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Le catalogage des "fonds inaccessibles" à la documentation du MNAM-CCI

1996

    Le catalogage des "fonds inaccessibles" à la documentation du MNAM-CCI

    Par Jean-Paul Oddos, Conservateur en chef

    MNAM = Musée national d'art moderne.

    CCI = Centre de création industrielle.

    Pour comprendre ce qui est enjeu dans ce programme de catalogage des « inaccessibles » (par référence au programme américain « unaccessible domain au sein du réseau RLIN), il faut revenir sur la collection de la Documentation, et souligner, au delà de sa taille (4,5 km de rayonnages, un million de documents), sa diversité et son hétérogénéité.

    Nous touchons là à son mode de constitution : sans retracer une histoire plus ancienne que les institutions actuelles, il faut se souvenir qu'elle s'est constituée (et se constitue encore) comme témoin d'activités (les principales expositions), par agrégation de fonds, par le suivi des mouvements artistiques, enfin par une politique d'acquisition aux contours plus ou moins arrêtés. En cela, cette diversité de constitution reflète les missions complexes (pour échapper au poncif du contradictoires ») de la Documentation, outil de travail interne, centre de référence et de ressources, lieu d'accumulation et de mémoire. Ce mode de constitution s'accompagne d'un mode d'accès traditionnel, avec des publics traditionnels, ceux-celles que l'on peut nommer les pairs - : relations directes, presque - domestiques parfois, très médiatisées toujours.

    Face à cela, trois facteurs de changement : l'affirmation de plus en plus marquée de la Documentation comme centre de ressources. Cette politique d'ouverture vers un public universitaire et étudiant, français et étranger, impose de repenser l'accès, d'offrir des outils de recherche, efficaces, peu médiatisés. La taille des collections ensuite, pour lesquelles on peut parler d'effet de seuil. À ce niveau, il faut dégager de nouvelles méthodes de gestion des fonds. Enfin la fusion de deux centres de documentation, personnels, collections, publics et savoir-faire, ce qui pose la question d'harmonisation des méthodes, des traitements, des accès.

    La situation en 1995 était la suivante: deux systèmes d'information, l'un documentaire », l'autre « bibliothécaire deux bases de données gérant des unités classiques » : livres, catalogues, articles de périodiques, ainsi que des photographies d'oeuvres à l'unité. Ainsi ne se trouvait pas prise en compte une part importante de la collection, celle qui lui donne sa couleur », qui fait sa singularité : les dossiers d'artistes, les archives et les manuscrits, les photos biographiques, les reportages, les matériaux liés à la préparation d'expositions... Ces documents forment masse, et si on ne les organise pas en unités cohérentes (comme l'est une monographie par exemple), ils se déclinent en centaines de milliers d'éléments (feuillets manuscrits, cartons, coupures de presse, tracts, diapositives, tirages papier...).

    Le projet énoncé en 1995 avait trois composantes essentielles : amener ces documents multiples au même niveau d'accessibilité que les documents «classiques » ; procéder à un vaste inventaire des richesses représentées par ce domaine, et voir comment elles s'insèrent dans le « tissu documentaire; rechercher une unification du traitement de ces documents, quels qu'ils soient, et dégager des règles communes. Il s'agit donc d'une démarche volontariste (renforcée par les échanges établis avec nos collègues canadiens du RCIP (1) et américains du MOMA (2) ), et d'une démarche unificatrice, fondée sur une réflexion commune et des compromis. Intérêt majeur pour un service en constitution, où les échanges ne vont pas toujours de soi.

    Un mot sur la méthode : d'abord un groupe de travail, avec des représentants des différentes parties de la collection, des « experts ès catalogue, et la recherche d'avis externe. Des étapes ensuite : une période de réflexion sur le papier, entre mai et novembre, des essais et des corrections, un début de travail accompagné de la prise en compte des tâches concrètes liées à ce traitement : tri, classement, conditionnement, collationnement, microfilmage, choix des cotations et du stockage, sélection des ensembles prioritaires dans chaque partie de la collection. Un démarrage un peu lent donc, puis un test en taille réelle en février-mars 1996, entraînant des corrections et une « norme provisoire arrêtée jusqu'à la fin de l'année 1996: ainsi 500 dossiers d'artistes ont été saisis pendant cette phase.

    Quel a été le contenu de notre réflexion ?

