La liste
Je présente ma liste au passeur - la liste des participants - froncement de sourcils - parce que vous commencez aujourd'hui ? - stupeur - je lui complique la vie - je le surcharge de travail - un temps - tous ceux-là ? - il me regarde incrédule - ping - je le regarde incompréhensif - pong - ça commence mal - ça oui - on ne peut pas dire que le courant passe - ça non - on ne peut pas vraiment parler de connivence spontanée - que non - il réexamine la liste - soupir - évaluation mentale de la somme de déplacements que représente cette feuille de papier - son index suit la colonne de noms - supputation - il suppute à haute voix - bon - lui, il est convoqué au greffe - le temps qu'il revienne, c'est pas la peine - lui, il ne voulait déjà pas sortir de cellule ce matin, alors - m'étonnerait qu'il veuille bouger - lui, là - une vraie tête brûlée - va vous empêcher de travailler - va enquiquiner tout le monde - vous embêtez pas avec des gus pareils - silence - bon - et puis les autres, ils sont au sport - on nous avait pas prévenus que ça commençait aujourd'hui - froncement de sourcils - bouche en coin - il secoue la feuille en espérant démêler la situation - ah, si seulement je lui disais « tant pis, je reviens demain » - comme ça le soulagerait - mais il secoue la feuille - ping - et je suis toujours là - pong - bon - qui je vous amène ? - parce que y'en aura pas des masses - déjà, ceux qui sont au sport, on peut faire une croix dessus - il m'interroge du regard - ping - je hausse les épaules - évasif - pong - pour finalement lui répondre : tout le monde - re-pong - j'ai l'impression de lui balancer une évidence - il a du mal à réaliser - hein ? - ping - je persiste - tous ceux qui souhaitent venir - pong - silence - regard de côté - il vient de perdre la première manche - objectif raté - il va falloir qu'il se déplace - qu'il aille les chercher.
Soupir - bon, je vous conduis d'abord à la salle - mais je suis pas sûr de vous en ramener beaucoup - main qui claque sur la feuille - hochement de tête - ping - on va s'embêter pour pas grand-chose - ping - un temps - il espère que je vais manifester quelque embarras - faire des manières - me rétracter - mais je ne dis rien - je ne lui renvoie pas la balle - aucune balle - pas de pong - j'attends - je l'attends - guerre d'usure - comme les pistards sur les vélodromes - dans ces épreuves de sprint où l'on commence par du surplace - côte à côte - en équilibre sur le dénivelé de la piste - pour contraindre l'autre à s'élancer le premier - je ne dis toujours rien - je ne fais vraiment pas preuve de civilité - de compréhension - je ne joue pas le jeu - le jeu du ni vu ni connu - peinard - c'est mieux pour tout le monde - on ne fait rien - on ne bouge pas - et personne ne viendra nous embêter, pas vrai ? - agacement - il cède - se met en marche - il a perdu la deuxième manche.
Profond soupir - bruit du trousseau qu'il agite nerveusement - je lui emboîte le pas - nous nous dirigeons vers la salle de travail - je ne me suis pas fait un allié - il rumine - il me le fera payer - il le sait déjà - dès qu'il pourra - un bon coup de sciure dans les rouages - inertie toute ! - il me la fera avaler, cette balle que je ne lui renvoie pas - et mon manque de collaboration avec - jusqu'à la garde - il me fera apprendre l'attente laminée - l'impatience mise à vif - avec en ligne de mire sa friandise, son bonbon, sa récompense - le renoncement qu'il espère - les bras qui me tombent - la reconnaissance de ma propre défaite - de sa toute-puissance - et cela, sans un seul mot - ici, les comptes se règlent mine de rien - à l'usure - histoires sans paroles - on doit jouer sa parodie en silence - comme si tout se déroulait normalement - à travers les oeilletons, les judas, il vous observe - du bout des couloirs, à travers les grilles, il vous jauge - il soupèse votre résistance - puis, peu à peu, votre lassitude, votre épuisement - et il constate avec délectation, par votre énergie qui s'émousse, qui se relâche, que vous avez enfin compris - il a l'habitude - l'avantage du terrain - s'il vous reste encore quelque velléité de regimber - il a déjà la parade pour vous neutraliser - sans conflit - sans refus frontal - tout en non-dit - comme au théâtre - c'est dans le sous-texte que va se nicher toute la richesse des personnages - ici, entre les murs, les dialogues sont purement formels - désincarnés - sans aucune redondance avec les actes - on joue la comédie du règlement - des circulaires - mais l'action est ailleurs - en filigrane - souterraine - clandestine - jamais avouée - subliminale - la loi du silence.