Je suis d'abord très impressionné d'intervenir dans ce lieu, impressionné par la qualité du lieu, que je vois pour la deuxième fois puisque j'ai eu l'occasion de faire une visite lorsque j'étais président d'université, et puis impressionné par l'importance de l'audience. Je voudrais d'abord vous dire que je n'ai pas pu participer plus longtemps et plus longuement que cette courte intervention à vos travaux. J'aurais souhaité le faire mais je suis dans une période de conclusion des États généraux de l'Université qui supposaient que nous nous attachions en priorité à cet objectif.
Vous avez choisi comme thème de vos travaux le développement des réseaux de bibliothèques. Il faudrait peut-être rappeler de façon rapide ce qu'est l'apport des bibliothèques universitaires à ce développement et puis aussi vous dire plus spécifiquement ce que sont, à la fois les interrogations des bibliothèques universitaires aujourd'hui, la façon dont il nous semble qu'il faut répondre à ces interrogations et la façon dont elles se situent dans les enjeux qui sont ceux de l'enseignement supérieur. Dire aussi d'ailleurs que nous apprécions très fortement l'ouverture de la Bibliothèque nationale de France comme un apport essentiel au développement de réseau de bibliothèques et que nous entendons bien utiliser pleinement ce potentiel pour appuyer et structurer le réseau national, y compris le réseau national des bibliothèques universitaires.
Vous savez que, dans le développement du réseau de bibliothèques, au niveau national, l'apport des bibliothèques universitaires et les impulsions qui sont données par notre Direction, correspondent à des orientations qui sont désormais relativement anciennes et qui d'ailleurs ont connu une continuité au cours des époques. Je crois que c'est important de marquer la nécessité de cette continuité. On est dans un domaine où, compte tenu de la complexité, de la diversité des enjeux, l'action suppose la durée. Je ne vais pas essayer, dans mon action, de pousser des aspects qui seraient systématiquement nouveaux, au contraire, je crois important de faire que, dans l'action, nous menions bien à terme un certain nombre d'objectifs qui ont été tracés voici un certain nombre d'années.
Dans la mise en oeuvre d'un réseau de bibliothèques, nous nous attachons d'abord à essayer de coordonner la politique documentaire, en particulier par un certain nombre de leviers tels que par exemple le développement du réseau de CADIST pour tout ce qui concerne la politique documentaire dans le domaine de la recherche, et nous souhaitons maintenir cet axe d'ouvertures progressives de CADIST de telle façon que nous puissions en faire là un instrument important de la construction d'une carte documentaire cohérente.
Deuxième élément, qui, pour nous, est un élément de structuration qui engage à la fois des moyens élevés, qui engage une mobilisation à tous les niveaux, au niveau de notre Direction mais aussi au niveau d'opérateurs, au niveau des établissements, c'est le développement de tous les instruments de catalogues collectifs. Je ne développerai pas. Nous sommes entrés dans des phases opérationnelles. Il y a là un enjeu essentiel.
Vous savez qu'on peut considérer comme un acquis extrêmement positif, qu'il faut certes renforcer, faire évoluer, tout le réseau de transmission de documents à distance. Je crois qu'il est important de souligner combien il y a, au-delà du monde des professionnels, un apport à la vie universitaire, à la vie des chercheurs. Nous souhaitons aussi accélérer toutes les expériences en matière d'accès aux ressources électroniques. Nous allons progressivement essayer d'aller plus vite dans cette direction. Enfin nous nous sommes donnés un outil, par le Centre technique du livre, de développer les fonctions de conservation partagée.
Tous ces éléments seront maintenus, qui engagent d'ailleurs des arbitrages budgétaires, parfois relativement difficiles, mais dont nous pensons que nous aurons capacité à les mener à leur terme.
Peut-être aussi quelques éléments sur ce que nous attendons de notre rapport avec la Bibliothèque nationale de France dans cette fonction d'animation de réseau.
Je crois que, pour nous, le plus important c'est d'avoir capacité à structurer un réseau documentaire qui soit le plus cohérent possible et nous attendons, sans aucun doute, l'approfondissement du travail avec la Bibliothèque nationale de France sur la construction d'une carte documentaire cohérente, en particulier par une bonne articulation entre notre réseau de CADIST et la Bibliothèque nationale de France. Je pense que cela supposera que nous puissions donner une réponse la plus adaptée possible à ce que pourrait être le rôle du dépôt légal par rapport à cette fonction de carte documentaire.
