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Un exemple d'intervention de bibliothécaires en prison

1998
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    Un exemple d'intervention de bibliothécaires en prison

    La maison d'arrêt des Yvelines

    Par Marie-Claude Flageat, Bibliothécaire Meylan (Isère) auparavant bibliothécaire à la médiathèque de Saint-Quentin-en-Yvelines

    La genèse

    La maison d'arrêt des Yvelines (MAY) (1) , se trouve à Bois-d'Arcy (Yvelines) et compte environ 900 détenus : 700 au bâtiment adultes et 200 au bâtiment jeunes.

    Dans le bâtiment adulte n'existait auparavent qu'une bibliothèque en accès indirect, par un choix sur catalogue simplifié et avec un système de chariot ; le fonds était l'héritage de plus de dix ans de dons de livres. En 1995, la bibliothèque fut fermée ; plus aucun prêt de livres n'était effectué malgré la demande des détenus. Au bâtiment jeunes subsistait une bibliothèque d'environ 50 m2en accès indirect ; une bibliothécaire de Bois-d'Arcy intervenait une demi-journée par semaine et assurait le prêt de livres à l'aide, là aussi, d'un système de chariot ; elle était assistée, pour les tâches matérielles, par un détenu classé comme auxiliaire bibliothécaire.

    Devant les carences en matière de lecture et afin de développer ses missions de réinsertion, le service socio-éducatif (SSE) de la MAY mit en place un projet de bibliothèques en accès direct, accessibles dès leur arrivée à l'ensemble des détenus. La bibliothèque du bâtiment adultes devait être réorganisée et ouvrir en accès direct ; il s'avérait donc nécessaire de réfléchir à l'organisation des mouvements des détenus, en fonction des contraintes de sécurité et de leur statut (travailleurs, scolaires, inoccupés) et des autres activités proposées, afin que tous aient la possibilité de se rendre régulièrement à la bibliothèque. La bibliothèque du bâtiment jeunes devait, après une réflexion sur ces problèmes de sécurité, passer de l'accès indirect à l'accès direct. Dans ce projet était souligné l'intérêt d'une intervention de bibliothécaires professionnelles et de la signature de conventions entre la MAY et les autorités de tutelle de ces bibliothécaires afin de conserver une trace écrite des engagements de chacun des contractants et de pérenniser cette intervention.

    La bibliothèque départementale des Yvelines (BDY) envoya rapidement une bibliothécaire puisque ce projet coïncidait avec les missions d'une bibliothèque départementale de prêt. La MAY trouva un autre partenaire dans le Syndicat d'agglomération nouvelle (SAN) de Saint-Quentin-en-Yvelines ; par une convention signée entre le SAN et la MAY, pour deux ans renouvelables, les deux parties prenaient des engagements (2) . Le SAN s'engagea à mettre à disposition deux bibliothécaires, volontaires, pour 250 à 300 heures par an, soit environ 3 heures par semaine pour chaque bibliothécaire. Pour mener à bien ce projet, le service socio-éducatif chercha des subventions afin d'acheter un logiciel de gestion de bibliothèque, du mobilier, des fournitures et des livres. Le conseil général des Yvelines finança l'achat du mobilier, la DRAC et la DRSP (Direction régionale des services pénitentiaires) de Paris l'informatisation, le CNL l'AESAD (Association éducative et sportive d'aide aux détenus), la MAY l'achat de fournitures et de livres.

    L'intervention technique

    La priorité pour les bibliothécaires intervenant à la maison d'arrêt fut de trier les ouvrages de la bibliothèque adultes (3) .Après ce tri, subsistaient de nombreux ouvrages de fiction mais peu de documentaires. Il fallut rééquilibrer le fonds afin qu'il soit cohérent et qu'il réponde aux attentes des détenus. Les acquisitions s'orientèrent principalement vers les documentaires récents et les bandes dessinées.

