Index des revues

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    Gestion des ressources électroniques

    Les bibliothèques universitaires défrichent pour les autres

    Par Dominique Lahary, BDP du Val d'Oise

    Le 18 septembre 1998, l'ADBU (Association des directeurs de la documentation et les bibliothèques universitaires) organisait dans le cadre de son congrès une journée d'étude sur « Le management de la documentation électronique. » Qu'on ne s'y trompe pas : si cette question est essentielle dès aujourd'hui dans les bibliothèques universitaires, notamment dans ses aspects financiers, elle le sera bientôt pour les bibliothèques publiques, qui peuvent encore vivre dans l'illusion d'un Internet gratuit. C'est pourquoi il importe d'écouter leur leçon.

    Une offre plus avancée que la demande ?

    L'inventaire des besoins et pratiques a été présenté par discipline : droit et économie par Isabelle Sabatier (Paris ix), Marie-Dominique Heusse (Toulouse I) et Annie Maximin (Cujas), médecine par Pierrette Casseyre (BIU médecine Paris), en distinguant généralement entre les deux premiers cycles d'une part, le 3e cycle et les enseignants-chercheurs d'autre part.

    Les ressources proposées peuvent être les cédéroms (prédominant en droit) et les ressources en ligne (bibliographies, cours, revues). Pour ces derniers trois cas de figure principaux se présentent : édition sur papier et en ligne en texte intégral, sur papier avec sommaires et/ou résumés en ligne, enfin édition électronique seule. Peuvent enfin être proposées des revues de sommaires.

    Sur un fonds d'augmentation des tarifs conduisant souvent à des désabonnements, l'offre de revues en ligne apparaît rarement aux yeux des utilisateurs comme un substitut au papier : ils demandent les deux supports à la fois. Dans le domaine juridique, l'électronique suscite une demande d'intégralité (en jurisprudence par exemple) ne nuisant pas à l'authenticité (on veut le respect de la forme originale).

    Des consortiums pour négocier avec les éditeurs électroniques

    La question des consortiums, regroupement d'établissements en vue de négocier ensemble les conditions d'utilisation de ressources en ligne, a été introduite par Iris Reibel (Strasbourg I), au nom d'un groupe de réflexion rassemblant des collègues de plusieurs université, et Annie Motais de Narbonne (Paris xi), qui a présenté des modèles d'organisation, avant d'être approfondie par Clarisse Marandin (1) (Valenciennes), Paul Soetaert, de la bibliothèque universitaire de Rotterdam, apportant un éclairage international.

    Dans un contexte de multiplication des ressources, d'augmentation des tarifs et de multiplication et délocalisation des points d'accès, l'objectif de la négociation sur une base coopérative est triple : atténuer les coûts, élargir les accès en réalisant des économies d'échelle, acquérir des produits supplémentaires qu'on ne pouvait s'offrir seul.

    Un des enjeux est de refuser la généralisation de la tarification à l'acte, que les éditeurs tentent d'imposer seule, dans la logique du DOI (2) , ou en combinaison avec des forfaits, cette dernière formule étant la seule conforme aux intérêts des bibliothèques. Plus généralement, les fournisseurs ont tendance à substituer au principe simple du tarif d'abonnement aux périodiques imprimés des critères de modulation dépendant d'un très grand nombre de facteurs relatifs aux conditions d'accès (nombre d'utilisateurs potentiels), d'usage (interrogation, visualisation, réutilisation pour l'enseignement ou le PEB), de fourniture (prestations complémentaires telle que la diffusion sur profil, regroupement de produits dans des packages ne correspondant pas forcé-mentaux besoins). Ces pratiques commerciales obligent les bibliothèques à négocier en faisant appel à des compétences commerciales et juridiques : seul leur regroupement dans des consortiums leur permet de réunir ces compétences tout en se plaçant dans un rapport de force plus favorable face aux éditeurs.