Nous attendons aussi bien sûr de la Bibliothèque nationale de France qu'elle continue à remplir de la façon la plus efficace son rôle de mise à disposition de la Bibliographie nationale et qu'elle joue pleinement son rôle dans le développement du Catalogue collectif de France.
Pour nous, l'arrivée de la Bibliothèque nationale de France est une chance que nous voulons pleinement saisir pour que cela soit une contribution à une évolution du réseau de bibliothèques, y compris de celui des bibliothèques universitaires. Bibliothèques universitaires qui, aujourd'hui, doivent être analysées en rapport avec ce que sont les problèmes de l'Université. Je crois qu'on ne peut pas regarder les bibliothèques universitaires sans faire référence à ce qui est aussi l'élément principal de notre contexte : l'évolution de l'Université, de ses missions, un certain nombre de ses difficultés.
Je crois d'ailleurs que, probablement, quand les bibliothèques universitaires, en particulier le personnel scientifique, les directions de bibliothèque, regardent où ils en sont, j'ai le sentiment que l'on peut passer assez rapidement de phases d'optimisme très fort à des phases de découragement. Optimisme très fort parce que, incontestablement, les bibliothèques universitaires ont fait un effort de modernisation, je crois parfois, d'ailleurs mal estimé, insuffisamment pris en compte par le milieu universitaire, effort de modernisation qui a été radical et qui continue à se développer, et en même temps les bibliothèques universitaires voient souvent leur fonctionnement fragilisé par un certain nombre de situations qui sont celles des universités. En particulier, bien sûr, la situation de confrontation à l'accroissement du nombre d'étudiants. C'est certes une chance, un enjeu de fond pour une société telle que la société française mais c'est aussi une source de tension qui n'est pas facile à gérer. Les bibliothèques universitaires, en plus, dans l'université, sont au coeur de nombreux enjeux d'évolution de l'université. Au moins au coeur de quatre enjeux.
D'abord un enjeu d'ouverture sur l'extérieur qui n'est pas forcément celui qu'on met toujours en premier. Je crois qu'il est essentiel que les universités aillent plus loin qu'elles n'ont fait, même s'il y a eu beaucoup de travail fait en ce sens, dans l'ouverture sur le monde extérieur, monde professionnel, monde économique mais aussi par exemple l'environnement local, le contact avec la vie culturelle, etc. À ce niveau là, une bibliothèque qui a du rayonnement, qui sait s'insérer dans un réseau de proximité, un réseau de bibliothèque municipale par exemple, qui sait développer des liens, est un atout essentiel dans la fonction d'ouverture de l'université.
Deuxième enjeu, c'est celui de la modernisation : avoir la capacité à montrer que, dans l'université, on peut apporter une réponse maîtrisée à un certain nombre de problèmes, qu'on peut développer des projets de modernisation et les mener à leur terme. On voit bien que les bibliothèques universitaires sont l'un des points dans l'université où on a le plus progressé dans cet enjeu de modernisation, mais qu'en même temps d'ailleurs, les bibliothèques universitaires sont frappées de plein fouet par un certain nombre d'évolutions, en particulier les évolutions technologiques, les transformations radicales dans le monde de l'information, avec tout ce que cela suppose, là aussi, de difficultés à voir clair dans un certain nombre de choix, d'enjeux financiers et puis contradiction entre le fait de maintenir des fonctions anciennes qui restent essentielles et le fait de s'adapter à un contexte qui est radicalement différent, et qu'on a parfois du mal à imaginer.
Troisième enjeu : le développement de la qualité de l'enseignement, en réponse à l'attente des étudiants et probablement, au-delà de ce développement, la transformation des modes pédagogiques et d'acquisition du savoir dans nos universités. Je disais, il n'y a pas très longtemps, lorsque je réunissais les directeurs de bibliothèques universitaires, dans le cadre des États généraux, que si nous continuons à travailler sur les modèles pédagogiques d'acquisition des connaissances avec ce que représente la transformation du paysage universitaire en nombre et en diversité d'étudiants, nous n'aurons pas capacité à répondre à cet enjeu. Il faut que nous puissions repenser les modes d'acquisition des connaissances et les repenser en particulier en faisant que les mécanismes d'autoformation jouent un rôle beaucoup plus important et il est clair que l'un des points d'autoformation qui fonctionne le mieux dans les universités, ce sont les bibliothèques universitaires. Il y a donc là un enjeu qui est d'approfondir cette fonction, de situer les bibliothèques universitaires au coeur du mécanisme d'acquisition de la connaissance, et de permettre de faire que nous transformions à travers cela la façon d'aborder les étudiants. Ceci suppose des modifications de comportement assez profondes.
