J'entends quec'est pour ainsi dire la première fois qu'un ministre de la Culture ouvre le congrès annuel de l'Association des bibliothécaires français, la plus importante de vos associations professionnelles, puisqu'elle regroupe plus de 3 500 adhérents. Je tiens à vous dire que je tenais absolument à être parmi vous. D'abord pour fêter avec vous le 90e anniversaire de votre association.
Ensuite, parce que l'élu local, l'élu de province que je suis sait tout le rôle que joue un bibliothécaire dans une ville, dans un département.
Il sait que nos 2 500 bibliothèques publiques et nos 20 000 libraires constituent le maillage culturel le plus dense du territoire. Si l'on considère que les bibliothèques publiques comptent plus de six millions d'inscrits, dont 40 % de jeunes de moins de 14 ans, on conçoit sans peine que l'utilité sociale de ce réseau est tout simplement sans équivalent.
Vous êtes présents partout, dans les plus grandes et les plus petites villes, dans les zones rurales, dans les banlieues. Vous travaillez auprès des publics les plus variés. Vous savez adapter vos métiers aux situations et aux attentes les plus différentes. Cela fait de vous des acteurs culturels essentiels.
Alors, quand je vous sais rassemblés par centaines pour réfléchir sur votre travail et sur vos perspectives d'action, comment ne viendrais-je pas m'associer à cette réflexion ?
Enfin, il m'a semblé que le thème de votre congrès - « Bibliothèques : de la plus grande à la plus petite » - me concernait particulièrement en tant que ministre de la Culture. Ce que je veux en effet comme ministre de la Culture, c'est réunir les conditions pour que continuent de se réaliser en France des bibliothèques adaptées à la diversité des besoins et des moyens, adaptées aux différents publics et aux différents lieux.
Mais je veux en même temps que cette diversité forme un tout, qu'à travers un réseau de réseaux, la plus petite bibliothèque de France - par exemple, le plus petit des « relais-livres en campagne » soit reliée à la plus grande et que dans tous les établissements, qu'il s'agisse des qualifications, des collections ou de l'accueil des publics, on retrouve la même exigence de qualité, la même rigueur dans l'accomplissement des missions.
Dans la mesure où il poursuit avec vous cet objectif, l'État partage avec vous au moins quatre grandes responsabilités, qui fonde son action - mon action - en direction des bibliothèques :
» De la plus grande à la plus petite ", dites-vous. Je crois que nous nous trouvons ici dans la plus grande, c'est-à-dire la Bibliothèque nationale de France.
Elle nous accueille aujourd'hui dans le bâtiment de Tolbiac, qui forme, avec les magnifiques locaux de la rue de Richelieu, un de ses deux principaux sites. Nous sommes dans la salle d'exposition du haut-de-jardin qui ouvrira à tous les publics à la fin de l'année 1996.
C'est notre bibliothèque, c'est votre bibliothèque. Pour la construire, la collectivité nationale a consenti un effort financier considérable. Il faut maintenant faire fonctionner cet équipement au bénéfice de toute la collectivité, qui en attend des services éminents sur tout le territoire.
Je sais la valeur des personnels de la BNF, le courage et la motivation de ses équipes. Je salue les uns et les autres et je leur dis à quel point je compte sur eux.
Utile à toute la collectivité, la Bibliothèque nationale de France doit l'être notamment en se faisant l'outil puissant de la politique d'aménagement culturel que je veux mener.
Installée à Paris, ce qui est normal, la Bibliothèque nationale de France doit jouer tout son rôle dans la politique de rééquilibrage en faveur de la province dont j'ai fait une de mes priorités. Cela passe précisément par une politique de réseaux que je veux résolue, intensifiée et diversifiée.
Monsieur le Directeur du livre et de la lecture et Monsieur le Président de la BNF, je vous demande devant les congressistes de l'ABF, d'accentuer encore la politique de réseau de la BNF. Elle doit naturellement passer par la réalisation du Catalogue collectif de France et par le partage des acquisitions. Mais elle doit aussi s'ouvrir résolument à d'autres types de coopération : soutien à la production de microformes, à la numérisation de collections locales ; coopération non seulement dans le domaine des collections imprimées, mais aussi dans le domaine des autres supports et richesses des bibliothèques. La publication de la collection Patrimoine des bibliothèques de France, à laquelle nombre d'entre vous ont participé, a bien montré qu'à la diversité des fonds de la BNF - imprimés mais aussi estampes, cartes et plans, manuscrits, monnaies et médailles - répond la diversité des fonds des bibliothèques territoriales.