    En 1997, des associations de bibliothécaires néerlandais et allemands ont publié des licensing principles communs (3) , stipulant notamment que les bibliothèques se serviront de l'information électronique de manière loyale [fair use) en ne transmettant pas l'information aux personnes non autorisées, qu'un abonnement à la version imprimée d'un périodique doit donner accès gratuitement à la version électronique et que l'abonnement à la seule version électronique doit être moins onéreux que celui à la version imprimée. On peut également citer au Royaume-Uni le NELSI [National Electronic Licensing Initiative) (4) . Enfin l'ICOLC [International Coalition Of Library Consortia), coalition internationale de plus de 60 consortiums regroupant plus de 5 000 bibliothèques, a publié sur Internet son état des perspectives actuelles et des pratiques à encourager dans la sélection de l'information électronique [Statementofcurrent perspective and prefered practices for the sélection ofelectronic informotion) (5) .

    La démarche interuniversités exposée par Iris Reibel est de nature à défricher la voie en France. Dans trois disciplines (chimie, biochimie, physique), ont été effectués des états comparés des abonnements souscrits, des discussions ont été menées avec des secrétaires généraux et agents comptables et avec deux fournisseurs (Europériodiques et Dawson), enfin des solutions de conservation répartie ont été étudiées.

    Mise en oeuvre technique : l'intégration, maître mot

    L'exemple de l'université de Valenciennes (6) , développé par Anne Steiner, directrice du SCD, et Alain Mayeur, du CRI (centre de ressources informatiques), a été décliné sur le mode de l'intégration du SIGB (système intégré de gestion de bibliothèque) et de diverses ressources hétérogènes dans le système d'information global de l'université. La tendance est à l'adoption du navigateur Web comme interface unique d'accès potentiel à l'ensemble des services, la question de savoir si l'on donne accès à tout de partout restant débattue. Sont ainsi réunis à partir d'un menu unique Internet/Intranet : l'accès à des guides (du lecteur, du thésard, de l'Internet), au catalogue, au compte du lecteur et aux réservations (provisoirement par Telnet) ainsi qu'au réseau de cédéroms et à des cours filmés. Ces deux derniers services, pour des raisons techniques et/ou contractuelles, ne sont accessibles localement. Quant au catalogue, servi par une interface Web/Z39.50, il est lui-même conçu, par lien cliquable dans la notice telle qu'elle s'affiche dans le navigateur, comme moyen d'accès aux ressources numériques accessibles (telles que les pages d'accueil de certaines revues) ou seulement localement, pour des raisons techniques et/ou contractuelles (cours filmés, réseau de cédéroms). Enfin le support numérique devient le moyen de maintenir un service trop lourd à assurer sur un support imprimé : au sommaire personnalisé de revues sur papier succède un système de diffusion personnalisée par messagerie des sommaires fournis par SweetsNet.

    Acquérir et conserver : des défis nouveaux

    Marie-France Rochard (Grenoble 1 et INPG) a esquissé les éléments d'une politique d'acquisition numérique. Énonçant quelques principes de base (n'accepter les surcoûts que s'ils sont utiles, accepter de payer plus cher quelque chose de plus simple pour l'utilisateur), elle a rappelé qu'il s'agit de trouver des financements à la fois pour le réseau, les matériels et logiciels et pour les informations elles-mêmes. Tandis que les niveaux de partenariat peuvent se décliner selon les cas à des niveaux très divers (la BU seule, l'université, l'agglomération, la région, enfin l'échelon national pour une même discipline), la migration vers les accès en ligne peut être l'occasion d'une rationalisation des acquisitions au sein de l'université : avec la délocalisation des accès, la notion de collection particulière à un laboratoire ou une unité d'enseignement perd toute légitimité.

    Soulignant l'utopie de la disponibilité universelle (on ne numérisera jamais l'intégralité des fonds anciens de périodiques) aussi bien que la persistance de la nécessité des éliminations (on peut aussi désherber un disque dur), François Lemoine (Reims) a énuméré les difficultés soulevées par la conservation des documents électroniques, qu'il s'agisse de problèmes techniques (quelle est la durée de vie des supports), normatifs (formats propriétaires ou standards internationaux) ou économiques. Sachant que, comme l'a rappelé Christan Lupovici (Marne-la-Vallée) depuis la salle, les éditeurs sont essentiellement intéressés par l'exploitation commerciale des cinq dernières années de leurs périodiques, François Lemoine a affirmé qu'il appartient aux établissements documentaires d'acheter et de conserver des documents électroniques, et plutôt que des droits d'usage, d'acquérir des collections diffusables.

