Index des revues

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    Un lieu de rencontre et de dialogue

    La bibliothèque de l'Institut du monde arabe

    Par Djamila Si Ahmed, Chef du département Bibliothèque

    L'Institut du monde arabe est une fondation de droit français créée en 1980 par la France et les états de la Ligue arabe pour favoriser la connaissance de la culture et de la civilisation arabes par le public français. Ouvert au public en 1987, l'IMA a inscrit dans la durée son action en faveur du dialogue interculturel.

    La mission de sa bibliothèque s'inscrit dans la perspective, à la fois simple et complexe, du rapprochement des cultures et favorise, à travers ses collections, découverte et connaissance approfondie du monde arabe. Si elle se tourne délibérément vers le monde arabe contemporain, elle rassemble également les sources de sa culture classique et cherche à satisfaire à la fois les besoins des spécialistes et ceux d'un large public.

    Des fonds encyclopédiques en libre accès

    Elle met à la disposition de ses lecteurs des fonds multilingues dont environ la moitié en arabe, l'autre moitié se répartissant entre le français et l'anglais mais aussi l'allemand, l'espagnol et l'italien. Ce sont 60 000 volumes dont le Fonds Sayyid fort de 1 800 titres en arabe qui réunit les chefs-d'oeuvre de la culture arabe classique et contemporaine et le Fonds Ninard, spécialisé sur le Maroc du protectorat, rassemblant 2 500 titres en français.

    La collection de périodiques, particulièrement riche, regroupe 1 200 titres, dont 800 vivants, représentatifs de la diversité éditoriale arabe et sur le monde arabe : revues d'actualité, culturelles, patrimoniales, officielles, scientifiques et techniques.

    La bibliothèque de l'IMA s'est forgé une identité propre parmi les bibliothèques parisiennes. Sa spécificité réside dans le large éventail de publics qu'elle tente de satisfaire ainsi que la diversité de niveaux des documents qu'elle propose. Se côtoient dans ses salles étudiants, chercheurs, collégiens, journalistes, représentants de professions libérales, touristes en partance pour un pays arabe, artistes à la recherche d'iconographie, ou simples curieux en quête de nouveauté. Lieu d'étude et de découverte mais également de rencontre, elle assume un rôle social de creuset où se mêlent spécialistes et grand public de toutes origines et tous horizons dans une ambiance souvent chaleureuse, entretenue par la qualité d'écoute particulière du personnel d'accueil.

    L'espace de lecture de la presse, qui présente tous les jours une information diversifiée et directe, un panorama des quotidiens de langue arabe ainsi qu'un certain nombre d'hebdomadaire, contribue également à faire de la bibliothèque un lieu de rencontre privilégié.

    L'accès aux documents, libre et gratuit, sauf pour la réserve, les microformes et les méthodes de langue, banalise et démystifie l'accès à une culture dont l'éloignement géographique tendrait à accroître la singularité.

    Le véritable atout de notre bibliothèque est d'être la seule en France à offrir à ses lecteurs, regroupés en un même espace, des fonds sur le monde arabe classique et contemporain, en langue arabe et en langues occidentales, couvrant tous les domaines de la connaissance sur l'ensemble de l'aire géographique arabe (Machrek, Maghreb et Péninsule arabique). Nous cherchons à combattre l'image réductrice d'un monde arabe monolithique, à la fois figé dans la nostalgie d'un âge d'or révolu et agité par les soubresauts d'une actualité souvent dramatique. Notre souci est de refléter à travers nos fonds le pluralisme d'une aire culturelle riche et foisonnante, dans toute sa diversité ethnique, linguistique et confessionnelle, parcourue par des courants littéraires, artistiques, idéologiques qui donnent lieu à débat mais aussi à création, où des intellectuels et chercheurs de renom mènent des réflexions ouvrant sur la modernité. Cette perspective pluridisciplinaire et multilingue va dans le sens des préoccupations actuelles des chercheurs désireux, pour mieux appréhender une réalité souvent complexe, de désenclaver les différents domaines d'étude et de multiplier les éclairages dans une optique globaliste.