Enfin dernier enjeu qui concerne nos bibliothèques universitaires : la qualité de la compétition en matière de recherche. On voit bien que, dans les universités, le tissu de recherche, la structuration des équipes de recherche se fait de plus en plus dans une optique internationale, en particulier pour les équipes les plus performantes, que l'accès à l'information et à la documentation est un élément déterminant de cette compétition et que la capacité à donner des ressources et un réseau de ressources qui permettent d'assurer cette fonction, va jouer un rôle très lourd dans le maintien du potentiel de recherche de nos universités. C'est un enjeu à la fois très riche et un peu angoissant. Ce peut être un peu difficile, je pense, pour les directions de bibliothèques universitaires, pour les directions d'universités et pour notre direction, de savoir hiérarchiser les objectifs.
Pour ma part, dans les mois qui viennent, j'entends m'attacher, dans mon action à la Direction, à essayer de me donner trois objectifs prioritaires et de faire qu'un certain nombre de ceux-là soient repris dans les propositions qui seront issues des États généraux, qui seront débattues à différents niveaux, en particulier par la représentation nationale, et de faire en sorte que certains éléments puissent faire l'objet d'arbitrage positif.
D'abord, premier élément, premier objectif, c'est clairement de faire que les bibliothèques universitaires soient le lieu principal, dans l'université, de modernisation et de familiarisation aux nouvelles technologies de l'information. Il faut absolument que nous continuions à développer tout ce qui est accès à des ressources bibliographiques, etc. et que les bibliothèques, les SCD (Services communs de la documentation) soient dans l'université le point de contact, au sens le plus large du terme pour les étudiants, avec toutes les nouvelles ressources de l'information. Ce qui veut dire que nous devons avoir capacité à accélérer la formation des étudiants pour qu'ils puissent pleinement utiliser les ressources mises à leur disposition. Nous formons à peu près 5 % des étudiants à la bonne utilisation de ces ressources, avec un effort souvent à la limite de la rupture, il faut donc que nous trouvions les moyens de passer rapidement de 5-6 % à 12 %. Je ne veux pas décliner ce que cela veut dire mais c'est un premier objectif qui n'est pas forcément simple.
Deuxième élément, dans un axe qui a déjà été amorcé mais auquel il faut donner une traduction continue : développer la politique de l'espace. Nous manquons d'espace dans nos établissements. Ce développement passe par deux voies. Une première voie qui est de faire qu'on construise plus de bibliothèques universitaires. On livre à peu près en moyenne 50 000 m2de bibliothèque par an. Dans les processus de décisions de l'ensemble des acteurs - en particulier des collectivités territoriales puisqu'elles jouent maintenant un rôle déterminant dans les constructions universitaires - il faut faire prendre en compte ce que représente la bibliothèque pour l'évolution de l'enseignement supérieur. Il faut qu'on puisse accélérer en ce domaine mais, en même temps, que l'on puisse prolonger cela par des efforts de construction et de rénovation peut-être moins ambitieux, que j'appellerais des « mini-projets » d'aménagement et de construction qui peuvent, dans un certain nombre d'universités, changer assez radicalement les conditions de fonctionnement. Je pense qu'il y a beaucoup d'universités où des projets de 5 à 10 MF, menés plus rapidement, peuvent modifier les conditions de fonctionnement et, par là même, conforter une image positive. Il est déterminant que, finalement, nous puissions préserver l'image qui s'est très fortement redressée, améliorée, et qui est maintenant très positive. Il est d'ailleurs apparu clairement, dans les États généraux, que les étudiants défendent les bibliothèques. Cela passe par des projets forts, y compris quelques projets très forts qui puissent faire valeur d'exemples, mais aussi par des projets qui maintiennent l'espoir un peu partout.