    Le choix des acquisitions, l'indexation et le catalogage des nombreux ouvrages sont du ressort des seuls bibliothécaires professionnels ; pour le choix, les suggestions des détenus auxiliaires bibliothécaires et des détenus sont évidemment pris en compte. Les bibliothèques de prison connaissent des problèmes identiques aux bibliothèques municipales ou universitaires : retards, pertes de documents, dégradations. La prison semble un monde clos, mais une maison d'arrêt connaît un taux de rotation rapide des personnes incarcérées (4) . Certains détenus ne restituent pas les ouvrages empruntés avant leur départ (transfert ou libération) ; des livres circulent entre les détenus et ne peuvent être retrouvés. Il est donc impératif de veiller au suivi des emprunts et de gérer les rappels de façon régulière. Le recollement annuel des bibliothèques du bâtiment adultes (ouverte fin janvier 1997) a permis de constater des disparitions d'ouvrages (disparitions qui peuvent s'expliquer en partie par l'absence d'un système antivol à la sortie de la salle). Les bibliothécaires professionnels viennent toujours dans les bibliothèques de la maison d'arrêt durant les plages horaires de visite de détenus aux bibliothèques ; ils peuvent ainsi expliquer le fonctionnement aux nouveaux inscrits ainsi que le classement des ouvrages, conseiller les lecteurs, répondre aux demandes et prendre en compte les suggestions. Les demandes d'ouvrages non possédés par la bibliothèque peuvent être traitées rapidement, soit par un prêt ponctuel et spécialisé des médiathèques du SAN, soit grâce aux dépôts de livres effectués régulièrement par la bibliothèque départementale ; lorsque l'ouvrage répond à une forte demande, il est noté sur la liste des prochaines acquisitions à effectuer.

    En l'absence de bibliothécaires professionnels, les détenus font part de leurs suggestions aux détenus auxiliaires bibliothécaires. Du matériel informatique a été acheté afin de faciliter la gestion des deux bibliothèques. Le choix du logiciel de gestion de bibliothèque s'est fait en collaboration avec les bibliothécaires professionnels ; le logiciel sélectionné permet la gestion du dépôt de livres de la bibliothèque départementale. Le prêt informatisé permet l'établissement de statistiques, tirées chaque mois par les détenus auxiliaires bibliothécaires.

    Les détenus auxiliaires bibliothécaires

    Les bibliothèques de prison ne peuvent disposer de personnel professionnel à temps complet ; il est donc indispensable, afin de permettre une large ouverture des bibliothèques, de faire appel à des détenus, qui seront alors classés comme auxiliaires bibliothécaires. Ces détenus constituent le noyau stable de la bibliothèque et gèrent le fonctionnement quotidien ; non professionnels, ils font appel aux bibliothécaires professionnels lors-qu'ils rencontrent une difficulté. Le choix de ces détenus est fait en collaboration entre le personnel de la maison d'arrêt et les bibliothécaires professionnels. Le personnel de la maison d'arrêt propose plusieurs détenus susceptibles de correspondre au profil de poste établi par les bibliothécaires, et pouvant, en fonction de leur délit et de leur comportement, occuper ce poste. Au moins un bibliothécaire professionnel dialogue ensuite avec ces détenus, afin de juger leur intérêt pour ce poste et pour la lecture, leurs connaissances en informatique, leurs capacités d'accueil et de contact avec les autres détenus afin de les conseiller ; il signale ensuite sa préférence (5) . Une fois le détenu sélectionné et " classé ", les bibliothécaires professionnels le forment au classement des ouvrages, à la classification Dewey, au maniement du logiciel de gestion des bibliothèques et répondent à ses éventuelles questions relatives à sa nouvelle fonction. Les détenus auxiliaires bibliothécaires effectuent l'équipement et la saisie informatique des ouvrages préalablement cotés et indexés par les bibliothécaires professionnels, rangent la bibliothèque, conseillent et orientent les détenus en l'absence des bibliothécaires professionnels, gèrent les emprunts, transmettent régulièrement les rappels au surveillant du secrétariat de détention chargé des mouvements et activités ; ce surveillant leur signale quotidiennement les libérations ou transferts de détenus, afin qu'ils puissent vérifier qu'ils ne détiennent plus de documents.

