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    Jean-Sébastien Dupuit

    Par Jean-Sébastien Dupuit, Directeur du livre et de la lecture

    Une administration de mission

    La Direction du livre et de la lecture repose sur la notion de direction de mission, il faut entendre ce terme de manière classique administrativement et faire la distinction entre l'administration de gestion et la mission. L'article de M. Pisani l'a fait dans les années cinquante-soixante en les divisant. À l'heure actuelle nous sommes une administration de mission - nous ne représentons pas grand-chose face au petit Staline de l'autre côté de la Seine - avec une cinquantaine de personnes en administration centrale et très peu de moyens ; gérer directement n'est pas notre rôle. Ceci pourrait constituer un élément de faiblesse mais d'un autre côté nous nous situons en tant que direction d'un ministère de l'État au-delà du processus de la réforme de l'État, nous avons franchi ce seuil et ne devrions pas être affectés par d'éventuelles réorganisations.

    Notre direction correspond aux missions qui doivent être celles d'une administration centrale, cette situation s'explique parce que, dans le secteur des bibliothèques, une grande avance a été prise dans les années quatre-vingt par les réformes fondamentales liées à la décentralisation des bibliothèques qui, à mes yeux, constitue une grande réussite. Cette décentralisation ne s'est pas traduite par un renoncement ou un désengagement. Les mécanismes qui ont permis de la mettre en oeuvre et dont certains n'ont pas encore produit leur effet, je pense tout simplement à la mise en place de la fonction publique territoriale qui n'en est dans notre secteur qu'à ses débuts - les cadres d'emploi sont sortis en 1991 - et en ce moment même avec les progrès accomplis sur le plan de la formation des personnels, de recrutement aussi, nous allons voir se réaliser ce qui est la condition sine qua non d'un fonctionnement efficace de la décentralisation, c'est-à-dire une fonction publique territoriale qui soit tout à fait homologue de la fonction publique de l'État.

    Observer et garantir

    Nous avons une mission à la fois d'observation et de garant du fonctionnement des institutions qui relèvent de l'État. La principale d'entre elles est celle qui nous accueille aujourd'hui et vous avez pu mesurer à l'intérieur de ses murs l'importance de l'enjeu qui se joue ici et qui dans une large mesure s'est déjà joué puis-qu'un certain nombre de choses sont faites - je ne parle pas uniquement du bâtiment mais aussi des nombreux processus qui ont été engagés et qui sont sur la bonne voie. Nous sommes garants d'autres institutions qui relèvent de l'État, même si elles n'ont pas la même importance que la BNF, la Bibliothèque publique d'information dont nous avons souhaité qu'elle joue aussi bien son rôle d'établissement pilote que de partenaire d'un grand nombre d'établissements simultanément à son insertion dans le Centre Pompidou et, troisième élément qui me touche d'un peu plus près puisque j'en assure la présidence, le Centre national du livre.

    Nous avons cherché à renforcer son rôle pour la mise en oeuvre des politiques de l'État. Ces politiques, ce n'est pas l'État lui-même qui les entreprend, le rôle de la Direction du livre n'est pas de gérer mais d'observer, d'évaluer, de proposer, d'impulser des actions, des opérations précises qui dans leur mise en oeuvre concrète sont assurées par des partenaires.

    Nous avons vocation à être des Bernard l'Ermite et de nous installer dans la coquille des autres pour glisser un volet-livre/développement de la lecture et d'infléchir toutes les autres politiques. C'est la réponse au problème qu'évoquait Michel Melot et la manière de faire face à la multiplicité des tâches que vous devez affronter dans les bibliothèques. Ce n'est pas forcément en mettant en oeuvre des moyens strictement culturels mais en essayant de se greffer sur des politiques à caractère éducatif, pédagogique ou social. L'exemple le plus récent étant celui des emplois de ville sur lesquels nous allons essayer de greffer toutes les actions de développement d'emplois de médiateurs.

