Le congrès annuel de l'Association des bibliothèques et bibliothécaires suisses s'est tenu en 1998 dans la station thermale d'Yverdon (au bord du lac de Neuchâtel, au pied du Jura vaudois) du 3 au 5 septembre. Le thème choisi cette année était : « De la tradition orale aux réseaux de communication ».
Le congrès était précédé le mercredi 2 septembre en soirée par une conférence inaugurale de Jean-Philippe Rapp, producteur à la Télévision suisse romande, sur « L'image, l'écrit et la mémoire » où l'intervenant traita d'une part de l'importance de la conservation des archives audiovisuelles, d'autre part de la manipulation de certaines images télévisuelles et de l'aspect commercial de l'image de nos jours.
Cette conférence fut suivie d'un débat animé par Danielle Mincio, de la Bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne-Dorigny, sur « Le rôle des bibliothèques dans la société de l'information du XXIe siècle ». D. Mincio présenta les actions de mise en valeur des bibliothèques aux USA où les bibliothécaires américains ont créé un groupe de travail destiné à mettre sur pied une structure de lobbying, afin de faire comprendre l'utilité de la profession à tous les échelons de la société. L'American Library Association a publié un manuel destiné à expliquer comment réagir face aux situations que l'on peut rencontrer dans la vie de tous les jours ; sa traduction en français et en allemand va être prochainement entreprise par la BBS. La discussion s'engagea ensuite sur ce qu'il serait possible de faire en Suisse dans ce domaine à l'échelle nationale, régionale, cantonale et communale.
Le congrès proprement dit s'articulait, le jeudi 3 et le vendredi 4 septembre en matinée, autour de quatre grands thèmes : la tradition orale, la tradition écrite, la tradition audiovisuelle, la tradition électronique. Plus d'une dizaine de conférences et autant d'ateliers simultanés étaient proposés, durant cette journée et demie, au choix des quelque 250 participants. Je me bornerai par conséquent à mentionner seulement les intitulés des conférences et des ateliers auxquels je n'ai pu assister, notamment ceux organisés autour des thèmes de la tradition orale et de la tradition audiovisuelle.
En revanche j'ai suivi, avec beaucoup d'intérêt, les conférences et ateliers organisés autour des deux autres thèmes : la tradition écrite et la tradition électronique.
La conférence de Madeleine Pinault Sorensen, du département des Arts graphiques du Louvre, traitait de « L'évolution de l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert : la tradition orale des collaborateurs ». Pour mener à bien leur entreprise, les encyclopédistes ont en effet eu recours à deux formes de culture : l'une écrite regroupant les sources imprimées, les manuscrits, les dessins et les gravures ; la seconde orale par la visite d'ateliers (les planches étant alors exécutées directement en regardant l'artisan au travail) et par la fréquentation des salons (la conversation jouant, comme chacun sait, un rôle essentiel au xvine siècle). La culture orale, c'est-à-dire la parole même, a ainsi revêtu autant d'importance dans la fabrication de cette grande entreprise éditoriale que la « culture papier ».
Yvonne Johannot, bien connue pour ses ouvrages sur ce sujet, a abordé « Le poids de l'écrit dans notre tradition culturelle ». Le codex qui peut, selon son expression, être comparé à un « cahier de brouillon » est dévalorisé par rapport au volumen. Pourtant les premiers textes chrétiens sont transmis sous forme de codex. Le rouleau (volumen) disparaît, sauf pour les textes sacrés juifs. Plus tard, le livre met la pensée en ordre sous une forme rigoureuse et linéaire, de A à Z, de 1 à l'infini. Dans la culture européenne, l'avenir est devant nous. La conception des Quechuas (population amérindienne) est à l'opposé : ils ne connaissent pas l'avenir, donc il est derrière eux en revanche le passé, qui leur est connu, est devant eux ! Les nouvelles connaissances scientifiques et les nouveaux moyens de communication ont changé notre représentation de l'espace-temps : face à une image, chacun entrera différemment dans l'information qu'elle véhicule. Pour terminer, Y. Johannot a insisté sur le rôle primordial de l'apprentissage de la lecture : « s'approprier la lecture, c'est s'approprier les contes que le livre contient ». Il faut déconnecter le langage de la lecture, et l'écoute du livre.
L'atelier de Silvio Corsini, conservateur de la Réserve précieuse de la Bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne, a présenté une réalisation originale : « Les ornements typographiques des Lumières sur Internet ». Chacun sait combien on se heurte fréquemment, en matière de catalogage détaillé des livres anciens, au problème de l'identification des imprimeurs et des lieux de publication, surtout au Siècle des Lumières. Pourquoi ne pas alors utiliser pleinement les ressources de l'informatique
et constituer une banque centrale d'ornements (fleurons, culs-de-lampe, bandeaux, filets et lettres ornées de tout genre) ? Le logiciel TODAI (Typographical Ornaments Database And Identification), capable de décomposer l'image scannée d'un ornement en un certain nombre de moments mathématiques et de comparer ces moments avec ceux des ornements déjà connus, a ainsi vu le jour en juin 1996. TODAI a permis de créer une banque virtuelle d'ornements typographiques accessible via Internet, intitulée Passe-Partout (1) . Près de 600 ornements ont été enregistrés à ce jour dans cette banque, provenant essentiellement de deux bases de données hébergées par le serveur Internet de la BCU de Lausanne : « Vignette » et « Fleuron ». La base Vignette (2) est dévolue aux ornements lausannois du XVIIIe siècle. La base Fleuron (3) est destinée à recevoir les informations relatives à des ornements et à des ouvrages non traités dans le cadre de Vignette elle propose actuellement les résultats d'une vaste enquête comparative du matériel ornemental d'une quinzaine d'ateliers romands, actifs dans les années 1775-1785. La banque virtuelle Passe-Partout devrait s'enrichir prochainement de plusieurs centaines d'ornements liégeois identifiés par Daniel Droixhe et son équipe, dans le cadre du projet « Môriane ».
