Index des revues

  • Index des revues

L'enjeu de la société de l'information au XXIe siècle

1997
    ⇓  Autres articles dans la même rubrique  ⇓

    L'enjeu de la société de l'information au XXIe siècle

    L'information "riche" contre l'information "pauvre"

    Par Joe D. Hendry
    Par Danièle Peret, Trad

    (1) Chers Collègues, l'inscription sur cette médaille présidentielle que je porte affirme : « Le génie de l'homme est la propriété de chacun. " Quand nous, bibliothécaires, parlons de notre rôle-clef dans les bibliothèques - éduquer et informer le peuple - et que nous discutons du rôle des bibliothèques dans l'éducation permanente, nous parlons d'un processus dans lequel les bibliothèques à fonds publics de toutes sortes se sont toujours impliquées, dès l'invention des bibliothèques publiques, dans leur sens le plus large et le plus libéral.

    Mais maintenant, nous parlons d'autre chose. D'une dimension très différente. Nous assistons aujourd'hui à l'émergence de la société de l'information. Une société dans laquelle le danger est grand de voir se creuser le fossé entre l'information « riche » et l'information « pauvre », où le rural et le citadin défavorisé deviendront de plus en plus désavantagés et marginalisés.

    L'invention de l'imprimerie la révolution Gutenberg, comme on l'appelle parfois - a été, c'est vraisemblable, l'évènement le plus important de ce millénaire qui approche de son terme. Elle a entraîné la Réforme, qui a été en soi une révolution. Elle a stimulé la Renaissance et engendré la révolution industrielle. Dire de ce monde merveilleux, qui est le nôtre, qu'il n'a plus jamais été tout-à-fait le même depuis est, me semble-t-il, une litote.

    Nos regards se portent vers un nouveau millénaire, et nous sommes au seuil d'une révolution qui promet d'être aussi profonde et d'avoir des conséquences aussi considérables que celle de Gutenberg. La transmission électronique de l'information peut créer une nouvelle société très différente de celle que nous avons connue. On peut lire dans le rapport Bangemann, publié en mai 1994 : « Dans le monde entier, les technologies de l'information et des communications génèrent une nouvelle révolution industrielle déjà aussi importante et aux conséquences aussi grandes que celles dupasse.

    » C'est une révolution qui est fondée sur l'information, elle-même expression du savoir humain. Le progrès technologique nous permet maintenant de traiter, de stocker, de rechercher et d'extraire l'information et de la communiquer sous quelque forme que ce soit, orale, écrite ou visuelle, sans les entraves de la distance, du temps et du volume.

    Cette révolution ajoute d'énormes capacités nouvelles à l'intelligence humaine et constitue une ressource qui change la façon dont nous travaillons ensemble et dont nous vivons ensemble. »

    L'information, denrée commerciable

    Et que cela nous plaise ou non, nous qui travaillons dans des bibliothèques à fonds publics sommes forcés de reconnaître que cette ressource, l'information, est une denrée commercialisable. En conséquence, beaucoup d'entre nous qui travaillons dans les secteurs traditionnels, à financement public, des bibliothèques et d'exploitation de l'information, pouvons connaître des émotions et des sentiments très divers, qui vont du simple inconfort, de la simple gène à quelque chose proche de la peur, voire de la peine.

    L'éthique du service des bibliothèques publiques en Grande-Bretagne, ces 150 dernières années, a été fondée sur les principes d'accès libre et gratuit à la connaissance et à l'information pour l'individu, ressource qui procure la possibilité de bénéficier d'une éducation permanente, payée par la communauté au profit de l'individu, et même pour son enrichissement intellectuel personnel.

    Comment cette éthique de toujours peut-elle s'accommoder du dogme de l'économie de marché, de l'information comme denrée commercialisable, d'une offre de services compétitifs, et du syndrome, observé d'abord en Nouvelle-Zélande, à savoir : « c'est l'usager.. qui paie Nous, dans le service public, sommes confrontés à une révolution de l'information engendrée par les forces du marché du secteur privé.

    En pratique, quels en seront les effets sur notre société, notre communauté, notre famille?