    Infléchir et modifier

    L'importance de notre rôle se situe dans la manière dont nous pouvons infléchir ou modifier un certain nombre de règles d'intervention, d'actions qui se passent ailleurs. La plus importante du point de vue des masses financières, et qui vous concerne directement, c'est ce budget de dotations globales de décentralisation qui n'est plus géré par le ministère de l'Intérieur mais par le ministère chargé des Collectivités territoriales. C'est l'existence même de ce concours particulier qui pour sa part d'équipement a permis que la décentralisation fût un succès car elle ne s'est pas traduite par un reflux de constructions de bibliothèques, bien au contraire, si l'on retrace le chemin parcouru depuis le 1er janvier 1986 - date d'effet de cette décentralisation.

    Aujourd'hui la priorité pour nous dans les réflexions et les modifications - et là on touche l'un des principaux sous-chantiers qui est prêt à ouvrir et à se réaliser dans le cadre de la loi sur les bibliothèques - de penser à la manière dont la première part du concours particulier sur le fonctionnement pourrait être rendue beaucoup plus incitative. Pour l'instant il s'agit d'une forme de remboursement à un taux dérisoire puisqu'il est d'environ 3 % et de dépenses de fonctionnement pour celles des bibliothèques qui se situent au-delà d'un certain seuil. À l'évidence il y a quelque chose à remanier. À une époque un certain nombre d'élus considéraient qu'il fallait supprimer ce concours purement symbolique pour le reverser du côté de l'équipement. Loin de moi l'idée que les équipements seraient suffisants et qu'il faudrait faire l'impasse sur les équipements, néanmoins il faut essayer de prouver tout en respectant l'esprit de la décentralisation, le caractère quasi automatique des aides dès lors que les bénéficiaires remplissent un certain nombre de critères, nous sommes en-dehors d'une intervention discrétionnaire de l'État et réfléchir aux moyens de rendre plus incitatif ce concours particulier, cette première part de fonctionnement.

    Les mécanismes actuels sont purement statiques. Une bibliothèque qui grâce à un effort de sa collectivité se situe au-dessus des seuils d'éligibilité depuis un certain nombre d'années peut vivoter du point de vue de ses moyens mais tant qu'on reste au-dessus de ces seuils il n'y a aucune sanction, le remboursement est effectué. Cependant pour une bibliothèque qui partirait de très bas avec une nouvelle équipe municipale décidant de prendre en main le dossier, de parvenir à un bon niveau de fonctionnement l'État ne dispose d'aucun moyen pour l'encourager et accompagner cet effort, même si le taux n'est pas considérable. Une révision des critères d'examen de la première part du concours particulier est certainement l'un des chantiers qu'il faut engager. En interne au sein de la Direction du livre nous avons commencé à travailler sur ce point et dans le cadre des concertations auxquelles donneront lieu la discussion sur la loi sur les bibliothèques nous aurons à présenter cela à des partenaires interministériels. À l'évidence l'accueil ne sera pas forcément favorable à nos propositions. C'est un exemple parmi d'autres d'un chantier de longue haleine que nous allons devoir entreprendre.

    Évaluer et contrôler

    Dans le rôle d'un État d'après la décentralisation, les missions d'évaluation et de contrôle sont très importantes, Michel Melot a fait la distinction entre le rôle d'une instance comme le Conseil supérieur des bibliothèques et celui de l'Inspection générale des bibliothèques qui examine des règlements et un certain nombre de situations particulières, éventuellement très délicates, qu'il s'agisse de situations de personnes ou de situations plus complexes mettant en cause toute une politique d'une collectivité à l'égard de sa bibliothèque. Je profite de la présence de M. Dizambourg pour nous féliciter des décisions prises et qui ont permis de reconstituer pleinement l'effectif de l'Inspection générale des bibliothèques en parfait accord avec le ministère chargé de l'Enseignement supérieur. Nous avons nous-mêmes apporté quelques emplois dans l'effectif et il y a depuis quelques mois une carte de France divisée en huit secteurs ce qui est un élément tout à fait précieux pour que nous puissions mener à bien nos missions.