Je souhaite donc que la politique de réseau implique pleinement les départements spécialisés de la rue de Richelieu. Je souhaite également que le réseau tissé grâce à la BNF s'inscrive pleinement dans la politique de réseau qui est celle de l'État, et qui passe par les bibliothèques municipales à vocation régionale et par les bibliothèques dépositaires du " dépôt légal d'imprimeur ».
Vous savez que la réforme de dépôt légal d'imprimeur est en cours. Elle vise notamment à calquer les circonscriptions de ce dépôt légal sur les régions administratives. Je crois nécessaire qu'à l'occasion de cette réforme, l'aide de la BNF aux collectivités assurant la mission nationale du dépôt légal d'imprimeur soit augmentée. J'insiste en outre pour que les bibliothèques affectataires de ce dépôt, qui sont les plus anciens partenaires de la BNF, voient reconnu leur rôle privilégié dans son réseau.
D'ores et déjà, j'ai décidé que la BNF attribuera à chaque bibliothèque dépositaire du dépôt légal d'imprimeur un exemplaire du dépôt légal d'éditeur des livres édités dans leur région.
Ainsi se développeront des fonds représentatifs de la vitalité de nos éditions régionales et se constitueront de véritables bibliographies régionales.
Construire le réseau, voilà donc la première responsabilité que je voulais évoquer. Enrichir et valoriser le patrimoine sur tout le territoire, est une deuxième responsabilité. Nous avons la chance en France de disposer de fonds exceptionnels répartis dans de très nombreuses bibliothèques du territoire, y compris parfois dans des établissements de taille modeste.
Vous savez le rôle que jouent les Fonds régionaux d'acquisition des bibliothèques, les FRAB, dont l'objet est de mobiliser de la part des régions l'équivalent de ce que l'État investit pour aider les communes à compléter, par des acquisitions judicieuses, les fonds de livres anciens de leur bibliothèque. Tout me laisse espérer que deux nouveaux FRAB pourront être créés très prochainement, venant s'ajouter à la dizaine de FRAB actuellement en fonctionnement.
En outre, je pense que la réussite des FRAB doit nous encourager à étendre leur compétence aux opérations de restauration. Je sais que cette idée est très sérieusement à l'étude dans la région Centre. Je soutiens ce projet et je soutiendrai l'extension de cette expérience.
Mais le patrimoine, c'est aussi aujourd'hui une floraison d'initiatives en matière de numérisation des collections existantes, dont l'enjeu est, vous le savez, essentiel aussi bien en terme de protection des documents les plus rares, que de valorisation et de diffusion auprès du plus large public. L'État accompagnera et soutiendra ces actions.
Développer la lecture et toucher tous les publics, conquérir les publics éloignés du livre est une troisième responsabilité. Je sais à quel point je rejoins vos préoccupations et votre action lorsque je souligne cette priorité. J'ai eu l'occasion de l'affirmer lors du premier forum de l'écrit qui s'est tenu la semaine dernière : pas de démocratie sans écrit, pas de citoyenneté sans maîtrise de l'écrit.
Mais pour que chacun ait accès à l'écrit, il faut que l'écrit puisse être présent partout, puisse être proposé à chacun.
J'ai ainsi souhaité aussi qu'une attention toute particulière soit portée à la lecture à l'hôpital, parce que la lecture y devient un véritable lien avec la vie et un moyen de lutter contre la maladie. J'ai encore pu le constater, ces derniers jours, en rendant visite à des patients atteints du sida et je sais que vous vous mobilisez particulièrement pour prendre en charge toutes les personnes touchées par ce fléau. Dès cette année, la part de subventions que consacre le Centre national du livre au développement des fonds dans les hôpitaux a été triplée, et j'ai saisi mon collègue Hervé Gaymard, secrétaire d'État à la Santé, d'un projet de circulaire conjointe qui sera adressée dans les prochaines semaines à la fois aux DRAC, aux établissements hospitaliers et aux directions de l'action sanitaire et sociale. Cette circulaire, entre autres, insistera sur la nécessité de s'appuyer sur un partenariat avec les bibliothèques publiques et de confier, autant que faire se peut, ces antennes hospitalières à de véritables professionnels des bibliothèques.
