les élèves. Toutefois ceux-ci ont fait des mémoires excellents ce qui démontre une assez grande maturité.

    Enfin, cette expérience assez exceptionnelle, très positive et peut-être unique a été aussi l'occasion, a-t-il été souligné, de réfléchir à l'action des bibliothèques dans les quartiers difficiles. Les bibliothèques doivent évoluer et s'adapter afin d'accueillir des personnes confrontées à des situations de misère et d'échec et qui craignent de franchir les portes de la bibliothèque. À cette fin le personnel de la bibliothèque doit être présent à l'intérieur mais aussi à l'extérieur de la bibliothèque. L'établissement doit offrir plus de souplesse et instaurer des rapports plus personnalisés avec les publics en difficulté. Dans ce sens la démarche des bibliothèques de Lyon et de Bezons qui, se basant sur l'expérience ABF-ATD, ont engagé des médiateurs du livre sur des profils très précis est tout à fait novatrice et intéressante.

    Ainsi une nouvelle fonction impliquant un travail social fort est aujourd'hui en train de voir le jour. Elle met en évidence une carence dans la formation des professionnels de bibliothèques : la sensibilisation aux problèmes des publics défavorisés devrait dorénavant être intégrée dans les différents cursus de formation (ENSSIB, IFB, CNFPT,...).

    Les bibliothèques de lecture publique comme tout équipement culturel doivent s'intégrer dans la vie de la cité tout en trouvant de nouveaux modes de fonctionnement. À cet égard le partenariat ne peut que les aider à continuer d'aller de l'avant.

    Note : les expériences des bibliothèques de Bordeaux, Bezons et Lyon feront l'objet d'un article dans le numéro 170 du Bulletin de l'ABF : « Médiathèques et médiations ».