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La maison de Chateaubriand à la Vallée-aux-Loups

1996
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    La maison de Chateaubriand à la Vallée-aux-Loups

    Par Jean-Paul Clément, Directeur Maison de Chateaubriand

    A yant, par un article hostile au régime publié dans le Mercure de France en juillet 1807, suscité la colère de Napoléon, Chateaubriand prit quelques distances d'avec la capitale, et s'installa à la Vallée-aux-Loups, "à cinq quarts d'heure de distance des barrières de Paris par la route d'Orléans La décoration de la maison, en un mélange significatif de style classique et de style « troubadour (c'était faire oeuvre de précurseur) ; la plantation d'un parc qui, pour ce voyageur passionné de botanique, lecteur de Linné et de Tournefort, fut l'occasion de créer un parc miroir, véritable paysage idéal d'un écrivain ; une oeuvre abondante et importante (Les Martyrs, l'Itinéraire de Paris à Jérusalem, Moïse, les Aventures du dernier Abencé-rage, le commencement de la rédaction des Mémoires de ma vie, ébauche des Mémoires d'outre-tombe...) ; des soirées passées en petite société ; la visite d'admirateurs (Napoléon lui-même... du moins selon son jardinier) : les dix années passées à la Vallée-aux-Loups, années de la maturité, furent déterminantes dans la vie de Chateaubriand.

    En 1816, rayé de la liste des ministres d'État après la publication du post-scriptum à De la monarchie selon la Charte, il est privé de la pension afférente. Il vend tout d'abord sa bibliothèque ; ce n'est pas assez. Une mise en loterie échoue faute de souscripteurs, et c'est finalement aux enchères que la propriété (sa « Chère vallée », dont les arbres formaient sa « seule famille ») est vendue en 1818 à Matthieu de Montmorency, qui y invitera Juliette Récamier, non sans d'insistantes admonestations pour qu'elle n'y reçoive pas l'« illustre vicomte Après la mort de Montmorency, la famille La Rochefoucauld Doudeauville hérite de la Valléeaux-Loups : on n'y cultivera guère la mémoire de Chateaubriand, allant jusqu'à décourager des visiteurs. À l'aile qu'avait ajoutée Montmorency à la maison, les La Rochefoucauld font ériger un pendant, assez peu heureux. Mais surtout, fort riche, la famille assurera la protection du site en l'isolant par de nombreuses acquisitions de parcelles.

    Vignette de l'image.Illustration
    La Maison de Chateaubriand

    En 1914, la propriété est rachetée par un médecin aliéniste, le docteur Henry Le Savoureux. Il y fonde en 1929 la Société Chateaubriand, qui a toujours son siège social à la Vallée-aux-Loups, où sont conservées ses archives, accueille personnalités, écrivains, peintres, Anna de Noailles, la princesse Bibesco, Saint-Exupéry, Léautaud, Paulhan, Herriot, Valéry, Julien Benda, le Professeur Debré...

    Le Conseil général des Hauts-de-Seine a racheté le domaine en 1978, et en a confié la gestion et l'animation à une association régie par loi de 1901. Cette association a été ouverte au public, et compte aujourd'hui près de huit cents adhérents, qui élisent des représentants au conseil d'administration. L'association poursuit une politique active visant à faire de la Vallée-aux-Loups une Maison d'écrivain vivante, aux activités diverses et cohérentes, ouverte à tous les aspects de la recherche, nationale et internationale, lieu de mémoire et de création, ressuscitant, dans la grande diversité de ses aspects, jusqu'à sa passion pour les parcs et les jardins, une époque à laquelle la nôtre doit beaucoup, un siècle qui est peut-être notre véritable Grand Siècle.

