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    Une pionnière de la bibliothérapie

    Sadie Peterson Delaney

    Par Françoise Alptuna, Conservateur BlUM/Paris

    Dès 1920, dans Mysilent servants, John Kendrick Bangs (1) , en faisant l'éloge de ces serviteurs silencieux que sont les livres d'une bibliothèque, indiquait que s'il était médecin, il prescrirait des livres comme « materia medica » à ses patients, et ce, en fonction de leur besoin. En effet, n'était-il pas déjà inscrit au-dessus de la porte d'entrée de Thèbes Remède de l'âme » ? Diodore, historien grec du Ier siècle av. J.-C., quant à lui, considérait les livres comme les remèdes de l'esprit. Plus proche de nous, et dans cette même lignée d'hommes et de femmes qui ont cru au livre comme thérapie. Sadie Peterson Delaney peut être estimée comme le précurseur de la bibliothérapie moderne.

    Qui étaif Sadie Peterson Delaney ?

    On peut la considérer comme un phare dans ce triste Sud des États-Unis où règne la ségrégation dans les années 20. Noire américaine née en 1889 à Rochester N.Y., d'origine modeste, elle suit d'abord une formation de base comme travailleur social puis se forme comme bibliothécaire de 1920 à 1921 à la New York Public Library. Révolutionnaire pour son temps, elle décide, après avoir été très active et appréciée à la section Harlem de la New York Public Library, de s'installer dans le Sud et d'y appliquer ses méthodes d'animation autour du livre : elle a toujours en tête qu'il faut faire venir le livre auprès de ceux qui, handicapés par des maladies ou d'autres empêchements d'ordre social, ne peuvent y avoir accès par eux-mêmes. En arrivant en Alabama en 1924, responsable de la bibliothèque de l'hôpital des Anciens combattants à Tuskegee, où elle restera 34 ans (de 1924 à 1958), elle applique et développe ses méthodes, mue par une extraordinaire énergie, la poussant à toujours aller de l'avant, vers le malade, vers sa souffrance, vers son exclusion.

    Ce qui l'intéresse en premier, ce sont les malades mentaux. Elle transforme le contenu de sa bibliothèque, en achetant contes de fées, atlas, journaux, encyclopédies, et en portant à ce type de malade une attention particulière (2) . Elle crée une atmosphère culturelle, en bouleversant les habitudes : rencontres mensuelles autour du livre, "heures du conte » pour adultes dans les pavillons où les aliénés sont enfermés, et surtout coopération étroite avec le personnel soignant. Madame Delaney et son personnel, au courant de l'histoire des malades grâce à de régulières consultations avec le personnel médical, deviennent des acteurs importants dans le mieux-être et la guérison des malades. Non seulement elle élargit le choix des livres en se procurant de la littérature du monde entier mais elle fait découvrir à ces invalides de guerre, à ces rescapés traumatisés, Noirs pour la plupart, ce qu'est la culture noire et africaine, leur ouvrant ainsi des horizons nouveaux... Poèmes, biographies, chants d'Afrique, viennent éclairer la vie de ces convalescents qui découvrent ces documents avec intérêt et enthousiasme. Elle connaît bien, de plus, les contenus de ses livres et peut les suggérer, en accord avec les médecins, aux différents types de malades suivant leur pathologie.

    Elle apprend et enseigne le braille

    Mais les activités de Sadie Peterson Delaney ne s'arrêtent pas là puis-qu'elle se tourne aussi vers les aveugles, apprenant elle-même deux types de langage pour aveugles. C'est le braille qu'elle va ensuite enseigner à plus de 600 malades, dont certains d'entre eux l'apprendront aux autres. Elle ouvre une section à l'hôpital qui leur sera entièrement consacrée, formant son personnel à l'accueil et à la compréhension de ce type de malade.

    Elle s'occupera aussi de ceux qui, handicapés par des opérations des bras ou des mains, ne peuvent tenir leur livre et leur fera visionner des documents microfilmés proje-tables sur les murs ou les plafonds (3) Précurseur de ces techniques modernes que l'on ne retrouve pas nécessairement dans nos hôpitaux contemporains, madame Delaney, animée de son intense désir de soulager celui qui souffre, saura lui offrir le livre sous toutes ses formes, comme élément de distraction, d'enrichissement personnel mais aussi de restructuration de sa personnalité.

    Sa carrière fut jalonnée de nombreuses reconnaissances officielles, citations et autres, mais ce fut en 1950 que l'université d'Atlanta lui décerna le diplôme de docteur ès lettres, l'honorant ainsi pour ses travaux mais surtout reconnaissant en elle la pionnière de la bibliothérapie et de la thérapie de groupe dans le cadre de la maladie mentale. Son incessant travail auprès des aveugles lui valut également grande admiration et sympathie (de nombreuses correspondances en témoignent). Mais surtout, elle fut remarquée par son infatigable énergie et ses compétences dans le domaine des relations humaines. De plus, elle a ouvert la voie de la bibliothérapie, l'enseignant, la commentant et faisant des adeptes de cette nouvelle technique dans les pays anglo-saxons principalement (Grande-Bretagne, Afrique du Sud et USA bien sûr). Malheureusement, cette méthode, pratiquée de nos jours dans ces pays comme thérapie d'appoint », n'a jamais connu en France le même engouement. (4)

    1. In Bookman n° 52, décembre 1920. retour au texte

    2. Curieusement, et soixante-dix ans plus tard, pour ces types de documents les mêmes observations avaient pu être faites, à partir des souhaits exprimés par des malades mentaux interrogés lors d'une enquête, en 1993, destinée au mémoire d'étude de l'EXSSIB. F. Alptuna : Projet de médiathèque en hôpital psychiatrique l'exemple du CHS de Maison-Blanche, Seine-Saint Denis - 1993 - 79 p. retour au texte

    3. Delaney (Sadie P). - Times telling. In . Wilson Libray Bulletin, février 1955. retour au texte

    4. Une enquête, menée en 1996 par l'auteur de cet article, auprès de 35 bibliothèques de CHS en France, pour savoir si une collaboration entre bibliothécaires et personnel médical existait dans le cadre d'une bibliothérapie concertée et reconnue comme méthode de soin s'est révélée négative à l'exception d'un seul établissement. Le terme bibliothérapie ne semblait même pas connu. retour au texte