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    Les groupes de parole en gériatrie

    Par Nelly Bichot, Bibliothèque de la Croix-Rougedu Centre Hospitalier du Havre

    La genèse

    Les groupes de parole fêteront bientôt leurs dix ans. Ils ont été créés à l'initiative de Monique Chegaray, bibliothécaire et Janine Bourreau, bénévole. Leur création est le fruit d'une réflexion sur les conditions nouvelles d'exercice de ce métier à hôpital face au public des personnes âgées, dont actuellement une sur dix peut encore lire seule. Il fallait donc imaginer, à partir du livre et de la lecture d'un texte par une lectrice, de nouveaux lieux de paroles et d'écoute, sources de joie et de santé psychique. D'autres établissements avaient agi dans ce sens, s'inspirant du livre de Charlotte Memin qui préconise un triple objectif pour ces groupes : écouter, s'exprimer, communiquer. Le déclic se fait pour ces deux bibliothécaires lors du récit d'une expérience présentée au cours d'une réunion nationale et ainsi naît le premier groupe de parole au pavillon Bretonneau du Havre. Il est suivi par d'autres à Guillaume-le-Conquérant en 1996, à Sanvic en 1997 et à Rouelles en 1998.

    La mise en place

    Le groupe réunit une dizaine de personnes choisies par un ou plusieurs membres de l'équipe médicale ou soignante. Les participants doivent en effet être lucides, avoir une bonne audition et un état physique leur permettant d'être assis avec d'autres. L'adhésion de l'intéressé est bien entendu indispensable. Une ou deux personnes légèrement perturbées s'intègrent souvent très bien car elles enrichissent le groupe - en amenant à chacun de l'espoir quand leur état s'améliore - et incitent les autres participants à la tolérance. Pour que les participants soient prêts à l'heure, pour stimuler les indécis et signaler les nouveaux venus et afin de rappeler le jour de la réunion, la coopération des personnels est indispensable. Leur présence est importante car ce sont eux qui constateront les réactions immédiates, et celles à plus long terme, et qui nous encouragent dans cette entreprise. Un médecin qui nous avait recommandé une nouvelle venue « qui ne savait plus rien » a pu aussi constater rapidement le plaisir qu'elle prenait à assister au groupe et les bienfaits sur sa mémoire. Un autre médecin confirme « l'intérêt thérapeutique, au-delà de la culture et de l'animation d'une telle activité à l'intérieur d'un service de gériatrie ».

    Ces groupes ont réuni en 1997 plus de 672 personnes au cours de 82 réunions, soit une augmentation de 43 % en trois ans.

    L'intérêt des résidents et des services hospitaliers va croissant et toutes les demandes ne peuvent être satisfaites faute d'un nombre suffisant de bénévoles pour les animer.

    Chaque rencontre est gérée par deux personnes qui vont chercher les résidents dans leur chambre et les ramènent. C'est un peu de la vie extérieure qui pénètre jusqu'à eux et des liens se créent. Pendant la réunion, la lectrice dirige le groupe à elle seule, tandis que sa collègue prend des notes et intervient en cas de problème matériel. Des stagiaires et des membres du personnel soignant, animateurs et animatrices y assistent parfois.

    Tous les comptes rendus permettant de connaître les réactions et l'évolution des personnes sont archivés à la bibliothèque.

    Le choix des textes

    Il s'agit de lire des textes courts : un quart d'heure de lecture ponctuée d'échanges pour une heure de rencontre. Nouvelles, contes, fables, récits de voyages, vies de personnages célèbres, articles sur des événements extérieurs à l'établissement et même poésies se prêtent bien à cet exercice (1) . Tous les sujets sont soigneusement préparés ; ils suivent souvent le rythme des saisons, abordant des thèmes précis, à l'exception du vécu dans l'établissement qui risquerait d'être trop envahissant.

    Du texte à la parole

    Les textes sont de compréhension facile et doivent inciter à la parole. La lecture est lente, articulée, assez forte. La lectrice doit être attentive aux visages, aux regards, aux gestes traduisant l'envie de parler ou la nécessité de répéter un mot ou de répondre aux questions. Elle ne doit pas avoir peur des silences.

    La confiance doit s'installer, les réserves doivent tomber. Plus le groupe se connaît, plus cela va de soi. Il faut cependant à certains, très repliés sur eux-mêmes, des mois avant d'oser s'exprimer.

    Toutes les interventions sont permises mais si chacun a droit à la parole, chacun a aussi le droit d'être écouté.

    Le groupe étant réduit, on n'y est pas anonyme, il se crée une intimité entre des personnes qui, venant d'étages différents, s'ignoraient.

