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    Jean Favier

    Par Jean Favier, Président Bibliothèque nationale de France

    Je serais relativement bref car beaucoup de choses ont déjà été dites par le Ministre et il n'est pas nécessaire que je les répète. Lorsque nous faisons des projets nous avons parfois le sentiment qu'ils sont aux limites de nos possibilités budgétaires mais j'aimerais simplement vous rappeler cette vérité profonde de tout gouvernement, que l'on gouverne la plus petite ou la plus grande des bibliothèques : ce n'est pas en diminuant ses ambitions qu'on augmente ses moyens. C'est au contraire en obligeant celles et ceux dont dépendent nos moyens à constater les difficultés que nous créent les limites budgétaires que nous pouvons obtenir des moyens convenables. On ne peut pas toujours tout faire le même jour mais ce n'est certainement pas en décidant que les choses étaient bien hier et qu'on va s'en tenir au format d'hier qu'on obtiendra les moyens d'assumer ce qui est notre tâche dans le monde de demain. Un jour le Maire de Paris, aujourd'hui président de la République, se plaignait à moi de ce qu'un de ses collaborateurs lui demandait toujours de l'argent. Monsieur Chirac me dit: Il est insupportable Untel, dès qu'il me voit il me demande de l'argent. » Je lui dis : « le jour où il ne vous en demandera plus, mettez le à la porte, car cela prouvera qu'il n'a plus d'idée. » Je crois que c'est vrai, de la plus grande à la plus petite en passant par la moyenne.

    Je voudrais d'abord dire combien je suis heureux de ce premier congrès dans notre établissement, dans ce bâtiment qui représente pour nous un grand espoir, une grande ambition, de grands moyens. À celles et ceux qui se plaindraient illégitimement que nous n'ayons pas encore l'assurance du budget de 1997 ou celui de 1998, je rappellerais que si l'on avait attendu d'avoir l'assurance de construire un certain nombre de nos équipements actuels on ne les aurait jamais entrepris. Je suis heureux de vous accueillir ici car grâce à vous cette maison est déjà vivante. Chaque fois que nous le pouvons nous essayons de faire partager à nos contemporains ce coup d'ceil de l'intérieur que rien ne saurait remplacer du point de vue architectural comme du point de vue fonctionnel. Nous sommes ici, mes collaborateurs et moi-même, pour répondre aux questions que les professionnels que vous êtes ont le droit de se poser. Si vous vous demandez comment ceci peut être un jour une salle d'exposition je vous dirais que les vitrines qu'on a reculées pour vous faire place sont montées sur vérins et qu'il suffit de remonter les vérins pour les bouger et il suffit de deux hommes pour les manipuler. On peut répondre à des questions très pratiques et des questions moins pratiques et c'est à celles-ci que je vais m'employer à répondre par avance.

    Les principaux chantiers

    Le système informatique

    Actuellement quelques grandes opérations sont en cours, sont en train de s'achever. D'une part le système informatique dont vous savez qu'il est notre préoccupation la plus « vrillante », je n'ai pas dit « brillante j'ai voulu dire que parfois elle nous vrille le cerveau. Nous allons nous trouver à la tête d'un système tel que nous ne pouvions copier personne d'autre puisque chacun a sa spécificité, ceux qui sont au même niveau que nous ont leur spécificité et par conséquent les solutions de l'un ne sont pas forcément celles de l'autre. Le système informatique avait été découpé par tranches ce qui est une sagesse quand on éprouve le besoin de tester à mesure que l'on avance au lieu de s'apercevoir, tout terminé, que ça ne marche pas. Quand vous achetez une automobile vous l'achetez en entier mais elle a été testée par morceaux. Cette fois la machine ne nous est pas livrée en entier, la première tranche, celle qui était une tranche ferme, est achevée. Dans un temps relativement proche nous allons passer à la tranche conditionnelle, celle au terme de laquelle la totalité de notre ouverture est possible. Cet équipement informatique, ce système d'information est réalisé par une grande société, Cap Sesa Tertiaire, assistée à 40 % par une autre grande société, IBM. Vous le savez nous avons convaincu ces deux entreprises de s'allier afin que nous puissions bénéficier du meilleur de la proposition de chacune.

    L'équipement informatique : le choix dramatique, il faut le dire, car nous étions confrontés à trois propositions émanant de très hautes sociétés là encore, a été fait la semaine dernière. Les équipements informatiques seront réalisés par la société BULL qui elle-même n'est pas constructrice des matériels mais qui assure la coordination des choix, de la mise en oeuvre et du fonctionnement. Ce système nous a paru flexible et évolutif dans la mesure où il ne nous mettait jamais dans la position d'être à nous seuls un marché captif, pour tel ou tel constructeur. Nous ne sommes le marché captif de personne. L'équipement informatique sera donc l'objet bientôt d'un marché. Ce chantier était particulièrement important pour nous. Il est important pour vous tous, car le thème des réseaux est essentiel. J'y reviendrai.