Troisième élément : une politique de moyens. Je suis persuadé qu'on peut réussir à atteindre assez rapidement l'objectif qui était celui du Rapport Miquel, à la condition qu'on considère qu'une part passe par des développements de budgets et que l'État assume sa part, mais qu'on ait aussi conscience que ça passe par des réallocations de ressources. Et c'est l'objectif que je me donne : faire qu'à tous les niveaux de décisions, l'importance du fait documentaire, de la politique documentaire soit clairement prise en compte comme un élément d'arbitrage, en particulier par les présidents d'universités, qu'ils comprennent que le développement de la politique documentaire est aussi entre leurs mains et qu'ils doivent préarbitrer dans les allocations de ressources, au sein de leur université, dans cette direction. Il y a un chiffre que je donne toujours et je vais le redonner parce qu'il est extrêmement caractéristique : nous dépensons à l'heure actuelle en budget d'heures complémentaires au-delà des salaires des enseignants pour dispenser des heures de cours avec des personnels vacataires, nous dépensons sur l'ensemble des universités 1,4 milliard de francs et je pense que pratiquement jamais la communauté universitaire ne se pose la question de savoir s'il ne faudrait pas mieux légèrement diminuer la masse d'enseignement d'heures de cours pour développer les outils d'autoformation, en particulier les bibliothèques, comme source d'amélioration de la qualité de l'enseignement. C'est un débat qui me semble essentiel. Il faut absolument qu'à tous les niveaux les responsables universitaires comprennent que le portage d'une politique documentaire n'est pas simplement celui du ministère et du réseau, mais celui de l'ensemble des responsables universitaires. Ce qui veut donc dire que nous avons, dans les universités, un double enjeu : à la fois conforter les fonctions du réseau car il est clairement la source de la modernisation de nos bibliothèques, de la capacité à leur faire assumer la totalité de leur mission, par exemple il ne peut pas y avoir de fonctionnement correct des bibliothèques universitaires par rapport à l'appui aux chercheurs si on n'a pas cette fonction de réseau et si on n'a pas une cohérence de la carte documentaire. Et en même temps, nous devons faire que les bibliothèques universitaires soient clairement ressenties comme un enjeu de pilotage dans chaque université, comme un enjeu d'arbitrage, comme un niveau de choix politique.
C'est dans cette double intention que je souhaite, avec l'ensemble des acteurs, inscrire l'action de ma Direction. Je mesure bien d'ailleurs ce que cela veut dire comme difficultés sur l'exercice de la fonction de direction de bibliothèque : avoir constamment à l'esprit l'amélioration du professionnalisme, savoir porter toute cette vision de nécessité d'un réseau et en même temps se faire un agent local de persuasion, avoir une capacité non seulement technique mais politique d'agir dans son équipe de direction pour faire que l'ensemble d'une direction d'université, voire même des acteurs externes, telles que les collectivités locales, prennent en compte l'ensemble de ces points.
Voilà ce que sont les éléments que je voulais tracer et je voulais dire aussi que pour tout cela, il est extrêmement important que nous ayons à la fois une volonté et une capacité d'agir dans la durée mais aussi un certain nombre d'outils. Je dois dire que le travail qu'a mené, depuis plusieurs années, le Conseil supérieur des bibliothèques, à ce niveau d'alerte et d'éclairage des aspects nationaux de la politique documentaire, est un élément extrêmement précieux. Il faut rendre hommage en particulier à Monsieur Melot du travail qui a été effectué et dire aussi que nous souhaitons que le renouvellement du Conseil supérieur des bibliothèques lui permette de continuer son travail le plus rapidement possible, dire aussi, comme le disait Monsieur Dupuit, que nous avons souhaité donner pleine mesure à l'Inspection générale des bibliothèques parce qu'il nous semble que, dans sa fonction d'analyse et d'inspection, elle peut être un outil précieux pour faire avancer cette prise de conscience, enfin dire aussi que la qualité des rapports que nous entretenons avec la Direction du livre et de la lecture me semble un élément du développement du réseau des bibliothèques, dans lequel les bibliothèques universitaires doivent être un maillon important.
C'est beaucoup de travail, c'est beaucoup d'enjeux, mais je crois finalement que c'est extrêmement passionnant et je suis sûr que vous avez tous à coeur de participer, chacun dans vos fonctions, au développement de ce réseau documentaire. Merci.
NDLR - Les intertitres sont de la rédaction.