S'agissant des malvoyants, une convention est en voie d'être signée entre la Bibliothèque publique d'information du Centre Pompidou et l'institut national des jeunes aveugles (INJA) afin de prendre le relais de la base bibliographique assurée jusqu'à l'an dernier par l'agence interministérielle AGATE, et compléter ainsi le recensement et la localisation des ouvrages en gros caractères et des services spécifiques offerts dans les différentes bibliothèques du territoire. Mais j'ai également demandé à toutes les directions régionales des affaires culturelles de mettre en place, à l'occasion du Temps des livres 1996, des actions significatives en faveur des malvoyants.
Je sais l'enjeu que représente la lecture des jeunes, pour les professionnels de la lecture publique que vous êtes. Je voudrais insister sur deux initiatives prises ces derniers temps en application du plan d'octobre dernier. D'une part, dès la prochaine rentrée scolaire seront créées, en relation avec le ministère de l'Éducation nationale, les premières classes pilotes « lecture et découverte du livre ».
L'idée est de sensibiliser et de familiariser des jeunes, durant au moins une année scolaire, à l'univers du livre, depuis son écriture et sa fabrication jusqu'à sa diffusion, et de les initier à la production littéraire contemporaine. Ces classes reposeront sur un partenariat entre un établissement scolaire, une bibliothèque et une librairie. Les DRAC et les rectorats ont été saisis sur ce point au mois d'avril et les premiers projets seront tout prochainement sélectionnés.
Par ailleurs, je souhaite vous annoncer la création effective au sein de la BNF, et dès son ouverture, d'un Centre national du livre et des littératures de jeunesse, qui regroupera les services et les collections de l'actuelle Joie par les livres, jusqu'à présent rattachée à l'institut national de recherche pédagogique. Ce centre offrira aux professionnels du livre de jeunesse et de la lecture publique ainsi qu'aux chercheurs et aux universitaires un outil de documentation, de recherche, de formation et d'animation comparable à ceux dont disposent de grandes bibliothèques étrangères (américaines et japonaises notamment).
Quant à l'actuelle bibliothèque de la Joie par les livres, à Clamart, que beaucoup d'entre vous connaissent, elle verra confirmer sa vocation d'expérimentation et d'application professionnelle.
Enfin, pour pouvoir toucher les publics les plus éloignés du livre et de la lecture, j'ai décidé de généraliser l'expérience des médiateurs du livre, que vous connaissez bien.
Vous savez que cette expérience, lancée avec ATD-Quart-Monde, consiste à permettre à des jeunes qui se sont formés par le livre, qui se sont sauvés de l'exclusion par le livre, de jouer le rôle de médiateurs entre la bibliothèque et les jeunes menacés d'exclusion.
J'ai diffusé aux préfets de région et aux préfets de département une circulaire leur demandant de s'impliquer totalement à vos côtés dans le programme médiateurs du livre », et j'ai obtenu l'accord du Premier ministre, Alain Juppé, pour que des recrutements de médiateurs du livre puissent se faire sur les emplois de ville créés en application de la loi du 6 mai 1996, dont le décret d'application vient de paraître.
J'aimerais qu'avec le ministère, vous fassiez du Temps des livres, en octobre, le moment privilégié pour mettre en valeur toutes les initiatives que vous prenez pour favoriser le développement de la lecture. C'est pourquoi j'ai placé le Temps des livres 1996 sous le signe de l'imagination, c'est-à-dire de l'innovation au service de la lecture. Je crois que lorsque le public ne vient pas au livre, le livre doit venir à lui.
Le Temps des livres sera donc pour le ministère l'occasion de promouvoir et de soutenir toutes les actions qui vont dans ce sens, et notamment les opérations de librairies et de bibliothèques « Hors-les-murs
J'en viens à la quatrième responsabilité. Celle qui s'exerce à l'égard des professionnels des bibliothèques.
Aucune des actions que je viens d'évoquer, qu'il s'agisse du développement de la lecture, de la mise en valeur du patrimoine ou de la constitution d'un réseau dense et articulé de bibliothèques, n'est possible sans les professionnels que vous êtes, sans que vous soyez partout présents et investis de responsabilités claires. Il faut que soient notamment levés les obstacles qui pourraient dissuader les collectivités locales de procéder aux recrutements nécessaires. J'ai pris ces derniers temps deux initiatives en ce sens. D'une part je tiens à ce que les communes les plus modestes, notamment celles situées en milieu rural, se voient ouvrir prochainement la possibilité de recruter des professionnels qualifiés des bibliothèques sur des emplois à temps non complet.