    Le Catalogue général

    Le Catalogue général est réalisé par rétro-conversion - pour l'instant des catalogues imprimés, nous passerons plus tard aux autres richesses de la bibliothèque. Il est virtuellement achevé - virtuellement signifie que tous les catalogues généraux sont déjà intégrés dans le futur Catalogue général - par conséquent nous pourrions aujourd'hui même fonctionner. Reste un certain nombre de catalogues transversaux, partiels, limités. S'il fallait ouvrir en attendant trois semaines de plus le catalogue des Mazarinades, personne n'en mourrait vraiment. Je ne prends qu'un exemple, délibérément un peu facétieux. La grosse opération de constitution d'un Catalogue général informatique est donc réalisée. Seuls ceux qui n'auraient jamais mis les pieds dans notre sous-sol de Richelieu ignoreraient le drame que représente pour les chercheurs la question suivante : « Avant de savoir où est le livre, dans quel catalogue pourrais-je bien le chercher ?,, Cette question appartient à avant-hier. Si aujourd'hui ce catalogue n'est pas encore consultable par tous, c'est pour des raisons techniques, on ne met pas du vin nouveau dans de vieilles outres, nous ne pouvons pas faire en sorte que les équipements de Richelieu soient aujourd'hui capables d'absorber ce que les équipements de Tolbiac absorberont et que ceux de Richelieu absorberont ensuite. Mais l'opération est techniquement réussie. Une part importante de ce catalogue figure déjà sur Internet, environ quatre millions de notices à l'heure actuelle. Ce qui veut dire que d'ores et déjà nos collègues rattachés à Internet - une majorité d'entre vous ou de vos utilisateurs - peuvent sans faire le déplacement à Paris savoir quelles sont les ressources que nous offrons. À l'ouverture de la bibliothèque on pourra de n'importe quelle partie de France et de n'importe quel établissement d'envergure nationale et internationale situé hors de nos frontières, avoir accès à notre catalogue, comme nous pouvons avoir accès aux catalogues de nos collègues étrangers. Ceci est fondamental. S'en trouveront satisfaits toutes celles et tous ceux d'entre vous qui ont une clientèle faite de chercheurs qui trop souvent ont perdu une journée de leur vie et une certaine somme d'argent pour venir à Paris et découvrir que le livre n'existe pas ou qu'il est déjà en main ou qu'il est à la reliure, ou pour ne pas découvrir qu'il y a un exemplaire à 50 km de chez eux.

    L'aspect matériel

    Vous allez voir une maison que ceux d'entre vous qui l'ont visitée au lendemain de l'inauguration du bâtiment vont trouver inchangée. Je ne vous dirais pas longuement que les chantiers intellectuels ça ne se voit pas quand ils avancent, ça ne se voit que quand ils sont finis, et que les chantiers matériels ne se voient qu'au moment de la livraison. Le mobilier est en cours de réalisation matérielle, il est livrable dans les prochaines semaines, tout du moins pour la première tranche.

    Les échéances

    Une ouverture par tranches

    Nous avons choisi d'ouvrir par tranches en sachant que lorsqu'on achète une voiture rapide on ne la rôde pas à 180 km/h pour savoir si ensuite elle roule bien à 120, c'est le contraire. Nous avons fait ce choix d'une ouverture par tranches en commençant par le plus général, l'accueil, et le moins compliqué, le grand public, mais aussi le plus incertain. Incertain car nous ne sommes pas sûrs de la composition intellectuelle du public qui fréquentera cet étage. Quelle sera la part d'étudiants, de nouveaux lecteurs, d'anciens lecteurs qui lisaient ailleurs ? Des études de motivation ont été faites, mais rien ne remplacera l'expérience des premiers mois, quand vous aurez cessé d'être le Grand Turc de passage à Paris - vous avez lu Molière et vous savez qu'il y a toujours un effet de curiosité - passé trois mois nous aurons un public qui sera le futur public fidèle.

