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    Le droit à l'information au Portugal

    Par Maria-José Moura, Vice-présidente Conseil supérieur des bibliothèques portugaises

    A border le thème qui m'a été proposé, dans le contexte de ce congrès de l'ABF sur « Bibliothèques et citoyenneté » m'amène directement à la nécessité de donner un aperçu, bien que bref et superficiel, de l'évolution de mon pays, en ce qui concerne ces aspects, et particulièrement, de quelques problèmes ou conditions de base qui lui sont associés étroitement.

    Il est nécessaire de revenir plusieurs centaines d'années en arrière si l'on veut même comprendre le passé récent et la situation actuelle de ce petit pays périphérique de l'Europe qui a su conserver ses frontières les plus anciennes frontières européennes inchangées - et, en même temps, au long des siècles, s'est ouvert par la découverte à des mondes inconnus, à des échanges de cultures, depuis l'Extrême Orient jusqu'au Brésil ou aux pays d'Afrique qui ont lutté et obtenu récemment leur indépendance. Cela nous rend conscients du rôle de la langue dans les intentions de cette conférence et m'amène à rappeler que le portugais est la cinquième langue au monde par le nombre de personnes qui l'utilisent (environ 200 millions de personnes) en Afrique, Amérique, Asie et Europe.

    En dépit de l'amabilité proverbiale des gens de mon pays et de la modération de nos habitudes et de notre art de vivre, son histoire, comme d'ailleurs celle des autres peuples, comporte des contradictions et des clairs-obscurs. En ce qui concerne plus directement notre thème de réflexion, je dois rappeler surtout les limitations apportées à la liberté d'expression, verbale et écrite : l'Inquisition y fut instaurée en 1536, 58 ans après l'Espagne et, immédiatement, la censure fut instituée comme on le constate dans tous les régimes autoritaires.

    On peut même affirmer que la censure s'est exercée à l'encontre de la production intellectuelle pendant quatre des cinq siècles de l'imprimerie. L'invention de l'imprimerie avait représenté une grande révolution culturelle et, tout au long du XVIe siècle, les hommes de culture avaient découvert dans l'enthousiasme la pensée, l'art et la science de l'Antiquité ce qui remit en question le principe de l'autorité de l'Église du Moyen Age pour qui la divulgation offerte par l'imprimerie présentait, de toute évidence, un danger.

    L'Inquisition et la censure

    De ce fait, à l'origine, l'activité éditoriale au Portugal s'est trouvée très limité : dans les listes de livres interdits ou censurés figuraient d'abord et surtout des oeuvres étrangères, et plus précisément tout ce qui traitait de la théologie, de la philosophie ou des sciences et présentait certaines divergences plus ou moins importantes avec la doctrine des anciens, c'est-à-dire, avec l'orientation dominante.

    Le premier index connu de livres interdits remonte à l'année 1547 et porte la signature du Cardinal Infant D. Henrique, qui devint ensuite roi du Portugal.

    Sept autres index de ce genre sont recensés qui furent établis de 1547 à 1624. Ainsi, pendant des décennies, des milliers d'ouvrages écrits par les auteurs les plus importants de notre pays mais aussi presque tous les autres livres appartenant à la culture universelle furent interdits ou systématiquement et minutieusement censurés, corrigés, rayés, les pages furent arrachées par des censeurs qui n'avaient pas le moindre respect pour les oeuvres artistiques ou scientifiques, ni évidemment la moindre notion de ce qu'étaient les droits d'auteur.

    L'obscurantisme, qu'il soit de caractère religieux ou politique, livra une dure bataille aux savants et aux artistes qui se consacrèrent avec succès et parfois jusqu'à atteindre malgré tout une renommée mondiale, à l'expérimentation scientifique ou à la littérature tout au long de l'histoire de la culture portugaise. Marcel Bataillon, par exemple, souligne avec ironie comme «admirable» la phrase très significative d'un censeur portugais connu, contemporain d'Erasme, « qui, horrifié, décrivait ce dernier comme « un homme ami des nouveautés» !

    Successivement, la censure officielle présenta deux aspects distincts :

    • la censure inquisitoriale qui sévit du XVIe siècle à la moitié du XVIIIe siècle ;
    • la Real Mesa Censôria, la censure royale qui l'a remplacée en 1768, par décision du Marqués de Pombal, le ministre tout-puissant du roi D.José I.

    Pour la première fois au Portugal, la liberté d'expression fut constitutionnellement reconnue en 1822

    Si la censure préalable fut abolie en 1822, on constata jusqu'en 1933 des avancées et des reculs fréquents de la liberté d'information au travers des décrets très divers qui avaient pour objet, non seulement ce qui était publié au Portugal, mais aussi les abonnements aux journaux étrangers. Cependant, il est avéré que les atteintes à la liberté d'expression ne furent pas comparables, par leur rigueur, à celles qui, un siècle plus tard, en dépit des apparences, caractérisèrent l'établissement de ce que l'on a appelé l'État Nouveau, surtout à partir de 1933, sous la main de fer de Salazar et de sa police politique.