    Une vigoureuse politique d'acquisitions a permis de développer substantiellement le noyau originel des collections, constitué par les collections réunies par Henri Le Savoureux pour son «petit musée». Ces acquisitions, qui se continuent, visent à réunir l'ensemble des éditions de Chateaubriand, mais aussi des ouvrages dont il s'est servi, ainsi que de la critique qui lui a été consacrée. En outre, afin de permettre l'intelligence d'une oeuvre et d'une carrière multiple (Chateaubriand fut soldat, écrivain, tragédien, ambassadeur, ministre), un accent particulier est mis sur la réunion des très nombreuses brochures publiées sous l'Empire et sous la Restauration, ainsi que sur les Mémoires et Souvenirs de contemporains. La Maison de Chateaubriand achète aussi des autographes de Chateaubriand ou de tiers. Par ailleurs, les collections du musée et l'iconographie font l'objet d'un enregistrement commun avec celui des livres et des autographes. Au reste, le budget des acquisitions (collections de la bibliothèque et collections du musée) est un budget commun, de même que l'enregistrement des différentes pièces. Ainsi, un chercheur qui travaille sur Atala, pour ne prendre que cet exemple, se verra proposer non seulement les différentes éditions d'Atala, la critique consacrée à cet ouvrage, les parodies qu'il a suscitées, mais aussi les autographes qui s'y rapportent, les gravures, lithographies, peintures, objets d'art (pendules, assiettes...) que le « roman américain » a inspirés ; des dossiers d'oeuvres sont en cours de constitution. Les expositions annuelles sont l'occasion soit de mettre en valeur certaines acquisitions particulièrement importantes, soit d'étudier un aspect particulier de la vie et des carrières de Chateaubriand.

    La prise en compte de l'importance européenne de l'oeuvre de Chateaubriand a conduit à préparer le jumelage de la Maison de Chateaubriand avec la Maison de Goethe à Weimar, prélude à l'organisation d'échanges franco-allemands, et à d'autres jumelages, en Angleterre où Chateaubriand a longtemps séjourné. Deux voyages sur les pas de Chateaubriand, à Prague et à Grenade, ont été organisés.

    Lieu de mémoire, la Maison de Chateaubriand à la Vallée-aux-Loups cultive tradition et création. Les « heures romantiques de la Vallée-aux-Loups" ressuscitent l'atmosphère des salons de l'époque romantique : littérature et musique s'y rencontrent, dans des programmes qui redécouvrent textes et partitions oubliés, servis autant par des interprètes confirmés que par de jeunes talents. La Maison de Chateaubriand s'est, au fil des ans qui voient se dérouler régulièrement deux saisons de soirées, attaché un public fidèle et nombreux, et a constitué un véritable répertoire, qui pourrait être proposé dans d'autres maisons d'écrivains, ou d'autres lieux de spectacles.

    Accueillante à la recherche, la Vallée-aux-Loups est aussi un lieu d'écriture : deux appartements d'hôtes sont en effet ouverts aussi bien aux chercheurs français et étrangers qui bénéficient de la sorte d'un accès privilégié aux collections du centre de documentation, qu'à des écrivains qui souhaitent se retirer dans un ermitage propice.

    La volonté d'encourager la recherche et la réflexion a conduit à l'organisation de colloques et à l'accueil de réunions de travail de sociétés littéraires et historiques, mais aussi à la création des Grands Prix d'Histoire Chateaubriand la Vallée-aux-Loups (Grand Prix d'Histoire et Grand Prix du Romantisme). Remis chaque troisième mercredi de novembre, ces Prix vont célébrer en 1996 leurs dix ans. Dotés par le Conseil général des Hauts-de-Seine de 100 000 F chacun, ils sont décernés par un jury de douze membres, placé sous la présidence de Jean d'Ormesson, de l'Académie française.

    Les Maisons d'écrivains ne sont ni seulement musées, ni seulement bibliothèques et centres de documentation et de recherche, ou lieux d'échanges savants, de créations de spectacles, d'accueil d'écrivains et de remises de prix - mais tout cela à la fois. Placées au carrefour de multiples secteurs culturels », elles ont une spécificité que la Vallée-aux-Loups espère contribuer à leur faire reconnaître.