Jusqu'à présent, vous le savez, les communes ne pouvaient le faire que pour des personnels de catégories C (agents ou agents qualifiés du patrimoine) ; elles pourront désormais recruter à temps partagé des fonctionnaires de catégories B (assistants et assistants qualifiés du patrimoine) et A (bibliothécaires). Le décret que j'ai soumis ces jours-ci à la signature interministérielle, permettra non seulement de faciliter l'action des communes qui souhaitent développer une politique en faveur de la lecture, mais aussi de contribuer, par un possible partage d'emplois entre plusieurs communes, à faciliter des dynamiques intercommunales.
D'autre part sera publié à la rentrée le nouvel arrêté fixant le nombre des conservateurs territoriaux que les collectivités locales sont autorisées à recruter.
L'impératif pour l'État est double : il faut à la fois se garder de multiplier inconsidérément des recrutements qui provoqueraient immanquablement un affaissement de la qualification professionnelle du corps, mais se garder aussi d'adopter une quelconque attitude malthusienne. L'arrêté, qui repose sur les propositions que nous ont faites les collectivités - et donc sur une volonté politique affichée de leur part -, marquera sur l'ensemble du territoire une augmentation de 40% du nombre de conservateurs territoriaux susceptible d'être recrutés.
Les grandes responsabilités que je viens d'évoquer, l'État les partage avec vous et c'est grâce à vous, à votre profession, à vos métiers et à vos bibliothèques qu'il les met en oeuvre. Il a donc le devoir d'inscrire dans le droit les relations qui l'unissent à vous. C'est le sens de la loi sur les bibliothèques dont le Gouvernement a adopté le principe en octobre dernier, lorsque j'ai présenté mon plan pour le livre et la lecture.
Je sais à quel point l'ABF est attachée au principe d'une telle loi. Je souhaite qu'elle puisse être examinée par le Parlement en 1997. Une concertation interministérielle s'engagera donc dès l'été. Naturellement, elle se doublera d'une concertation avec les professionnels des bibliothèques, qui associera étroitement l'ABF. Je souhaite que cette loi vise particulièrement les objectifs suivants :
À cet égard je veux évoquer l'éviction des conservateurs dirigeant les BDP de deux départements, le Lot et les Hautes-Pyré-nées, mon propre département. J'ai toutes raisons de m'interroger sur le bien-fondé de l'affectation dans ces deux départements d'un agent administratif à la tête de la BDP, alors que s'est mise en place en 1991 la filière culturelle territoriale, strictement homologue de la fonction publique d'État, et que la qualification professionnelle, incontestable, des conservateurs territoriaux leur donne vocation à diriger les établissements de lecture publique. Je ne saurais d'autre part oublier que les textes qui organisent le contrôle technique de l'État sur les bibliothèques territoriales précisent sans ambiguïté que ce contrôle porte aussi sur la qualification technique des personnels et notamment sur le niveau de qualification du directeur.
Aussi, dans les deux cas, je tiens à vous assurer de mon plein soutien dans les recours qu'ont intentés les professionnels devant le juge administratif, et à vous annoncer qu'une mission d'inspection générale devra évaluer le fonctionnement actuel de ces BDP et les actions qu'elles mènent en faveur de la lecture publique.
Enfin cette loi devra fonder en droit les principes auxquels la bibliothèque doit obéir en tant que service public : continuité, égalité d'accès, neutralité. Vous savez que j'ai demandé à Monsieur Denis Pallier, doyen de l'Inspection générale des bibliothèques, d'inspecter la bibliothèque d'Orange que sa directrice a récemment quittée. La nouvelle municipalité Front national fait planer quelques doutes sur sa volonté de respecter quelques principes de base comme la pluralité des collections et la qualification professionnelle des équipes. En l'état actuel des choses et au vu du premier rapport remis au Directeur du livre et de la lecture par Monsieur Pallier, il est clair que l'État ne versera la seconde tranche de la subvention pour la construction de la future médiathèque, que lorsqu'il aura reçu sur ces points les assurances nécessaires.
Je n'admettrai aucune remise en cause des principes de service public qui fondent l'accomplissement de vos missions. Vous avez en moi un soutien sans faille. Je tenais à être présent parmi vous aujourd'hui pour vous le dire.