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Coppet, deux siècles d'histoire littéraire et familiale

1996
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    Coppet, deux siècles d'histoire littéraire et familiale

    Comte d'Haussonville

    Le nom de Coppet est généralement bien associé à ceux de Mme de Staël et de son père Jacques Necker. Mais peu après surviennent les hésitations : Coppet est-il en Suisse ou en France ? Et qu'en est-il de Ferney? Même consonance, deux maisons à une douzaine de kilomètres l'une de l'autre, deux écrivains célèbres... Comme l'a excellemment écrit le professeur Delley, de l'Université de Fribourg, "Ils ont en commun l'art de marquer de leur empreinte les demeures où ils ont vécu. Tous deux possèdent ce génie du lieu par lequel les maisons dans lesquelles ils ont habité les accompagnent dans la postérité".

    Qu'est-ce que Coppet? Un château construit en pays de Vaud à la fin du XVIIe et au début du XVIIIesur l'emplacement d'une maison forte dominant le village alors entouré de remparts au bord du Léman. Après avoir trop souvent changé de mains, il fut acheté par Necker le 1er mai 1784, déjà inquiet de la situation en France et désireux de revenir près de Genève, son pays natal. Il est depuis toujours resté entre les mains de sa famille, et le soussigné a le redoutable honneur et la lourde charge d'en être le dixième propriétaire, à la huitième génération. Il n'est peut-être pas non plus sans intérêt de souligner que Mme de Staël a toujours proclamé sa nationalité française - la question n'étant d'ailleurs toujours pas réglée par les juristes - et que depuis la mort de Necker en 1804, la maison est restée en quelque sorte propriété française.

    Lieu de retraite pour Necker, d'exil pour sa fille, demeure familiale ou résidence secondaire au cours des décennies suivantes, Coppet a doucement évolué au gré des événements, des modes, des apports de meubles, objets et portraits des propriétaires successifs, le tout se fondant harmonieusement pour le plaisir des yeux des visiteurs en notre fin de siècle. On constituerait une bibliothèque de belle allure avec les ouvrages rédigés par les propriétaires de Coppet, depuis Necker qui a laissé d'importants ouvrages politiques et religieux (1) , parmi lesquels les Dernières vues de politique et de finances qui agaçaient considérablement Bonaparte, Mmede Staël (Delphine, Corinne, De l'Allemagne, Considérations sur la Révolution française (2) ), Auguste de Staël et ses ouvrages sur la traite des nègres, et sur l'Angleterre, la biographie de Byron par Louise de Broglie (la comtesse d'Haussonville célèbre par le portrait d'Ingres), les ouvrages de politique et de critique littéraire de son fils Othenin, de l'Académie française, mort en 1924, pour terminer avec la thèse de la comtesse d'Andlau sur Les Martyrs de Chateaubriand. Ceci n'est qu'une très mince partie de la liste des ouvrages publiés par les propriétaires de Coppet.

    Ce n'est donc pas un hasard si Coppet contient plusieurs bibliothèques. La plus intéressante serait sans doute celle de Necker et de Mme de Staël. Elle a malheureusement été transférée en 1830, trois ans après la mort du fils aîné de Mmede Staël, le baron Auguste de Staël, au château de Broglie, demeure d'Albertine, sa soeur qui avait épousé Victor duc de Broglie, où elle se trouve toujours. Sa veuve fut donc contrainte d'en reconstituer une, conservée au premier étage, pour son usage personnel, avec le concours du moraliste Ximenès Doudan, intime des Broglie. Une autre bibliothèque, au rez-de-chaussée, est celle des comtes d'Haussonville, venue de France en 1898, fort bien constituée, mais restée statique depuis la première guerre mondiale. Enfin, des livres de travail, des périodiques et des collections diverses sont disséminés dans diverses pièces de la maison. Les archives regroupent essentiellement les documents concernant le domaine de Coppet, et les papiers de famille.

    Propriété privée d'un résident français habitant Paris, il est impossible d'accéder aux ouvrages et documents conservés à Coppet, les conditions pratiques de sécurité, de classement et de communication n'étant absolument pas réunies, car d'autres priorités s'imposent à celui qui doit aussi assurer la pérennité d'une grande demeure : bien peu de personnes se rendent compte de la fragilité des pierres !

    Certaines demandes sont pourtant satisfaites, en fonction essentiellement de l'intérêt de la recherche entreprise et de la qualité du chercheur. Mais il faut bien se souvenir que le propriétaire d'un document inédit voit celui-ci perdre un bon tiers de sa valeur marchande lorsqu'il est publié, alors qu'il peut constituer une réserve financière pour parer aux « coups durs de la conjoncture ou du maintien en état de la maison, ou plus simplement pour le paiement des impôts et des droits de succession. C'est le point de vue que doivent malheureusement adopter la plupart des détenteurs d'archives familiales et des collectionneurs, à l'inverse bien entendu des bibliothèques publiques.

    Comme beaucoup de maisons d'écrivains, Coppet a vocation à accueillir pour des manifestations diverses les chercheurs qui travaillent sur ce que l'on appelle maintenant le Groupe de Coppet. C'est en 1929 que la comtesse Jean de Pange, née Broglie, descendante de Mme de Staël, créa la Société des études staëliennes. Cette société, présidée par Simone Balayé, fait preuve d'une grande vitalité. Outre la publication de Cahiers staëliens annuels (le n° 47 vient de sortir de presse), l'organisation de réunions à Paris, la tradition depuis plus de vingt ans s'est établie d'une "Journée de Coppet » le premier samedi de septembre, afin que des communications de haut niveau ne soient pas réservées à un public parisien mais aussi offertes à des auditeurs helvétiques. En général il s'agit de journées « à thème par exemple: en 1990, « La vie quotidienne à Coppet au temps de Mmede Staël » ; en 1996, « Le Groupe de Coppet et la Suisse ». Plus important encore, depuis 1966, l'organisation d'importants colloques durant trois jours. Les quatre premiers ont eu lieu à Coppet, et en souvenir de leur atmosphère particulière, j'ai été très sensible au fait que l'on m'ait demandé de conserver l'appellation « Colloque de Coppet aux manifestations suivantes, même quand elles ont lieu ailleurs : à Tübingen en 1993, à Liège (le sixième) l'année prochaine. Les travaux de tous ces colloques ont fait l'objet d'une publication complète.

    Vignette de l'image.Illustration
    Château de Coppet

    Il me semble enfin qu'il ne suffit pas que la vie et les oeuvres de grands écrivains soient commentées et éditées. Le cadre de leur vie doit aussi être accessible, de préférence non pas sous la forme d'un musée souvent un peu froid, mais dans une demeure familiale où les visiteurs peuvent oublier leur siècle et tenter par l'imagination de faire revivre ces personnalités hors du commun.

    1. Les oeuvres complètes de Necker ont été publiées par son petit-fils, le Baron de Staël, 18201821 ; 15 tomes. NDLR. retour au texte

    2. Il n'existe pas d'édition disponible des oeuvres complètes de Madame de Staël si ce n'est chez les libraires d'anciens. NDLR. retour au texte