Index des revues

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    Et si on partait en voyage...

    Par Maud Espérou
    La perception commence au changement de sensation, d'où la nécessité du voyage ». André Gide

    Si, abandonnant notre monde familier, nous allions à la découverte de ces pays que d'innombrables agences de voyage nous invitent à visiter ? D'immenses ou de moins grandes affiches fleurissent sur les murs de nos villes : ici Saint-Marc, là l'Escorial, ailleurs la pyramide de Chéops mais aussi les pyramides aztèques... Face à chacune ces merveilles du monde résonnent en nous bibliothécaires, au tréfonds de notre inconscient 945 l'histoire italienne, 946 l'histoire espagnole...

    Quotidiennement, pourtant, en longeant nos rayons, en répondant à nos lecteurs, nous traversons des frontières et, en une seule journée, il nous arrive de faire plusieurs tours du monde passant des Nouvelles- Hébrides à la Gaspésie, de Stockholm à Valparaiso, de l'Ob à l'Amazone... De ces fugaces voyages imaginaires nos bibliothèques, à l'exception de quelques grands établissements ou centres spécialisés accessibles à un public limité, renvoient aux mêmes auteurs universellement célébrés, comme les touristes pressés ramènent toujours les mêmes images trop vues.

    Il existe, cependant, des bibliothèques qui incitent à de vrais départs, à de réelles découvertes et à d'autres lectures. Elles sont ouvertes à tous, collégiens, étudiants, chercheurs, aux voyageurs que les guides Michelin et les guides Bleus ne satisfont pas, à tous ceux qui veulent en savoir plus sur les cultures d'ailleurs.

    Des centres culturels

    Nous avons voulu rechercher hors du réseau national ces bibliothèques qui sont nos « étrangères » . Ce sont toutes les bibliothèques des centres culturels étrangers en France, installées surtout à partir des années cinquante : bibliothèques du British Council, bibliothèques du Goethe Institut, bibliothèques du Centre culturel italien... ou ouvertes plus récemment : la bibliothèque du Centre culturel finlandais, la bibliothèque du centre culturel égyptien.

    Dès que l'on franchit le seuil des centres culturels, on parle moins français, on entend des sonorités différentes ; les tables, les murs, les présentoirs, les rayons parlent d'ailleurs avec des mots d'ailleurs. Si l'Allemagne, l'Espagne, l'Italie, les États-Unis ont créé un réseau dans les grandes villes de province en plus du siège parisien, la majorité des autres pays n'a ouvert un centre culturel qu'à Paris. Soutenus financièrement par leur ministère des Affaires étrangères ou par une association qui en dépend, ces centres proposent, au-delà d'une vitrine sur le pays, une ouverture sur leur culture vivante. Un service commun rassemble tous les centres culturels : les cours de langue et de civilisation dispensés régulièrement sur des cycles plus ou moins longs, qui vont de l'apprentissage premier pour les débutants à l'approfondissement pour les élèves avancés. Les journées d'étude, les séminaires et colloques, organisés avec leurs concours, réunissent des journalistes, des universitaires des deux pays et permettent de fécondes confrontations dans des domaines politique, économique, culturel... Ces activités intellectuelles sont complétées par des expositions qui célèbrent un peintre, un romancier, un poète lié à la France : l'année 1997 fut marquée au Goethe-Institut par la célébration du bicentenaire de la naissance de Heine. Ces manifestations culturelles élargissent ainsi, pour le public français, la vision de l'autre.

    Les centres culturels offrent un matériel sur le pays aux visiteurs qu,i se contentent d'une information standardisée. Pour les plus curieux, pour ceux qui font de véritables recherches, quel qu'en soit le domaine, et qui ont besoin d'une documentation précise et à jour, le service de documentation met à leur service les ressources bibliographiques traditionnelles mais également celles issues des nouvelles technologies : interroger sur Internet des bases pour connaître les jours d'ouverture d'un musée outre-Rhin, l'adresse d'un centre de documentation spécialisé dans le commerce mondial des fourrures, ou le discours sur l'État de l'Union prononcé par le président des États-Unis en 1990 ne semble pas absurde dans les centres culturels. La diversité et l'importance des questions posées demandent un personnel très disponible et très compétent : on souhaiterait que la fonction de « référence librarian ", chère aux anglo-saxons, soit reconnue par des organismes français similaires. La presse est la voie royale pour approcher le quotidien d'un pays : devant les présentoirs de journaux que toutes les bibliothèques des centres culturels proposent, le dépaysement que nous avions ressenti en entrant se poursuit : le Daily Mirror, le New Yorker, El Pais, Nihon KeizaiShimbun ou El Watan... ont remplacé nos habituels Le Monde, Figaro, Express... Les très nombreux journaux mais aussi les périodiques spécialisés mis à la disposition du public apportent aux collections nationales un complément incomparable, auquel nous devrions peutêtre faire appel quand nous ne voyons pas la trace d'un titre dans le CCN.