    Nous allons donc ouvrir par cet étage, le haut-de-jardin, avec dans un certain nombre de cas des systèmes informatiques provisoires nous permettant déjà de nous rôder avec le public. La pire des choses serait qu'au jour d'une ouverture commune du tout, nous nous trouvions avec à la porte 15 000 personnes se battant pour entrer. Nous allons essayer par une ouverture fractionnée de faciliter notre propre tâche et de faciliter l'appréhension par le public des services nouveaux que nous pourrons rendre. Cette ouverture sera marquée par une exposition de laquelle certains d'entre vous sont déjà familiers puisqu'ils ont accepté de nous faire des prêts. « Tous les savoirs du monde » sera le moyen pour nous de souligner la vocation encyclopédique de cette maison. Vocation encyclopédique un peu perdue de vue entre la seconde moitié du XIXesiècle et le XXesiècle et que nous allons essayer de rétablir très progressivement. Mais nous tenons, le jour de l'ouverture, à le rappeler : les sciences exactes, l'économie, la médecine, les sciences juridiques à l'heure de la construction européenne, tout cela aura sa place dans notre maison. Une place d'autant plus délicate à assurer que ce sont parfois des disciplines où un ouvrage doit être conservé à perpétuité pour le moment où l'on fera l'histoire de cette discipline. Mais nous savons très bien que pour l'usage commun il arrive souvent qu'un ouvrage de deux ans soit déjà obsolète.

    Il nous faudra ensuite nous pencher sur l'avenir du pôle représenté par Richelieu. J'aimerais rappeler que dix à onze millions d'ouvrages imprimés vont venir ici, les premiers déménagements commençant six mois avant l'ouverture définitive. L'ouverture du haut-de-jardin en décembre 1996, cela veut dire l'ouverture totale du rez-de-jardin avec tous les services en fonction à l'automne 1997. À ce moment-là les dix à onze millions d'imprimés, les trois cent mille collections de périodiques seront ici, sans parler des ouvrages en accès direct qui sont déjà pour l'essentiel acquis. Cent quatre-vingt mille sont acquis et trente mille pourraient déjà être mis à disposition des chercheurs s'il fallait ouvrir dès aujourd'hui. Richelieu va conserver les Manuscrits, les Estampes, la Photographie, la Musique - à peu près certainement dans son site actuel de la rue Louvois - les Arts du spectacle et le voisinage riche pour tout le monde de la Bibliothèque d'art et d'archéologie à laquelle se joindront quelques bibliothèques aux fonctions artistiques et archéologiques déjà bien définies. L'Arsenal viendra rejoindre les collections de Richelieu en conservant sa parfaite, sa totale identité, j'en prends l'engagement. Je l'ai dit, je le répète, ce n'est pas dans une maison où l'on a pas encore unifié, où l'on n'unifiera jamais les deux collections de Colbert que l'on va d'un seul coup mélanger les collections de l'Arsenal avec les autres. Ce n'est pas dans une maison où l'on continue d'appeler collection "Languedoc » une collection qui se trouve pourtant rue de Richelieu qu'on oubliera le nom de l'Arsenal. Il s'agit de rapprocher nos richesses afin que le chercheur qui travaille parmi nos 165 000 manuscrits n'en ait pas 150 000 d'un côté et 15 000 à 3 km de là. C'est une opération qui ne pouvait pas se faire tant qu'il n'y avait pas la place. Elle me paraît tout à fait raisonnable. Et le chercheur s'en trouvera bien sans que soit en rien porté atteinte à l'intégrité du fonds, à la cohérence des liaisons de fonds à fonds et aux instruments de travail qui en permettent l'utilisation.

    Le réseau

    C'est l'une de nos préoccupations depuis les origines de cette maison. Nous n'avons cessé de le renforcer et le Ministre vous la bien dit tout à l'heure que l'élu local qu'il était n'était pas homme à nier que ce ne soit une préoccupation majeure. En bref nous souhaitons qu'un équipement qui aura coûté pas loin de huit milliards à la France, un équipement doté d'un fonctionnement qui va coûter environ un milliard par an, avec un personnel qui se stabilisera sans doute autour de 2 500 personnes, ne soit pas un équipement parisiano-parisien ». Le Ministre évoquait un fonds de recherche sur la jeunesse, je ne peux qu'en être heureux, mais vous savez que nous avons délibérément écarté toute bibliothèque pour les jeunes. Une bibliothèque pour les jeunes ne peut pas être nationale. Les jeunes veulent à portée de main les livres qu'ils ont envie de lire et c'est l'effort que vous, dans les bibliothèques municipales en particulier, vous accomplissez pour familiariser les enfants avec le recours au livre qui est fructueux. Non pas une bibliothèque où il y aurait ici tous les livres pour les jeunes - je ne suis pas sûr que ceux de Guéret, de Car-pentras ou de Mulhouse en profiteraient beaucoup. Une bibliothèque de recherche certes, mais nous souhaitons que l'ensemble du système représenté par la Bibliothèque nationale soit utile à toutes et à tous en France et à l'étranger aussi. Nous n'oublions pas que quatre-vingts pays nous font l'honneur de travailler ici tous les ans et quand nous offrirons d'autres services cela fera peut-être quatre-vingt-dix.

