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Quel devenir pour les maisons et musées littéraires ?

1996
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    Quel devenir pour les maisons et musées littéraires ?

    Par Maud Espérou

    On pouvait craindre que notre réunion du 13 avril dernier ne s'achevât dans une estime polie et indifférente et qu'elle n'ait point de lendemain. En réalité, il semble bien que les responsables des maisons littéraires aient été heureux de se rencontrer, pour la première fois, alors qu'ils se croyaient isolés ; des professionnels du livre les reconnaissaient comme des partenaires possibles pour la sauvegarde et la communication du patrimoine littéraire. Il serait présomptueux de nous attribuer tout le mérite d'un tel projet. S'interroger sur le devenir de ces maisons et musées dispersés dans toute la France, et dont le rayonnement n'est parfois que local, était déjà dans l'air du temps.

    Animé du même esprit, le ministre de la Culture, M. Douste-Blazy a désiré mieux connaître les maisons d'écrivains et les musées littéraires. Dans le cadre du Plan pour le livre et la lecture, il a demandé à Michel Melot de lui remettre un rapport sur ces établissements et sur leur audience culturelle. Nous attendons, avec impatience, de prendre connaissance de cette enquête et de ses conclusions. Les propositions que l'ancien président du Conseil supérieur des bibliothèques fera, éviteront, à n'en pas douter, des jugements erronés et des projets irréfléchis ; elles indiqueront, au contraire, des voies à suivre.

    La réunion de Bourges

    Ce questionnement sur les musées littéraires et les maisons d'écrivains avait été déjà partagé par des responsables d'associations et de sociétés littéraires, puisque, dès avril dernier, était prévue une rencontre à Bourges pour cet automne. À l'initiative de Jean-François Goussard, Directeur du CDDP du Cher, les premières rencontres des maisons d'écrivains se tinrent, donc, le 18 et 19 octobre 1996, dans la ville de Jacques Coeur. Rencontres fructueuses, où se retrouvèrent des participants venus d'horizons différents, épouses et fils d'écrivains connus, responsables de maisons natales, conservateurs de musées, archivistes, bibliothécaires, documentalistes, universitaires et enseignants.

    Plaisir et travail furent au rendez-vous de ces deux journées. Plaisir, l'exposition qui nous accueillait dans le hall du palais des Congrès et qui nous conduisait sur les pas des écrivains de la région Centre ; plaisir aussi, la belle conférence de Kenneth White qui nous entraînait de la maison de Walter Scott en Écosse, à celle de Pierre Loti, à Rochefort, en passant par le Dane-mark avec Kierkegaard, les États-Unis avec Thoreau... ; plaisir et émotion enfin, à Épineuil-le-Fleuriel où l'ombre d'Augustin Meaulnes hante les salles de classe.

    L'après-midi, trois tables rondes furent les lieux d'échanges passionnés et contradictoires entre les assistants. À la première table ronde, les débats portèrent sur ce que nous évoquions, déjà, en avril dernier, et nous posait des problèmes : la diversité des situations particulières des maisons, l'absence de statut fédérateur, les relations difficiles avec les autorités locales, la modestie des moyens financiers qui ne permet pas la création d'une fondation. Autour de la seconde, on traita des collections manuscrites, imprimées, iconographiques, de leur sauvegarde matérielle et de leur communication liée à l'étude et à la recherche. Alain Rivière, fils de Jacques Rivière et neveu d'Alain-Fournier, a présenté, aux assistants et aux héritiers soucieux pour l'avenir de leur patrimoine littéraire, l'IMEC [Institut mémoires de l'édition contemporaine] qui reçoit en dépôt, depuis quelques années, les archives de l'édition contemporaine et aussi les bibliothèques et les manuscrits d'auteurs connus, morts récemment. Marguerite Duras voisine, à travers ses papiers personnels, avec Althusser, Genet et d'autres encore... La troisième table ronde eut pour thème le public ou plutôt les publics : scolaires et universitaires; touristes éclairés ou simples touristes. En région Centre, en 1985, 100000 personnes dont la moitié de scolaires ont fréquenté ces demeures ; à titre de comparaison le château de Chenonceaux a attiré 900 000 visiteurs. Malgré un travail de sensibilisation, le public stagne.

    Sous la présidence d'Édouard Rubbio, Inspecteur général de l'Éducation nationale et avec la participation active de Georges Poisson, Directeur général du Patrimoine, les rapports des tables rondes furent présentés le samedi matin et on esquissa les termes d'une politique à mener. Le rôle des maisons d'écrivains s'inscrit dans une action en faveur du livre et de la lecture, autrement, elles passeraient à côté de leur mission fondamentale. Les visites ne peuvent pas servir uniquement au développement touristique de la région ; elles doivent être d'abord une invite à lire et relire l'oeuvre de l'ancien propriétaire des lieux. Afin d'être reconnues officiellement et de pouvoir exercer une influence réelle, les maisons d'écrivains doivent se regrouper en Fédération. Le projet a été approuvé par la très grande majorité des participants ; dans cette perspective, un groupe de travail s'est constitué. Au terme de ce «défrichement » des problèmes qui sera conduit par ce groupe de travail, des assises nationales des maison d'écrivains devraient se tenir en décembre 1997.