    Toutefois, la discrétion est de rigueur sur ce qui peut y être entendu.

    Le rendez-vous : un repère dans l'espace et dans le temps

    Il se tient à date et heure fixes, dans le même lieu sécurisant, où l'on se rend « comme chez des amis après s'être habillé, coiffé toujours avec soin. On y a sa place attitrée autour de la grande table. On y retrouve une identité, souvent enfouie dans la vie collective et les gestes de sociabilité que sont le bonjour, l'au revoir, le sourire, le serrement de mains, un baiser parfois.

    Pour certains qui ne veulent pas sortir de leur chambre, c'est la seule activité qu'ils gardent.

    À l'arrivée, chacun, s'il le veut, évoque les événements marquants de » sa semaine ". Les uns sont heureux : carnaval à l'hôpital, contact renoué avec une fille disparue depuis 40 ans, fête pour le centenaire d'un résident... Les autres sont malheureux. On peut ainsi partager sa joie ou, sans tabou, faire les premiers pas d'un deuil.

    Le déroulement des réunions et ses bienfaits

    Quand la porte se referme, chacun reste assis et oublie jusqu'au fréquent séjour aux toilettes ! On commence par un rappel de la lecture précédente, surtout s'il y a une suite, c'est un bon exercice de mémoire. Puis le thème (petits métiers, travaux des champs, fêtes familiales, alimentation...) et son auteur sont présentés, mettant aussi la mémoire en alerte, parfois la grande culture de certains. De temps en temps, un objet apporté stimule la mémoire visuelle et tactile quand l'attention se relâche.

    Le bienfait essentiel est la stimulation, qui fait resurgir les souvenirs lointains, presque toujours intacts, précis et abondants, même quand il n'y a plus aucune mémoire du présent et du passé récent. Les souvenirs d'enfance tiennent une place de choix dans l'expression des résidents. Heureux : «J'avais un baigneur qui s'appelait Dominique, je l'aimais tant » ou malheureux : Mon beau-père me battait ».

    La mémoire sensorielle est souvent réveillée : « après votre lecture où il a été question de cochon et de charcuterie, j'en ai eu l'eau à la bouche, j'ai eu envie de boudin, j'ai demandé à ma soeur de m'en apporter La mémoire affective fait évoquer avec émotion : la perte d'amis lors d'un naufrage en mer de Chine par un ancien navigateur ou la joie de la découverte de quelques pièces d'argent cachées dans les bras d'un vieux fauteuil acheté chez le brocanteur, etc. Parfois, le récit fait fuser une chanson chez l'un, réciter une fable de La Fontaine apprise autrefois par coeur chez l'autre. C'est alors la joie partagée par tout le groupe, plein d'admiration ou de compassion, et la fierté du résident qui redécouvre des richesses ensevelies qu'il croyait oubliées. Quand les aînés transmettent des savoirs anciens comme la recette de la confiture de cidre, comme les expériences vécues, telle une histoire vraie de loup à Saint-Romain au début du xxe siècle, la lectrice est alors en situation d'apprentissage. Le groupe devient école de vie, un sujet de réflexion sur les personnes âgées, qui inspirent le respect.

    Le bilan

    Le bilan apparaît positif : les résidents y sont fidèles, attendent la réunion avec impatience et la réclament parfois. Des prolongements se créent dans leur vie : on emmène la lectrice pour admirer la machine à coudre du salon après une lecture sur les travaux d'aiguilles ; on apporte des petits objets personnels en illustration du thème précédent (un crochet à remailler les bas, le petit couteau de sac de l'épouse défunte) ; on en parle à la famille car « on apprend beaucoup de choses,,; on fait des recherches de photos familiales auprès des proches ; on retrouve les paroles oubliées d'une chanson. Le rendez-vous hebdomadaire peut être aussi un projet de vie pour tout le groupe quand il aboutit à des désirs qui se réalisent : dégustation de moules dans un restaurant du Havre, petite exposition de cartes anciennes et de jouets... Le souvenir peut devenir ainsi actif, vivant et source de joie.

    Les groupes créent des liens plus humains : entre les résidents qui s'ignoraient, avec les familles et le personnel. La relation de complicité avec la lectrice valorise les personnes en leur redonnantconfiance et désir par la parole etelle agit comme le révélateur despotentialités enfouies.

    1. Quelques textes proposés : Une Soupe aux herbes sauvages, E. Carles ; Les Lettres de mon moulin, A. Daudet; La Gloire de mon père, M. Pagnol ; J'avais un an en 1900, E. Bled ; Les Petits boulots, J. Legoy ; La Maison de Claudine, Colette ; des biographies de Bourvil, E. Piaf, De Gaulle, J. Maridor, etc. retour au texte