    La connaissance des lecteurs

    Pour une meilleure connaissance des lecteurs et des emprunts, des statistiques de prêt sont effectuées mensuellement, ainsi qu'un récapitulatif annuel. Elles signalent le nombre d'emprunteurs (6) , la moyenne du nombre de livres empruntés par détenu fréquentant la bibliothèque, le nombre d'ouvrages (fonds propre de la bibliothèque de la maison d'arrêt et ouvrages laissés en dépôt par la bibliothèque départementale), la répartition des prêts par genre ainsi que les ouvrages les plus empruntés. Le récapitulatif annuel de la bibliothèque du bâtiment adultes montre que presque 60 % des ouvrages empruntés sont : des documentaires et que le taux de rotation le plus élevé est celui des bandes dessinées. Les ouvrages les plus empruntés sont : les bandes dessinées classiques (Tintin, Astérix) ; les atlas et ouvrages de géographie ; les livres de distraction et d'évasion ; les codes de lois (code pénal, code de procédure pénale...) et le Guide du prisonnier de l'Observatoire international des Prisons afin de prendre connaissance de leurs droits ; les dictionnaires et poèmes d'amour, ces derniers étant utilisés comme modèles pour les lettres. Ces statistiques sont confirmées par le résultat d'une enquête effectuée auprès des lecteurs de la bibliothèque du bâtiment adultes entre décembre 1997 et mars 1998 (7) , puisque les détenus ayant répondu donnaient comme thème ou genre préféré la géographie, les bandes dessinées, la philosophie, la politique, l'économie et les romans contemporains. Ces détenus ont en majorité un niveau d'études secondaires ; seul 1 tiers d'entre eux fréquentaient une bibliothèque avant leur incarcération, mais 2 tiers pensent continuer à fréquenter une bibliothèque après leur libération. La moitié des détenus se rendent à la bibliothèque une fois tous les quinze jours, 35 % une fois par semaine et 13 % une fois par mois. (8) 8

    Pour leur choix, la majorité se laisse guider par leur intuition ou leurs préférences ; le bouche-à-oreille entre détenus et les conseils ne jouent que dans 26 % des choix. Si la majorité des lecteurs ayant répondu s'estiment satisfaits de ce qu'ils trouvent à la bibliothèque, cette enquête fut également l'occasion de proposer des suggestions concernant le fonctionnement général des mouvements de détenus, qui ne sont malheureusement pas du ressort des bibliothécaires (trouver des plages horaires mieux adaptées pour les travailleurs), le fonctionnement de la bibliothèque (permettre aux détenus la consultation de fichiers, puisque, actuellement aucun écran de consultation n'est à leur disposition), le fonds d'ouvrages (augmenter le nombre de documentaires et multiplier le prêt de nouveautés par le dépôt de la bibliothèque départementale).

    Ces suggestions écrites recoupent les suggestions orales faites aux détenus auxiliaires bibliothécaires ou aux bibliothécaires professionnels.

    Les liens avec le personnel de la maison d'arrêt

    Afin de permettre une meilleure insertion des bibliothèques au sein de la maison d'arrêt, des journées, de sensibilisation à la lecture destinées au personnel avaient été prévues, dans le cadre de la convention SAN\MAY Cette formation/ sensibilisation, organisée sur une journée à la Médiathèque du Canal (Saint-Quentin-en-Yvelines) (9) comporte, outre la visite de la médiathèque et la présentation de ses différents services, une intervention sur les enjeux du développement de la lecture et de l'écriture en prison, un exposé sur la bibliothèque départementale et les bibliothèques de prison, une présentation des bibliothèques adultes et jeunes de la maison d'arrêt. Cette formation permet aux bibliothécaires professionnels :

    • de faire connaissance avec le personnel de la maison d'arrêt, avec lequel ils sont amenés à travailler. La bonne volonté de tous est essentielle à un bon fonctionnement des bibliothèques puisque les surveillants organisent et mettent en oeuvre la circulation des détenus dans le bâtiment, donc leur déplacement en bibliothèque et que le personnel du greffe vérifie les affaires des détenus transférés ou libérés, pouvant ainsi empêcher la perte d'ouvrages.
    • d'être reconnus en tant que professionnels qualifiés puisque le personnel de la maison d'arrêt se rend sur leur lieu de travail ;
    • de faire prendre conscience au personnel de la maison d'arrêt de l'importance de la bibliothèque et des enjeux de la lecture à la maison d'arrêt, mais aussi les inciter à avoir eux-mêmes une pratique de lecture.