    La place des bibliothécaires ne sera pas négligeable ; Laurence Varret (BNF), Isabelle Rollet (BNF), Robert Tranchida (Maison de Balzac) participeront aux travaux et apporteront leurs compétences nécessaires à une équipe pas forcément au fait des problèmes bibliothéconomiques (1) . Il est apparu en effet que les responsables et participants de ces deux journées n'avaient pas toujours une vision très précise des bibliothèques, de leur mission de conservation et de communication du patrimoine littéraire. Si la constitution des collections muséales ne prête pas à des grandes controverses - bien qu'il faille toujours veiller à l'authenticité des objets présentés et aux liens qu'ils entretiennent avec l'oeuvre (2) - et à des contraintes pour la conservation, il est loin d'en être de même pour les collections manuscrites, imprimées ou iconographiques. Tous les impératifs, que nous connaissons bien, (température, lumière, hygrographie) et qui sont liés à une bonne conservation des documents fragiles, doivent être réunis, avant d'envisager leur acquisition. Des exigences de catalogues et d'inventaires qui ne peuvent être faits que par ceux qui en ont une longue pratique, s'y ajoutent en outre.

    Quels lieux pour la mémoire ?

    Pourquoi une même ville n'aurait-elle pas deux sites pour lieux de mémoire d'un écrivain ? L'exemple des collections stendhaliennes déposées à la bibliothèque municipale de Grenoble et du musée Stendhal, ne devrait-il pas être davantage suivi (3) ? À la bibliothèque municipale, les manuscrits, les papiers, les éditions originales, à la maison-1musée, les objets familiers, les images, tout ce qui rappelle la présence charnelle de l'auteur. Si l'écrivain est incontestable, si les lieux sont restés dans l'état dans lequel ils étaient de son vivant, sa demeure attirera les visiteurs qui aiment son oeuvre ; aux autres, elle sera peut être une bonne introduction. Qui n'a pas été ému à Hauteville House, qui n'a pas caressé subrepticement les meubles conçus par l'auteur de La Légende des Siècles, qui n'a pas été troublé par le Chêne des États-Unis d'Europe, planté le 14 juillet 1870? À 700 kilomètres de Guernesey, La Boisserie, à Colombey-Les-Deux-Eglises, garde à jamais la présence du général De Gaulle ; or ses manuscrits ont rejoint ceux de Victor Hugo à la Bibliothèque Nationale, lieu par excellence de la mémoire nationale.

    Les bibliothèques ont depuis leur création eu ce souci de la mémoire littéraire. C'est ce que devait penser le couturier Jacques Doucet, quand il légua à l'université de Paris ses collections de manuscrits et d'éditions originales qui devaient constituer le premier fonds de la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet. Depuis 1929, la bibliothèque s'est enrichie et continue de s'enrichir des plus grands noms de notre littérature : Apollinaire, Leiris, Mauriac et tant d'autres sont chez eux, face au Panthéon.

    Les lieux de mémoire des écrivains sont nombreux, prestigieux ou obscurs. Un travail commun attend tous ceux qui veulent préserver leur mémoire et permettre des recherches pour une meilleure diffusion et connaissance des oeuvres. Un des premiers objectifs sera certainement l'inventaire des fonds littéraires dispersés que veulent entreprendre Robert Tranchida et le groupe de travail qu'il a constitué ; d'autres collègues s'associeront certainement à cette tâche. Cette initiative sera certainement bien reçue par les universitaires, bibliothécaires et responsables des maisons littéraires ; celles-ci entreront alors dans le paysage documentaire français.

    1. . Parallèlement à ce groupe de travail, Robert Tranchida a demandé aux adhérents de la SER et du groupe Paris qui se sentent concernés par les musées littéraires de venir le rejoindre afin de poursuivre le travail commencé. retour au texte

    2. À l'occasion de ces rencontres Elisabeth Dous-set. a présenté, à la médiathèque de Bourges, une très belle exposition: dans chaque vitrine étaient associés pour chacun des écrivains du Centre de la France, l'objet quotidien et le manuscrit ou la lettre qui témoignent du climat dans lequel s'élabore l'ceuvre -, comme le souligne le catalogue de l'exposition. retour au texte

    3. Cf. supra l'intervention d'Yves Jocteur-Montrozier. retour au texte