    Ainsi, très rapidement, la censure devint l'un des principaux instruments de la dictature et son influence gagna tous les domaines de la vie sociale jus-qu'à l'école et l'université, des milieux artistiques au monde scientifique, de la presse jusqu'aux autres moyens de communication sociale existants, créant un climat pesant et générale de répression qui s'étendit de l'interdiction de libre association jusqu'à l'espionnage des conversations de café.

    Ainsi, un demi-siècle de la vie du Portugal resta dans l'ombre et c'est seulement à partir de la révolution libératrice du 25 Avril 1974 que la société portugaise connut une énorme décompression à tous les niveaux. La fin de la guerre coloniale et le retour à la liberté d'expression sont les deux aspects emblématiques qui viennent immédiatement à la mémoire de ceux qui ont vécu ces moments inoubliables.

    Durant cinq décades, les écrivains et les journalistes, pour éviter la prison ou l'exil, durent retenir leurs écrits, ce que nous pouvons qualifier d'autocensure. Même après la révolution du 25 avril, les romans et les grandes oeuvres que l'on imaginait dissimulés dans les tiroirs de leurs auteurs n'apparurent pas immédiatement.

    En fait, la censure a profondément marqué des générations d'artistes et d'écrivains. L'explosion de la liberté réprimée pendant tant d'années a provoqué immédiatement l'éclosion d'une multitude de partis politiques, jusqu'alors totalement interdits, et la libre circulation de journaux et revues nationaux aussi bien qu'étrangers.

    L'absence totale de tradition dans le domaine des bibliothèques publiques se traduisit par le fait que plus de dix années s'écoulèrent avant que des décisions soient prises à l'égard de cette problématique; peut-être aussi faut-il en voir la cause dans l'euphorie qui accompagna les premières années de liberté et dans les innombrables autres aspects de notre vie politico-sociale et économique qui retinrent en priorité l'attention des gouvernements successifs.

    Déjà à ce moment, l'Association portugaise des bibliothécaires, archivistes et documentalistes (BAD) que nous avions tenté de constituer sans succès pendant des années, essayait de s'imposer et de se faire entendre en tant que défenseur des bibliothèques et des bibliothécaires et surtout des lecteurs, c'est-à-dire, du droit à l'information. Comme aujourd'hui encore, les bibliothécaires étaient peu nombreux, et leur rôle présentait peu de prestige au plan social. Leur formation post-universitaire était régie par une législation de 1935 et, de ce fait, un décalage existait par rapport aux besoins - ce qui, malheureusement, demeure toujours vrai.

    Cependant, cela n'empêcha pas l'émergence d'une forte conscience professionnelle et la volonté de participer activement, en tant que citoyens, à la construction de la démocrati; elle serait alors mieux consolidée grâce à la libre circulation de l'information et que, à l'image du reste du monde, après tant d'années d'obscurantisme et d'ignorance, les bibliothèques auraient un rôle important à jouer.

    Ce n'était pas une tâche facile et, une fois encore, nous devons remonter de quelques siècles dans notre mémoire collective, pour mieux comprendre les difficultés rencontrées pour éveiller l'attention de l'opinion publique et des décideurs.

    L'évolution de la Bibliothèque nationale

    Voyons, par exemple, la genèse de la Bibliothèque nationale. Créée par la reine D. Maria en 1796, la Bibliothèque royale de la Cour devint ensuite la Bibliothèque nationale où l'on conservait le patrimoine écrit du pays. La création du Dépôt légal obligatoire - dont l'objet encore aujourd'hui est la sauvegarde des collections nationales - eut aussi pour but de contrôler et de censurer la production éditoriale. Avec la révolution libérale, à partir de 1830, les premières bibliothèques publiques du royaume furent créées, dans quelques chefs-lieux de district afin de réunir les livres rares et les collections de valeur patrimoniale provenant des couvents ayant appartenu aux ordres religieux désormais éteints ; cela se passa de la même manière en France et en Espagne.

    En 1870, dans une intention louable, la loi décida la création de ce que l'on a appelé les «bibliothèques populaires », afin d'éduquer le peuple et de pratiquer le prêt gratuit à domicile. Malheureusement, par suite du manque de moyens et de soutien, très peu de municipalités furent en mesure de se conformer à la loi.