    Des bibliothèques

    Pour voyager au coeur d'une culture, d'une civilisation, d'une langue, les livres seront encore longtemps privilégiés. Tous les centres culturels n'ont pas de bibliothèque et le regrettent, comme nous l'a dit le responsable du centre culturel hellénique. Certaines bibliothèques n'ont qu'un fonds modeste dans les locaux de l'Ambassade mais ce fonds est mis à la disposition d'un public motivé ", nous expliqua un responsable de l'Ambassade de l'Inde. De très grandes bibliothèques existent avec des collections littéraires, historiques, d'art. La bibliothèque de la toute nouvelle Maison de la culture du Japon propose les classiques de la littérature japonaise en langue originale mais aussi les traductions faites par les Presses orientalistes de France. La bibliothèque du Goethe-Institut à Paris peut se flatter d'offrir un des meilleurs fonds sur la philosophie allemande. L'Institut néerlandais donne une image aussi complète que possible de l'art et la littérature aux Pays-Bas ; la richesse de ses collections en histoire de l'art et les correspondances d'artistes, tout comme le fonds de livres publiés aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles donnent à cette bibliothèque une dimension européenne.

    L'Institut du monde arabe avec ses 50 000 livres, dont la moitié en langue arabe, permet à son public d'avoir accès à la littérature classique arabe mais aussi aux auteurs contemporains du Maghreb et du Machrek, qui ne sont pas toujours diffusés en France.

    Nous n'oublions pas les 70 000 ouvrages, majoritairement en portugais, conservés à la Fondation Calouste Gulbenkian, les 30 000 ouvrages de l'Institut culturel italien à Paris, les 35 000 ouvrages de l'Institut Cervantes de Paris, les 20 000 ouvrages de l'Institut culturel autrichien...

    Dans toutes ces bibliothèques l'offre de lecture est complétée par des disques, des cédérom, des vidéocassettes qui font de ces bibliothèques de véritables médiathèques spécialisées. Elles proposent ainsi un panorama complet d'une civilisation et d'une culture qui ne demeurent pas figées dans quelques grands textes.

    Les voyages imaginaires où nous ont conduit les centres culturels se continuent à la Cité Internationale Universitaire de Paris, créée en 1922, sous l'impulsion d'André Honorat. Les pavillons des différentes nations, qui se sont ouverts depuis la première fondation, entretiennent des bibliothèques, plus ou moins importantes. Dans quelques maisons, le volume et la qualité des collections complètent les fonds des centres culturels et des bibliothèques universitaires dans les disciplines littéraires ou historiques du pays comme celles du collège de Espana, ou dans les études d'anthropologie comme celles de la bibliothèque Benito Juarez de la Maison du Mexique. Ces bibliothèques, bien que destinées aux étudiants de la Cité Universitaire, sont ouvertes aux chercheurs.

    Les bibliothèques des exilés

    Toutes ces bibliothèques, bibliothèques de centres culturels, bibliothèques des Maisons de la Cité Internationale Universitaire, ne sont pas les seules à nous mener hors de France. L'exil a réuni des hommes désireux de retrouver dans les livres leur monde abandonné : se sont ainsi montées les bibliothèques des sans-patrie ». Après l'insurrection de 1830, écrasée par le Tsar Nicolas Ier et l'interdiction de l'emploi de la langue polonaise, les intellectuels polonais, réfugiés en France, fondèrent une association pour servir la cause de la Pologne à travers sa littérature et sa culture : la Bibliothèque polonaise de Paris, installée depuis 1855 au quai d'Orléans, fut ouverte au public dès 1839. D'autres nations durent s'exiler pour survivre. Les immigrés arméniens trouvèrent un asile en France après avoir fui la Turquie au début du 20e siècle. La bibliothèque Nubar, riche de plus de 50 000 livres, a développé, depuis sa création en 1928, un fonds de recherche sur la civilisation arménienne.

    Une poignée d'ouvriers juifs polonais socialistes qui, pour échapper à l'antisémitisme, s'étaient installés à Paris dans l'entre-deux-guerres ouvrirent, en 1929, une bibliothèque populaire destinée aux immigrés yiddishophones les plus démunis. La Bibliothèque Medem, sauvée de la Gestapo, reprit ses activités à la Libération. La fin du monde yiddish en a fait une bibliothèque de conservation et de recherche d'une culture anéantie.

    Les cultures d'ailleurs

    Au terme de notre voyage, nous avons découvert un grand nombre de bibliothèques ; quelques-unes ne sont connues que des seuls habitués, d'autres ont grande réputation. Nous avons, peut-être, omis de rappeler, ici ou là, des centres culturels et des bibliothèques possédant des fonds importants. Notre ignorance en est la cause ; nous prions leurs membres de nous en excuser et nous leur demandons de nous faire connaître leur institution. Nous avons invité les directeurs et responsables de quelques établissements à nous présenter leurs bibliothèques, leurs collections, reflets de leurs cultures et de leurs civilisations. Nous aimerions que leurs ressources bibliographiques autant que leurs innovations technologiques deviennent familières aux bibliothécaires français. Nous les remercions tous pour leurs contributions à ce numéro qui s'est voulu ouvert sur les cultures d'ailleurs.