Enfin, toujours sur le thème de la tradition écrite, l'atelier « Mémoire éditoriale : l'activité et le rôle d'une fondation dans la transmission des savoirs » a présenté les objectifs et les activités de la fondation (reconnue d'utilité publique) Mémoire éditoriale (4) , créée en 1997 afin de préserver et mettre en valeur les archives éditoriales, essentiellement administratives et financières, de la Suisse romande. Jacques-Michel Pittier (écrivain et journaliste) et François Valloton (historien terminant une thèse sur l'histoire de l'édition en Suisse romande de 1880 à 1920) ont insisté sur la richesse d'un nécessaire partenariat entre bibliothécaires, professionnels du livre et chercheurs. Le premier cahier de la collection « Mémoire éditoriale » doit paraître en octobre 1998 ; il s'intitule : Édition et lecture en Suisse romande et en France, XVI i f '-XXe siècle (diffusion Slatkine). Une autre conférence sur l'Encyclopaedia universalis, et deux ateliers, « Quel type d'édition pour quelles oeuvres et quel public ? » et « L'apport des manuscrits dans la circulation des savoirs hier et aujourd'hui », complétaient le développement du thème de la tradition écrite.
Le thème de la tradition électronique s'articulait autour de deux conférences et trois ateliers. J'ai suivi avec intérêt la conférence de Pierre Cuendet, de la Bibliothèque de chimie et pharmacie UNIL-EPFL, intitulée : « Vers un consortium national pour l'information électronique dans la recherche et l'éducation ». La relation entre utilisateurs et fournisseurs d'information s'est fortement modifiée depuis que les réseaux informatiques ont pratiquement aboli la distance entre partenaires. Actuellement, l'édition électronique et l'édition papier des périodiques paraissent simultanément, la version électronique étant souvent proposée à un prix modique - voire même gratuitement - aux abonnés papier. Les bibliothèques ont un rôle essentiel à jouer en continuant d'acquérir les droits d'utilisation, en assurant l'accès à ces informations et en cherchant des solutions au difficile problème de l'archivage des éditions électroniques. Des groupes d'utilisateurs d'institutions différentes, mais partageant des besoins identiques, se sont constitués sous le nom de « consortia » tout particulièrement dans le domaine de l'enseignement supérieur et de la recherche. La création en Suisse d'un tel consortium de dimension nationale est vivement souhaitée par P. Cuendet. Il pourrait s'inspirer de ce qui a été mis sur pied en Grande-Bretagne par le Joint Information Systems Commitee (JICS). Des consortia de même type existent également aux Pays-Bas, en Allemagne et en Suède notamment où 1 500 périodiques scientifiques sont mis à disposition des utilisateurs sous forme électronique et peuvent être obtenus par le prêt inter. Le consortium a pour mission de négocier les licences d'utilisation avec les éditeurs, de proposer des systèmes d'accès et de les gérer, d'étudier les problèmes de l'archivage.
Je n'ai pu suivre l'autre conférence sur « L'enseignement à distance comme défi pour les centres d'information », ni les trois ateliers respectivement consacrés aux thèmes suivants : « Les services de référence et les nouveaux média », « Supports analogiques et digitaux dans la pratique bibliothéconomique : systèmes, maintenance, durée de vie et archivage », « Expérience de numérisation des supports écrits, sonores et photographiques en cours en Suisse » traitant plus particulièrement de la spécificité des documents sonores radiophoniques.
L'après-midi du vendredi était réservée à l'Assemblée générale de l'Association qui fut fondée, rappelons-le, en 1897. Elle compte aujourd'hui 1 800 membres individuels et 300 membres collectifs (bibliothèques adhérentes ayant droit à 2 voix en cas de votation). La BBS traverse en ce moment une période de crise, comme il s'en produit de temps à autre dans toute association. La BBS a établi un code de déontologie, fortement inspiré par celui de l'Association des bibliothécaires canadiens, que l'AG a approuvé.
Ce congrès, extrêmement dense et fort intéressant, offrait également une présentation de MEDIAT Rhône-Alpes ainsi que de la SIGEGS, Association suisse pour la conservation des biens culturels documentaires et des oeuvres graphiques.
Enfin, des visites variées étaient proposées aux congressistes : visites de bibliothèques naturellement ; visite guidée « Sur les traces de Ferdinand-Barthélémy de Felice, encyclopédiste yverdonnois » ; visite de l'entreprise 4M, usine de matrices et de supports magnétiques ; visite commentée du riche musée de boîtes à musique et d'automates, le musée CIMA (Centre international de mécanique d'art) à Sainte-Croix. Sans oublier l'exposition du fonds ancien (essentiellement du XVIIIesiècle) de la bibliothèque d'Yverdon, dans les vitrines du Grand Hôtel des Bains, durant toute la durée du congrès.
Le samedi 5 septembre, les participants encore présents purent visiter l'établissement thermal d'Yverdon, puis faire une agréable excursion - par un temps malheureusement couvert et passablement pluvieux - jusqu'au mont de Baulmes à 1 286 mètres d'altitude et au village de Romainmôtier (non loin de Vallorbe) qui doit son nom à l'ancien prieuré bénédictin de l'ordre de Cluny, dont la superbe église romane est actuellement en cours de restauration.