    Nous ferions bien de méditer ces paroles de Francis Bacon, contemporain de Shakespeare, paroles dont la justesse avisée a parcouru les siècles jusqu'à nous, grâce à Gutenberg : « Celui qui n'appliquera pas de nouveaux remèdes doit s'attendre à de nouveaux maux: car le temps est le plus grand innovateur. »

    Sir John Potter, maire de Manchester, en inaugurant, en 1852, la première bibliothèque publique libre et gratuite, résultat de l'Acte de 1850 sur les bibliothèques publiques en Grande-Bretagne, déclara très clairement que cette institution était destinée « ... aux besoins du savant et de l'étudiant de toute classe ».

    Je fais cette citation pour que nous ayons présent à l'esprit le contexte historique dans lequel les bibliothèques à fonds publics se sont développées, leur éthique originelle, et pour nous rappeler que ces bibliothèques publiques ne fournissent pas simplement de l'information, mais concernent l'éducation sous toutes ses formes, les possibilités de s'instruire, de renforcer ses compétences, d'accéder à l'éducation permanente sous tous ses aspects.

    L'éducation et la formation ont un rôle critique à jouer en soutenant l'accès à une société de l'information globale, et cela a été reconnu dans maints documents politiques du Royaume-Uni, c'est à la fois un rôle d'inspiration et d'information qui élève les niveaux de conscience et de compétence dans toutes les couches de la société et de la population active, et on continue à soutenir l'éducation permanente au rythme de l'évolution rapide de la technologie et de ses applications potentielles.

    Nous nous décrivons comme une profession, la profession des bibliothèques et de l'information. Mais sommes-nous, authentiquement et de tout notre coeur engagés dans cette définition? Des observateurs ont dit de nous, qui sommes dans le secteur public de la bibliothèque et de l'exploitation de l'information, que nous étions sur la défensive, que nous traînions un peu les pieds, pour ainsi dire. Je suggérerais que, psychologiquement, nous sommes beaucoup plus près du sol encore, peut-être jus-qu'à genoux.

    Mais nous appartenons au domaine des livres et du beau parler, et de la dissémination de l'information, devrions-nous rappeler la vibrante déclaration de la Passionaria, la grande oratrice républicaine de la guerre civile en Espagne : « Mieux vaut mourir debout que vivre à genoux. Camarades, debout!»

    Ayons donc confiance et le sentiment de notre propre valeur. En conséquence relevons les défis de cette nouvelle société de l'information. L'information, le savoir, son exploitation, l'éducation permanente sont notre territoire naturel.

    Dans ce contexte, j'espère que la voie dans laquelle nous nous sommes engagés dans le comté de Cumbria aujourd'hui peut présenter un certain intérêt pour vous. C'est une initiative menée par le service des bibliothèques publiques. Nous l'appelons le Projet Genesis.

    Vous avez tout d'abord besoin de savoir quelques éléments sur le comté de Cumbria (2) .

    • C'est la région la plus isolée d'Angleterre. Elle couvre 6 800 km2 et est située dans l'extrême nord-ouest de l'Angleterre - une région belle et particulière : le pays des lacs, cher au poète William Wordsworth.
    • Sa population compte 492 000 habitants ; et 46 % de cette population vit dans des agglomérations de 10 000 habitants au moins. En superficie, c'est le deuxième comté d'Angleterre. Sa population active est de 250 000 personnes.
    • Quant à son économie, elle est dominée, surtout sur la Côte Ouest, par l'industrie nucléaire, à Sellafield et à Vickers, et par la construction de sous-marins nucléaires à Barrow. Il se peut qu'on assiste dans le futur au désarmement des sous-marins nucléaires.