    Les pôles associés

    Les pôles associés sont un partage d'acquisitions. Dans la pratique ils sont déjà autre chose. Nous avons actuellement dix-sept pôles associés qui fonctionnent et quatre dont le contrat est en cours de négociation. D'autres sont en train d'imaginer qu'ils pourraient se raccrocher à ce réseau qui n'est pas un réseau de grandes bibliothèques mais un réseau de bibliothèques ayant une spécialisation, ayant une excellence dans le domaine de cette spécialisation. En sorte que nous ne nous fassions pas concurrence à travers la France, que nous n'utilisions pas à tort et à travers nos capacités budgétaires et qu'en conséquence il soit possible de se partager les acquisitions, et notamment les acquisitions à l'étranger, pour que l'un ne fasse pas le travail du voisin pendant que le voisin fait le travail de l'un. Ces pôles associés sont en pleine activité, et sauf accident qui ne saurait être que très local, cela marche actuellement fort bien. Tout le monde a compris le jeu et il ne s'agit plus seulement maintenant d'acquérir mais de valoriser, de traiter. Le pôle associé peut être aussi, répondant au besoin d'une bibliothèque d'excellence, une aide au traitement, au catalogage, au microformage, à la numérisation -puisque nous commençons de nous mettre à l'heure du numérique, faute de quoi nous passerions à côté des virtualités du monde de demain. Les finalités des pôles associés avaient été définies, elles sont en cours non de redéfinition mais d'une heureuse évolution au mieux de l'utilité de tous. C'est là que nous avons besoin d'entendre vos propos, vos besoins. Vous pouvez nous faire des propositions et nous dire ce que vous êtes capables d'apporter dans un domaine donné.

    Le Catalogue collectif

    Comme vous le savez en raison d'un accident grave, d'un accident mortel nous avons pris du retard au départ. Je m'adresse à celles et ceux qui dirigent de petites bibliothèques pour leur dire que même à l'échelle de la nôtre il arrive que la mort d'un collaborateur compromette une oeuvre : nous ne sommes pas toujours 90 sur le même chantier, il arrive qu'il y ait une tête et qu'il n'y ait pas la tête de rechange le jour même. Nous aussi nous connaissons des difficultés dues au fait que nous ne pouvons pas tout faire à la fois, chacun d'entre vous me comprend. Le Catalogue collectif est un enjeu fondamental. C'est autour du Catalogue général de notre Bibliothèque nationale de France la greffe de tout ce que les uns ou les autres vous avez d'original, d'unique parfois. Beaucoup de vos bibliothèques ont une spécialité héritée de l'histoire ou des vocations qui se développent aujourd'hui dans votre région, dans une université voisine, etc. Ces spécialités vous ont conduits à des types d'acquisitions, sont parfois nées de legs ou d'héritages. Mettre en commun l'information sur ces richesses est fondamental et nous sommes très attentifs au développement du Catalogue collectif.

    Le système propre de la bibliothèque

    Votre public aura beaucoup gagné quand il pourra sur son Minitel ou en se rendant dans un lieu qui sera en connexion avec nous - et il y en aura de plus en plus - nous poser très simplement la question : 'J'ai l'intention de venir le 22 juin, je voudrais voir tel livre, l'avez-vous ? Quel-qu'un d'autre n'est-il pas en train de le consulter? Sinon voulez-vous me le réserver pour le 22 juin ? » À l'arrivée le lecteur n'attendra pas une heure, il sera servi et trouvera son livre tout de suite. Ce n'est pas rien de dire au public de la France entière et non pas seulement de Paris : "Nous pensons à votre temps, nous pensons à votre budget de déplacement, nous pensons à la rentabilité de l'effort que vous faîtes pour venir lire un livre. »

    Le numérique

    Il pose des problèmes économiques mais bien plus des problèmes juridiques. La numérisation progresse très sérieusement, certains des problèmes juridiques posés, comme ne pas tuer les éditeurs et notamment l'édition spécialisée, nous les connaissons et une négociation assez délicate est en cours.

    En conclusion

    Pour finir nous sommes très fiers que quatre-vingts pays fréquentent notre bibliothèque mais ce serait un échec si la France entière n'en bénéficiait pas et s'il fallait que les Français, les Belges ou les Suisses, les Canadiens ou les Australiens se déplacent alors que nous pouvons leur éviter le déplacement. Nous sommes aussi fiers de celles et ceux qui nous font confiance à distance, et qui bénéficieront à distance de notre travail commun, que de celles et ceux qui viendront fréquenter ce bâtiment. J'aimerais pour finir rappeler qu'une bibliothèque n'est pas un bâtiment. C'est des livres et un besoin de livres.

    Vignette de l'image.Illustration
    Intersyndicale de la BNF