    Formation et veille : jusqu'où aller ?

    Jusqu'où peut aller la bibliothèque dans ses missions ? se sont demandés Anne Dujol (BIU Montpellier) à propos de la formation des utilisateurs et Hervé Le Men (Compiègne) de la veille documentaire. La première a présenté un bilan critique de l'expérience de son établissement, estimant qu'il s'est agi davantage de formations instrumentales que méthodologiques, en d'autres termes de l'organisation de la dépendance à tel outil plutôt que de l'apprentissage de l'autonomie. D'une part, le temps investi aurait pu être consacré à l'amélioration des « OPAC opaques » plutôt qu'à l'adaptation du public à leur obscurité. D'autre part, il serait souhaitable de former les formateurs, en intégrant la dimension documentaire dans les cursus et en assurant la continuité avec le collège et le lycée, quand il n'y a même pas de langage commun entre les CDI et les BU.

    Quant à la veille documentaire et technologique, qui peut se heurter à des problèmes de légitimité (concurrence public-privé) et de résistance culturelle des bibliothécaires, elle est malgré tout assumée par le président de l'université de Compiègne. Les prestations aux entreprises peuvent aller de la recherche documentaire approfondie à l'interrogation sur profil, en passant par la formation à la recherche, y compris sur Internet.

    Conclusion

    Cette réunion est réconfortante si elle annonce de futures initiatives. Elle est instructive si ses enseignements se diffusent au-delà du seul contexte universitaire.

    Dans la nouvelle économie de l'information qui est en train de se mettre en place, les bibliothèques universitaires se trouveront écrasées si elles ne mettent pas en place des coopérations pour répondre ensemble aux prétentions des éditeurs électroniques, ce que d'ailleurs certains souhaitent. D'autres se sont interrogés dans la salle sur le rôle de l'État dans cette perspective. D'autres ont répondu que la coopération horizontale était la plus adaptée à ce défi, tandis que dans les pays étrangers où des initiatives ont été prises les associations de bibliothécaires sont aux premières loges. En France, le groupe interuniversités, présenté par Iris Reibel comme le Réseau national des bibliothèques de mathématiques (7) , montre le chemin.

    Quant aux autres bibliothèques, en particulier celles relevant de la lecture publique, elles suivront avec intérêt ces développements. On peut conjecturer, qu'avec quelques années d'avance, le milieu universitaire expérimente ce qui sera le lot des informations destinées au grand public. Même si devraient demeurer des collections massives de documents physiques d'une part, un Internet non marchand d'autre part, qu'il soit d'origine publique ou privée et associative, la question des accès tarifés à des ressources en ligne devrait se poser progressivement dans les politiques d'acquisition.

    1. Voir aussi La presse scientifique électronique : analyse de l'offre des intermédiaires par Ghislaine Chartron et Clarisse Marandin, in : Bulletin des bibliothèques de France n°3, 1998, également en ligne : < http://www.enssib.fr/Enssib/bbf/bbf-98-3/07-MARAND!N.pdf>. retour au texte

    2. Digital object identifier, identifiant des ressources en ligne pouvant également servir à contrôler et tarifer les accès. Voir Le DOI, ISBN de l'Internet ? in : Bulletin d'informations de l'ABFn°178 et<http://www.doi.org>. retour au texte

    3. Voir < http://cwis.kub.nl/~dbi/english/license>. retour au texte

    4. Voir < http://www.nesli.ac.uk> retour au texte

    5. Voir < http://www.library-yale.edu/consortia> et < http://www.library.yale.edu/consortia/statement.html>. Voir également le dossier économie du document sur le site de l'ENSSIB : < http://enssibhp.enssib.fr/eco-doo. retour au texte

    6. Page d'accueil :< http://www.univ-valenciennes.fr/Biblio/reseaudocumentaire.html >. retour au texte

    7. Page d'accueil : < http://www-mathdoc.ujf-grenoble.fr/rnbm.html> retour au texte