    En termes d'éducation :

    • Il y a de nombreuses petites écoles primaires (dont certaines ont 48 inscrits), souvent isolées, qui ont de grandes difficultés à faire face aux exigences du programme scolaire dans son intégralité; de la même façon, il y a de nombreuses écoles secondaires qui ont de 100 à 150 élèves mais pas de classe terminale. Il n'y a donc aucune possibilité de passer le bac (le A Level), nécessaire pour s'inscrire à l'université. Il est aussi très difficile de proposer à ces jeunes pour leur avenir les indispensables possibilités en matière d'enseignement., de même qu'il est difficile d'atteindre les quota suffisants pour que les cours d'éducation permanente soient viables.
    • Les études supérieures ou en université sont extrêmement limitées. Avec les contraintes du financement alloué à l'enseignement supérieur, un cursus universitaire est inenvisageable pour beaucoup de jeunes. Seuls trois comtés en Angleterre n'ont pas leur propre infrastructure pour des études post-bac : la Cumbria en fait partie.
    • - D'où le fait qu'un tiers des bacheliers seulement poursuivent leurs études - 10 % de moins que la moyenne nationale. Près de 50 % de ceux qui partent pour poursuivre leurs études ne reviennent jamais.

    Cependant, les inscriptions dans le comté à « l'université ouverte de Grande-Bretagne sont de 25 % supérieures à la moyenne nationale.

    C'est pourquoi nous avons une réelle demande pour des études supérieures mais une désertion de jeunes talents.

    En résumé, le comté de Cumberland, c'est une région très isolée, avec très peu de possibilités en matière d'éducation. Avec des industries traditionnelles du charbon, du fer et de l'acier qui ont pratiquement disparu, elle dépend de ses industries nucléaires, de l'agriculture et du tourisme. Ses infrastructures sont médiocre, son tourisme est presque contre productif, consistant en des excursionnistes d'un jour, des touristes avec sac à dos : ce n'est pas le haut de gamme du marché du tourisme en terme de pouvoir d'achat. D'année en année, le comté perd ses meilleurs jeunes talents. Tout cela a donc un impact considérable non seulement en matière d'éducation, mais aussi en termes économiques et sociaux. Voilà le problème.

    Nous choisissons d'en relever le défi.

    Un défi supplémentaire, cependant, réside dans la difficulté qu'ont les autorités locales et les autres agences publiques à transmettre l'information aux usagers locaux et aussi à permettre aux individus et aux représentants des communautés locales d'accéder à l'information sur les services publics : de demander, de chercher aide et conseils, et même de pouvoir se plaindre efficacement.

    Si la principale autorité locale est distante de 150 km de l'endroit où vous habitez - c'est la distance entre Barrow et Carlisle, les deux principales villes de Cumbria - il est extrêmement difficile de créer un sentiment d'identité et de communication partagée.

    Ainsi donc avons-nous des défis majeurs en matière d'éducation, face aux problèmes économiques et sociaux, et le défi aussi de développer une stratégie afin de créer une démocratie participative régionale dans les communautés de Cumbria.

    Une partie de ce défi est d'aborder les problèmes de communication et du transport de la quatrième ressource : l'information. Drucker voit trois ressources-clef dans toute organisation : les gens, les infrastructures, le financement; il constate ainsi que la quatrième ressource qui lie toutes les trois entre elles est l'information.

    Notre vision dont nous voulons qu'elle devienne réalité, nous l'avons appelé le projet Genesis. Parce qu'il marquera une renaissance des chances pour le Cumbria au XXIe siècle et dans le nouveau millénaire, son sous-titre est le Projet d'éducation permanente du comté de Cumbria.

    Qu'est-ce que cela implique et comment y parviendrons-nous ?

    • * en reliant les écoles dans toute le comté de Cumbria afin d'améliorer la qualité de l'éducation et les aptitudes à enseigner de façon novatrice.
    • * en interconnectant les instituts universitaires qui existent, puis en les reliant à toutes les écoles du comté.

    Cela donnera des chances en matière d'éducation à tous les niveaux, indépendamment de la localisation de l'institution académique ou de l'école.