    Ces fonds, en effet, vont bien au-delà de la littérature, la linguistique, l'histoire et les sciences religieuses, dont les classiques sont pour la plupart disponibles dans les bibliothèques françaises. Ils couvrent également l'économie, la sociologie, les sciences politiques, le droit, les beaux-arts, l'histoire des sciences et la géographie, toutes disciplines mal ou peu représentées ailleurs. Les ouvrages en langue arabe relevant de ces disciplines sont particulièrement rares et recherchés comme en témoignent les visites d'étudiants et de chercheurs de province ainsi que les nombreuses demandes de prêt exceptionnel qui nous parviennent assorties du commentaire: "J'ai cherché cet ouvrage partout, vous êtes les seuls à l'avoir ».

    Le traitement des documents procède également de cette volonté de redonner à la langue arabe ses lettres de noblesse en tant que langue de travail. Grâce au logiciel bi-alphabétique MINI-SIS, les documents arabes sont traités dans leur langue d'origine, le catalogue informatisé offrant la possibilité d'une recherche en langue arabe. Un travail terminologique a été pour cela nécessaire, qui s'est traduit par la création d'outils documentaires spécialisés adaptés aux fonds arabes et sur le monde arabe : un cadre de classement inspiré de la CDU mais largement adapté à nos besoins, un thesaurus encyclopédique bilingue arabe-français et un fichier d'autorité enrichi de nombreuses informations biobibliographiques.

    Une information multiforme sur le monde arabe

    Les besoins d'information sur le monde arabe s'accroissent. On peut y voir une conséquence du développement du tourisme et d'une actualité souvent brûlante. Mais il est permis de croire qu'une demande jusque-là informelle et diffuse, qui ne trouvait pas à se satisfaire, a trouvé son point d'ancrage à l'Institut du monde arabe.

    La Bibliothèque de l'IMA tente de répondre à ces interrogations qui se manifestent par une profusion de demandes de recherches bibliographiques ou documentaires transmises par courrier ou téléphone, de toute la France et du monde entier. Elle touche là un autre public que celui des salles de lecture qui la sollicite, souvent sans être jamais venu à l'IMA et s'adresse à elle comme à un réfèrent, voire même un arbitre sur les questions les plus diverses touchant au monde arabe.

    La présence d'une unité documentaire au sein de la bibliothèque contribue à l'ancrer davantage dans l'actualité. Des documentalistes sont affectés au dépouillement des revues arabes et sur le monde arabe : 20 000 articles indexés sont regroupés au sein d'une base bibliographique encyclopédique. Ils réalisent une base de données sur les éditeurs arabes et européens traitant du monde arabe et actualisent la base RIMA qui recense bibliothèques et centres de documentation sur le monde arabe. Ils participent enfin à la réalisation du site Internet IMA. Ce site, déjà consultable, fournit, outre les informations à caractère institutionnel sur l'IMA, sa mission et ses activités, régulièrement mises à jour, une introduction au monde arabe, son histoire et sa civilisation. Il sera complété par les documents fondamentaux faisant l'objet de demandes récurrentes de la part du public (constitutions, textes de droit, textes de traités et d'accords, listes des membres des gouvernements arabes, biographies de personnalités politiques, etc.) ainsi que par les ressources documentaires engrangées par les différents départements de l'IMA : bases bibliographiques et documentaires de la bibliothèque et du centre audiovisuel, fonds iconographiques numérisés, etc.

    Le Salon euro-arabe du livre

    La dimension européenne des ambitions de l'IMA se manifeste à travers le Salon euro-arabe du livre, manifestation biennale organisée par la bibliothèque. L'idée de ce salon, lancée en 1990 par Pierre Bernard alors directeur des éditions Sindbad, a été perpétuée après sa disparition en 1995. La 4e édition s'est tenue en mai 1997, la prochaine se déroulera en mai 1999. L'exposition retraçant la vie et l'oeuvre de Pierre Bernard présentée au 4eSalon sera de nouveau visible à la librairie de l'IMA, lors de la commémoration du vingtième anniversaire des éditions Actes Sud, repreneur du fonds Sindbad. La personnalité et le parcours de son initiateur sont à eux seuls révélateurs des motivations profondes qui ont déterminé cet ambitieux projet. Créateur de l'un des plus beaux fleurons de l'édition française, Pierre Bernard s'est fait pendant plus de vingt ans, à travers ses publications souvent audacieuses, le défenseur des lettres arabes dont il a « découvert », pour le public français, certains grands noms dont Naguib Mahfouz.

