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    A la BPI

    Par Dominique Baude

    Depuis juin 1995, la Bibliothèque publique d'information a ouvert son site Internet et propose à son public neuf postes de consultation du réseau dans ses espaces de lecture.

    L'objectif, comme pour la plupart des établissements de même nature, était double : proposer à des utilisateurs distants son catalogue, mais aussi des documents édités par la bibliothèque, et permettre à son public sur place d'accéder à l'information disponible sur le réseau. Deux flux d'information parallèles, mais parfaitement complémentaires.

    Internet est de plus en plus une extraordinaire possibilité de « pulvériser les murs d'une bibliothèque. La BPI, bibliothèque sans magasin, ne pourra jamais, même avec l'aide des documents électroniques, augmenter de manière importante son offre documentaire « sur place ». L'information en réseau balaie la notion de « place disponible » dans les espaces de lecture, puisque la possession d'un document n'est plus indispensable pour sa consultation. Si les fonds disponibles sur place restent, et resteront encore longtemps, le noeud de toute recherche, leurs prolongements n'auront bientôt plus de limites.

    Le texte qui suit n'est pas le lieu d'un large débat sur Internet et les fonds documentaires, mais présente des réflexions permettant de mieux comprendre la démarche de la BPI.

    Internet est avant tout un outil de recherche documentaire et, à ce titre, doit suivre la politique générale de l'établissement : gratuité et libre accès.

    Ces deux éléments ont imposé dès le départ des restrictions à l'utilisation du réseau. En l'absence d'identification des utilisateurs des neuf postes de consultation, la BPI est seule responsable de leur utilisation. Donc pas de messagerie et pas d'échange de fichiers (FTP) ; en revanche, une liberté totale de se promener sur le réseau que ce soit en mode Telnet ou Web.

    Pour que ces postes soient des outils de recherche documentaire ou d'information, il fallait ouvrir des « voies » à un public non initié, lui proposer des pistes de recherches, des exemples. Dans la mesure du temps disponible pour cette activité, des sites on été visités ", analysés et proposés. Internet étant un réseau vivant, proche de l'actualité, les événements politiques, culturels, sociaux, etc., ont été proposés dès qu'ils avaient un site Web.

    Après un an et demi de fonctionnement, quelle est l'utilisation de ces postes ? Une enquête de trois mois auprès des utilisateurs sera publiée prochainement et permettra de mieux appréhender la situation. Pour l'instant la simple observation permet les quelques remarques suivantes à la fois sur les utilisateurs et les usages.

    Les utilisateurs sont en grande majorité des hommes jeunes ». En cela le public de la BPI n'est pas différent de celui qui s'adresse à un prestataire de service. Par contre, il n'est peut-être pas le public habituel de l'établissement. En effet certaines personnes ne viennent vraisemblablement « que » pour Internet et ne franchissent pas l'entrée de la bibliothèque (quatre des postes ont été installés à quelques mètres de l'entrée des espaces de lecture). Il s'agit souvent d'un public passionné, pouvant rester plusieurs heures debout devant les postes, et revenant très souvent (voire tous les jours pour certains). À côté de ce petit groupe, il y a ceux que l'on pourrait appeler les curieux, ceux qui n'osent pas vraiment «toucher», mais qui regardent, s'informent, discutent, et viennent ensuite aux séances de formation qui sont organisées deux fois par semaine. Et puis, enfin, pour la pleine satisfaction du bibliothécaire, il y a ceux qui de temps en temps consultent un catalogue de bibliothèque, un site qui leur était signalé sur les écrans de la BPI, ou qui se lancent dans une véritable recherche à partir de Yahoo, Lycos, ou autre. Bien sûr, cette vision est un peu simple ; elle relève surtout de l'observation, mais elle est certainement très proche de la réalité.

    Ce n'est pas ce qu'avaient prévu les bibliothécaires.

    Les écrans Internet de la BPI n'ont pas vocation de permettre à tous les étudiants de Paris de consulter leur boîte aux lettres et de répondre à leur courrier (par le biais de Telnet, cette fonction est toujours possible, même si la fonction «messagerie» des logiciels navigateurs est bloquée), de même qu'ils n'ont pas vocation de permettre aux passionnés de jeux de rôle d'expérimenter à l'échelle mondiale ce qui, jusqu'à présent, s'épanouissait dans des univers plus restreints.

    Pour limiter cette appropriation à des fins totalement personnelles d'un outil plutôt «collectif», des panneaux ont été posés à côté des postes, signalant qu'en cas d'affluence, messagerie et jeux de rôle n'étaient pas autorisés. Bien entendu le respect de ces consignes passe par le sens « civique de chacun, et ce sens civique fait parfois cruellement défaut.

    Doit-on remettre en cause les notions de gratuité et de libre accès ?

    La gratuité, certainement pas ; les bibliothèques ont un rôle très important à jouer, en particulier les bibliothèques publiques, dans l'accès pour tous à l'information. Elles sont, avec les écoles, les seuls lieux où chacun pourra se former à ce nouveau moyen de communication et d'information, et on sait à quel point l'information est, et sera, un élément clé de la réussite sociale et personnelle.

    Le problème est différent pour le libre accès Les espaces d'une bibliothèque sont des lieux où l'information a été structurée, organisée, mise en scène, afin d'aider au mieux le lecteur. Internet peut aussi donner lieu à une telle démarche. Il suffit pour cela de sélectionner des sites, des sources d'information, et d'interdire toute autre consultation. Dans ce cas ce n'est plus Internet qui est consulté, mais des bases de données accessibles par Internet, comme le sont certaines par Transpac actuellement. C'est certainement la solution la plus simple, la plus facile, celle qui ne permet aucune dérive, aucun détour intellectuel et qui nécessite le plus de travail, de recherches, de la part du personnel ; mais surtout c'est celle qui transforme un extraordinaire moyen de communication, d'échange, de liberté intellectuelle, en "catalogue" figé de bibliothèque.

    Cette solution n'est pas envisageable autrement que sur quelques postes particuliers. En effet brider ainsi l'hypertextua-lité proposée par des systèmes tels que le World Wide Web revient à nier ce qui fait toute la richesse, la convivialité, la nouveauté d'un tel réseau.

    Aucune solution satisfaisante ne peut être trouvée actuellement : Internet est à la fois trop récent, trop l'objet de grandes manoeuvres publicitaires, et trop peu «offert» au grand public. Le jour où d'autres établissements proposeront des postes Internet libres et gratuits, la BPI pourra développer une politique d'accès à la fois plus documentaire, plus cohérente, tout en préservant la liberté de recherche de chacun, et cela par des moyens qui restent à définir.