    Après l'instauration de la République, en 1910, le nouveau régime qui dura jusqu'en 1926, reconnut le rôle déterminant qui devrait incomber aux bibliothèques dans ce nouveau contexte politico-social. Une législation très avancée dans son propos fut adoptée mais, comme il advint à la plupart des bonnes intentions de ses promoteurs, cela ne fut pas suffisant pour réaliser ses objectifs. On proclamait déjà que « le rôle des bibliothèques n'est pas de conserver les livres, mais de les rendre utiles et qu'ils devaient servir à enseigner, former et distraire, en créant des habitudes de lecture et en permettant au citoyen de se tenir au courant des affaires publiques». En raison du manque de moyens et de l'absence d'une autorité chargée de soutenir l'action des municipalités, les tentatives faites alors furent presque toujours vouées à l'échec; cela s'accentuera, évidemment, après l'instauration du régime autoritaire de Salazar, qui dura, ne l'oubliez pas, 48 ans !

    Peut être est-ce en raison de cette constatation que le programme qui fut élaboré en 1986, pour la création de bibliothèques publiques municipales dans tout le pays - programme toujours en vigueur (1) - se passa jusqu'à aujourd'hui d'une loi des bibliothèques.

    A partir du moment où la décision politique fut prise par le gouvernement avec l'accord des autorités locales, il a suffi pour nous guider de quelques directives - améliorées progressivement pour tenir compte de l'expérience acquise - et de l'attribution d'un budget annuel pour que le plan se développe sur le terrain. Cependant, après dix ans de pratique, une législation appropriée nous semble pouvoir apporter beaucoup d'avantages.

    Nous allons tenter de préparer cette loi des bibliothèques avant la mise en place de la régionalisation.

    Cependant, dans notre programme, nous avons adopté les idées présentes dans le manifeste de l'UNESCO. Cela signifie, par exemple, que dans les bibliothèques publiques portugaises - de même que dans les bibliothèques universitaires et à la Bibliothèque nationale - la gratuité est totale pour le lecteur qu'il s'agisse de l'inscription, du prêt, des retours d'ouvrages avec retard; cela s'applique également à tous les médias et non seulement aux livres.

    Nous espérons, de cette manière, contribuer à créer de nouveaux publics, au-delà des étudiants et des personnes cultivées qui ont l'habitude de lire.

    Des moyens modestes

    Nous sommes en train de procéder seulement maintenant - à la transposition de la directive communautaire sur le droit de prêt, toutefois le gouvernement a décidé de bénéficier des dérogations prévues.

    Nous devons être bien conscients du fait que le marché éditorial portugais est très restreint, et les entreprises, souvent très petites, ont une vie difficile, de sorte que le programme de lecture publique joue aussi un rôle d'appui au monde de l'édition ; il faut préciser que l'IPLB a pour vocation, entre autres, de fournir également des aides financières, sous diverses formes, aux éditeurs et aux libraires.

    Surtout au cours des premières années du programme des bibliothèques publiques, l'expérience française, que nous avons étudiée, nous a été très importante, de même que l'aide que nous avons reçue de quelques-uns de nos collègues français.

    Et je veux aujourd'hui vous exprimer ma solidarité dans ces temps difficiles. Nous savons trop bien, au Portugal, ce que sont la censure et les entraves intolérables à la liberté d'expression. Mais je ne crois pas que de tels problèmes existent actuellement dans les bibliothèques portugaises ni dans notre société en général.

    Les difficultés auxquelles nous nous sommes confrontées quotidiennement relèvent davantage, d'une part, de l'insuffisance des ressources financières pour acquérir ce que les lecteurs réclament et valoriser nos bibliothèques. Des lacunes, d'autre part, ou des insuffisances de notre formation technologique peuvent constituer un obstacle vers l'objectif fondamental qui est d'être la véritable interface entre l'information et l'utilisateur. Cela nous impose de fournir des moyens appropriés toujours remis à jour pour tirer le meilleur parti de ce qui est déjà accessible grâce aux différents médias de notre société digitale.

    Nous croyons ainsi, comme par le passé, que le rôle des bibliothèques et des bibliothécaires sera décisif pour l'approfondissement de la démocratie, en tentant de réduire l'écart entre les riches et les « pauvres et, aussi, en participant à la transformation de la société de l'information en société de la connaissance.

    1. En dix ans, le programme de bibliothèques de lecture publique - aujourd'hui sous la tutelle du nouvel Institut portugais du livre et des bibliothèques - s'est étendu à 125 des 275 municipalités du Portugal continental et, depuis les cinq dernières années, 63 bibliothèques publiques nouvelles ont été inaugurées. Cette année, 20 autres candidatures vont être retenues et le gouvernement vient d'annoncer son intention de maintenir ce rythme annuel jusqu'en 2005, ce qui représente un investissement de 30 millions de contos (soit 1 milliard de francs), investissement qui sera supporté par les municipalités et l'IPLB. retour au texte