    Enfin nous avons beaucoup parlé de la loi sur les bibliothèques, le ministre l'a évoquée, vous l'abordez dans vos travaux et ce sera pour nous un sujet de discussion des mois à venir, je voudrais non pas relativiser mais montrer que la loi est un outil parmi d'autres dans une action d'ensemble.

    Renforcer les réseaux

    Le thème de votre congrès prolonge celui de l'année dernière à Saint-Étienne sur les réseaux, cette question est très importante. Pour ce qui nous concerne nous devons essayer de renforcer ces réseaux de deux manières. La loi du point de vue strictement juridique doit y participer mais par ailleurs l'action de l'État doit y contribuer par d'autres moyens, les moyens contractuels. Je citerais en exemple le patrimoine et la restauration du patrimoine à l'occasion de la publication de la série sur le patrimoine des bibliothèques de France. Nous avons pu mettre en valeur la richesse et la diversité de ses fonds, nous avons pu pour ceux qui ont participé à la coordination, au recueil des textes, prendre toute la mesure de l'état dans lequel se trouve un certain nombre de ces fonds dans des bibliothèques de petite et moyenne importance qui ne disposent pas forcément de moyens notamment en personnel ne serait-ce que pour identifier les documents qui appellent des interventions. Il y a là tout un travail à mener : jusque-là en ce qui concerne nos moyens, c'est un des rares points où nous avions encore une action très centralisée, un petit peu archaïque, avec une gestion en administration centrale directement sur nos crédits de restauration. L'un des gros chantiers des années à venir, parce que cela prendra un certain temps comme a pris un certain temps la constitution des fonds régionaux d'acquisitions pour les bibliothèques, sera la mise en place d'un partenariat avec les conseils régionaux. La région est un bon échelon pour ce type d'intervention à tous égards, pour parvenir à la création soit par l'élargissement des compétences des actuels FRAB, soit par la création de fonds spécifiques, donc pour lancer des actions dans ce domaine et là l'objectif demeure identique avec ce travail en réseau satisfait par la voie contractuelle venant compléter la voie législative qui, en matière patrimoniale, a naturellement un grand objectif devant elle. N'oublions pas que nous avons cette particularité pour les documents des bibliothèques, à la différence d'autres types de documents ou d'objets patrimoniaux, et que ce sont paradoxalement les établissements qui sont classés et pas les collections. Il y a là une sorte d'archaïsme. Le mode de protection à définir est très complexe, s'agissant du patrimoine des bibliothèques : il y a là encore un chantier important à ouvrir.

    En conclusion

    Ce congrès, par les témoignages que j'ai pu recueillir, est tout à fait réussi et passionnant. Il était important qu'il se déroule ici, à la Bibliothèque nationale de France, car il vous a permis de mesurer l'importance de l'enjeu, important pour cet établissement et pour l'ensemble des bibliothèques. La bataille de la Bibliothèque nationale de France est la bataille de toutes les bibliothèques. Les discussions sont encore à mener non pas pour ouvrir l'équipement mais pour assurer la plénitude de ses missions et notamment les missions de réseau, afin que nous puissions faire comprendre à nos interlocuteurs à commencer par les élus que vous rencontrez quotidiennement dans votre action, qu'il s'agit d'un enjeu national et pas d'un caprice parisien au bord de la Seine. Tout ce qui a été dit sur le travail en réseau de la Bibliothèque nationale de France est capital et il faut arrêter de parler des coûts pharaoniques. Les niveaux atteints sont déjà importants et un effort doit être obtenu sur le budget 1997 mais il faut que l'opinion, à commencer par l'opinion politique, les décideurs, comprennent, et vous devez être l'un des moyens les plus utiles pour faire entendre cela, cet équipement n'existe pas uniquement pour satisfaire quelques lecteurs mais pour rendre des services à toute la collectivité nationale, à tous égards. C'est le mandat qui lui a été donné et c'est la politique de ses responsables. Son rôle est d'être au service de l'ensemble des bibliothèques par des moyens appropriés et c'est dans ce sens que l'on va de la plus grande à la plus petite.

    NDLR - Les intertitres sont de la rédaction.