    • * en permettant à tous les organismes du service public de partager et de diffuser l'information de façon à proposer un service accessible à toutes les communautés régionales, ce qui est tout simplement impossible à présent.
    • une conséquence directe sera que la population du comté aura accès à des renseignements très nettement améliorés sur les services qui lui sont offerts. Elle aura la possibilité d'avoir des réponses à ses questions, et de voir ses problèmes traités sans se déplacer.
    • * Nous voulons fournir le moyen de développer de nouvelles facilités pour l'enseignement supérieur à distance à partir des débouchés universitaires existant dans le comté et des débouchés nouveaux résultant de Genesis ainsi qu'à partir d'institutions académiques dans tout le Royaume-Uni et dans le monde entier.
    • Nous voulons créer la possibilité pour l'industrie du tourisme du Cumberland de fournir un réseau d'informations.
    • * Nous voulons proposer un équipement de bibliothèque électronique qui donnerait accès à tous les livres et à toutes les publications dans tous les organismes qui forment le réseau. Cela donnerait naissance à une bibliothèque sans support écrit, virtuelle. Notre intention est d'avoir une bibliothèque électronique modèle au Cumbria et une Ecole de management de l'information, partie essentielle de ce projet.

    Une nouvelle sorte d'université

    Et ce que nous recherchons, c'est une nouvelle sorte d'université, une nouvelle façon de dispenser l'enseignement supérieur dans le Cumbria et au-delà, au XXIe siècle. Une université du peuple, exactement comme le service de bibliothèque publique a été considérée pendant plus de cent ans comme l'université du travailleur ». L'actuel réseau à financement public des bibliothèques scolaires, universitaires et publiques peut être le socle sur lequel se bâtit cette nouvelle forme d'université, si nous saisissons les occasions qu'apporte la révolution de la transmission de l'information, si nous proclamons l'éducation et non les loisirs comme notre priorité, si nous considérons nos fonds en livres comme un investissement pour l'information.

    Vous pensez que cela n'arrivera pas?

    Cela arrivera avec ou sans nous. Si c'est sans nous, cette révolution - » sera menée par ceux qui n'ont pas de culture ou d'engagement dans ce que nous appelons l'éthique du service des bibliothèques publiques, éthique qui maintient que l'accès à l'information et aux connaissances, l'enrichissement culturel et intellectuel du citoyen, sont des droits démocratiques, inséparables valeurs traditionnelles des bibliothèques publiques. Si nous ne saisissons pas cette chance, cette éthique s'effritera et finira par se perdre. Si nous avons confiance en notre vocation en tant que professionnels, si nous maintenons notre credo dans le service public et gardons la vision de notre culture professionnelle et nous y conformons toujours, dans le futur, alors nous y arriverons.

    Notre rôle, à l'origine, au XIXe siècle, était l'éducation et l'information du peuple. Nous avons maintenant une ouverture. Il nous faut la saisir, saisir les occasions qu'apporte la technologie de l'information et les adapter à notre valeur-clef traditionnelle de l'éducation permanente à la poursuite de l'éducation dans son sens le plus libéral. Mais cette ouverture ne durera pas longtemps. Il nous faut saisir cette chance maintenant. Et qui mieux que William Shakespeare, le plus grand écrivain de langue anglaise, peut rappeler aux bibliothécaires l'importance des temps particuliers et de la chance? Ses mots ont parcouru les siècles jus-qu'à nous grâce à la magie de l'imprimé. Il fait dire dans jules César:

    « Il y a une marée dans les affaires des hommes/ Elle porte au succès, prise à son flux/ Mais, celui-ci manqué, le voyage de vivre/ Echoue dans les misères et les sable.! Nous sommes aujourd'hui à marée haute/ Prenons le flot tant qu'il est favorable/ Ou ce qui est risqué sera perdu. » (3)

    1. *Né à Glasgow, Joe D. HENDRY est le premier président de l'Association des bibliothèques du Royaume-Uni élu directement par les adhérents. Il ne cache pas ses opinions politiques travaillistes. Connu pour son travail dans les bibliothèques pour adolescents, il a exercé à Glasgow, Greenock et dans les Comtés de Renfrew, Hertford et Cumbria. Il a été président de l'Association des bibliothécaires écossais et lauréat de plusieurs prix professionnels et universitaires. retour au texte

    2. Comté formé en 1974 par la réunion du Cumberland et du Westmorland. Chef lieu : Carlisle (Ndlr). retour au texte

    3. Traduction d'Yves Bonnefoy. retour au texte