    Les problèmes de livres perdus et de détenus libérés ayant conservé des ouvrages restent du ressort des bibliothécaires professionnels. Afin d'éviter les disparitions d'ouvrages, il est nécessaire pour eux de travailler en lien étroit avec le surveillant du secrétariat de détention chargé des mouvements et activités. Ce dernier peut mettre en place des contrôles approfondis lors de trop grands retards ou s'occuper de l'aspect financier lors de pertes ou de dégradations d'ouvrages. Les bibliothécaires professionnels entretiennent également des liens privilégiés avec le service socio-éducatif, responsable des activités socioculturelles et plus particulièrement de la bibliothèque : ce service se charge des relations avec l'administration pénitentiaire, de l'obtention d'un budget d'achat de livres et de fournitures pour la bibliothèque et des demandes de subvention. Ses membres connaissent les détenus et sont en mesure de proposer des éventuels auxiliaires bibliothécaires. Il est indispensable que l'ensemble du personnel de la maison d'arrêt se sente concerné par le bon fonctionnement des bibliothèques, qu'il comprenne l'importance de l'accès des détenus aux livres et concoure avec efficacité à la mission de réinsertion. Ainsi l'activité des bibliothécaires professionnels sera plus aisée et ils pourront chercher à améliorer l'existant et à développer de nouvelles activités autour du livre.

    Perspectives

    Malgré le travail fourni depuis la mise en place de ce projet, des progrès restent à faire. Tant au bâtiment adultes qu'au bâtiment jeunes, les bibliothécaires doivent veiller à poursuivre leurs efforts de développement du fonds documentaire grâce aux acquisitions. Au bâtiment jeunes, il serait urgent de réfléchir, puis de mettre en place l'accès direct des détenus à la bibliothèque. La création et le développement d'animations autour du livre pourraient permettre un échange d'idées entre bibliothécaires et lecteurs, attirer de nouveaux lecteurs. Plusieurs pistes semblent possibles : l'organisation d'ateliers de lecture ou d'écriture animés par des écrivains professionnels, la mise en place de cercles de lecture animés par les bibliothécaires professionnels ou par des bibliothécaires bénévoles. Ces animations ne constituaient pas une priorité ; l'important était de permettre à tous les détenus d'accéder aux livres.

    Il semble indispensable que les bibliothèques de prison soient des lieux vivants et attractifs, qui amènent ou ramènent des personnes à la lecture, d'autant que la population carcérale compte un fort taux d'analphabètes et d'illettrés. Comme dans les communes, la bibliothèque doit constituer dans les prisons une structure culturelle essentielle. La signature d'une convention entre les prisons et les autorités de tutelle des bibliothécaires est un élément important ; cette convention garantit malgré la mutation de membres du service socio-éducatif ou de bibliothécaires, la pérennité du fonctionnement.

    1. Une maison d'arrêt retient des personnes en attente de jugement et des condamnés à de courtes peines : les condamnés à de longues peines les purgent dans des centres de détention. retour au texte

    2. Voir la convention (pages 39-40). retour au texte

    3. Le personnel de la maison d'arrêt fut surpris de voir le nombre de documents envoyés au pilon : des bennes entières partirent pleines de livres à brûler. retour au texte

    4. La durée moyenne de séjour à la MAY est de six mois. retour au texte

    5. Le fort taux de rotation des personnes incarcérées en maison d'arrêt nécessite une sélection et une formation fréquentes d'auxiliaires de bibliothèques. (Durée moyenne de détention en 199" : 8. 1 mois). Durée moyenne de détention en maison d'arrêt en 1997 : 4, 4 mois) retour au texte

    6. Environ 200 à 300 lecteurs sur les 700 détenus du bâtiment adultes. retour au texte

    7. Enquête anonyme et facultative. retour au texte

    8. Chaque détenu ne peut descendre qu'une fois par semaine à la bibliothèque ; l'emprunt est de 15 jours, renouvelable une fois. Certains détenus demandent à des codétenus de restituer les ouvrages pour eux, lorsqu'ils sont empêchés de venir par des visites (parloirs famille ou parloirs avocat) ou d'autres activités. retour au texte

    9. Le personnel de la MAY bénéficie de conditions d'accès privilégiées dans le réseau des médiathèques du SAN. retour au texte