    Pour résumer, notre objectif est de constituer des « recueils factices » de documents en croisant des critères matériels et intellectuels, et de les signaler, même sommairement, en utilisant le cadre du format d'échange Unimarc. Ceci passe par la définition du « champ » à traiter : on peut distinguer, de façon pratique, trois types de recueils : les recueils factices créés autour d'un artiste, d'un mouvement ; en constitution lente, continue, ils ne sont, par nature, jamais clos. Ceux créés autour d'un événement particulier (par exemple, une exposition) : ce sont des ensembles bornés, qui renvoient à une entité déjà définie ailleurs (par une date, un lieu, un titre, un ou des responsables). Enfin ceux constitués par un artiste ou un collectionneur (fonds acheté ou légué), clos en principe au moment de l'entrée.

    Il faut aussi préciser cet objectif, déjà perceptible dans le terme signaler,,: il s'agit de donner un signalement simple, pour permettre d'être rapidement exhaustif, donc de choisir une description ouverte, perfectible. Il faut prendre en compte les données de conset ation et de communication, donc trouver l'unité la plus adaptée à la manipulation, au stockage, au prêt, à la consultation, ainsi qu'à la reproduction par microfilmage ou numérisation.

    Il était nécessaire de prendre en compte ce qui était disponible en terme de normes pour ne pas s'aventurer ; les grilles de signalement élaborées s'inspirent en grande partie de normes existantes, Z44 061 pour les titres forgés, norme sur l'image fixe... Il serait souhaitable qu'un travail normatif s'engage maintenant dans ce domaine.

    Dernier élément : il nous a fallu tenir compte des possibilités et des limites du logiciel Geac-Advance que nous utilisons pour les liens de rattachement du recueil vers le fonds auquel il appartient ou, à l'inverse, du recueil vers la description ultérieure du contenu pièce à pièce (cas des manuscrits, en particulier). Les liens qui existent sont des liens de signalement, mais pas des liens " actifs ».

    Les résultats actuels

    D'une part trois grilles de saisie sont disponibles, avec un titre permettant une identification rapide et claire, et avec les tris souhaitables. Ainsi sur le concepteur Gaetano Pesce, on pourra trouver des ensembles : <Recueil Pesce Gaetano. PHOTOGRAPHIE>, <Recueil Pesce Gaetano. DOSSIER>, <Recueil Pesce Gaetano. ARCHIVES>. Un recueil constitué autour de l'exposition consacrée à ce concepteur aura la forme : <Recueil Gaetano Pesce. DOSSIER>, etc.

    D'autre part beaucoup d'éléments sont donnés par défaut, ce qui rend la saisie très rapide. Le travail essentiel se situe en amont, dans le tri et l'établissement du dossier ou de la liasse à décrire. Enfin, dans de nombreux cas : manuscrits, reportages photos, dossiers « clos a collation donnée (qui s'accompagne d'un marquage sur les documents) prend un statut définitif.

    Intérêt de la démarche

    La réflexion menée et le travail en cours suscitent un intérêt réel au sein de la Documentation. Cela a été ressenti comme la possibilité de «mettre de l'ordre » dans des fonds qui apparaissent insaisissables, presque confus. C'était se donner une méthode d'approche.

    Cela permet, en second lieu, une interrogation sur les outils informatiques disponibles, à la fois réflexion sur leurs capacités et leurs limites, et possibilité d'une vision plus claire sur les outils nécessaires à l'avenir.

    L'intérêt est loin d'être purement « interne« : c'est la possibilité de coopérer, d'échanger informations et expériences, afin d'aboutir à une approche commune. Ce travail, on le sait, est au centre de la réflexion du groupe de travail Documentations XXe siècle.

    Et naturellement, intérêt majeur, c'est la mise à disposition de la communauté scientifique de gisements documentaires importants. Que l'on songe aux possibilités ouvertes par la mise à disposition des catalogues par Internet.

    Pour conclure, il ne faut pas cacher que ce programme comporte certains risques. Moins celui auquel on songe évidemment, celui de l'ouverture de ces fonds au public des chercheurs : ce travail, on l'a vu, doit être accompagné de mesures de collationnement, de conditionnement voire de microfilmage. Le risque est plutôt, à mon sens, celui d'une offre documentaire indifférenciée, ou du moins insuffisamment hiérarchisée entre les documents. Cela doit mener à une réflexion sur les outils de recherche, éventuellement sur une différenciation plus marquée, en amont, entre les ouvrages de synthèse, les travaux divers et les sources proprement dites. Mais cela relève d'un autre débat.

    1. Réseau canadien d'information sur le patrimoine (Ottawa). retour au texte

    2. Museum of Modern Art (New York). retour au texte