    En attendant la révolution planétaire annoncée pour le multimédia, le livre reste le vecteur primordial de la connaissance et l'instrument privilégié du dialogue entre les cultures. À travers ce salon, conçu comme lieu de rencontre entre professionnels du livre, arabes et européens, la bibliothèque apporte sa contribution, à travers le livre et la revue, au resserrement des liens entre les deux rives de la Méditerranée. Elle s'offre une opportunité de faire le point de l'édition européenne sur le monde arabe et d'apporter témoignage de la vitalité, mal ou peu connue, de la production intellectuelle arabe en provenance du Maghreb et du Machrek. Depuis 1997, une journée professionnelle, marquée par une rencontre entre bibliothécaires et éditeurs, tente de faire le point sur l'un des aspects de la vie du livre arabe et sur le monde arabe en France et en Europe.

    Les quatre salons qui se sont déroulés depuis 1990 ont trouvé un écho favorable auprès des participants et du public, ce qui encourage ses organisateurs à poursuivre l'effort et à adapter cette manifestation aux réalités nouvelles.

    Depuis 1990, la perception du monde arabe par le public européen a évolué, au gré des bouleversements qui l'ont affecté, de manière parfois contradictoire, allant du rejet incoercible suscité par la guerre du Golfe à la curiosité timide éveillée par la mise en route du processus de paix au Moyen-Orient, en passant par l'inquiétude et les interrogations provoquées par la montée de la violence en Algérie.

    C'est ce contexte trouble d'attirance-rejet, né d'une cohabitation obligée et d'une destinée quoiqu'on en dise commune, que le Salon euro-arabe du livre, espace privilégié de rencontre, d'expression et de découverte mutuelle, tente avec des moyens modestes de dissiper. Donner la parole aux hommes de culture, c'est soustraire le débat à la sphère politique dans laquelle, faute d'une approche humaniste, souvent il s'enlise.

    Des projets de coopération

    L'approche humaniste préside également au choix des projets de coopération de la bibliothèque. Parmi les actions engagées depuis quelques mois, figure notre participation à la création d'une bibliothèque de lecture publique à Gaza. Lancé par la municipalité de cette ville, dans le cadre d'un accord de jumelage avec la ville de Dunkerque, ce projet fait appel à notre bibliothèque pour le perfectionnement des futurs bibliothécaires initialement formés à Dunkerque et le suivi, à distance et sur place, du travail de collecte et traitement des fonds. Les besoins en matière de lecture en Palestine sont immenses et, malgré un contexte politique difficile, notre adhésion à ce projet est totale : nous sommes motivés par la présence d'une population palestinienne particulièrement jeune, privée d'ouverture au monde, assoiffée de connaissance et de qualification professionnelle.

    Malgré les efforts d'ouverture vers les bibliothèques similaires, parisiennes ou de province, réitérés au cours de la journée professionnelle du Salon euro-arabe du livre, les relations avec les bibliothèques spécialisées françaises restent sporadiques. Le statut particulier de notre bibliothèque la situe en marge des circuits traditionnels et ne favorise pas son insertion.

    Le travail en réseau, malgré plusieurs tentatives, s'avère pour l'instant impossible. Ce problème, directement lié à celui plus complexe du mode de traitement des fonds étrangers dans les bibliothèques françaises, reste tributaire d'une avancée technologique dans le domaine de la réalisation de claviers informatiques adaptés aux alphabets non latins. Notre système informatique fait à la fois notre force et notre faiblesse : il nous permet de travailler en arabe mais constitue un obstacle à la mise en réseau de notre catalogue en vue d'une localisation de nos fonds, ou mieux d'un catalogage en temps partagé.

    La solution, maintes fois préconisée, consisterait à nous aligner sur les bibliothèques françaises par une translittération de nos notices arabes. Cette solution, éminemment pragmatique, est pour nous inacceptable car elle reviendrait à renier des choix fondamentaux incontournables qui font notre spécificité.

    Signe de l'image positive que véhicule la bibliothèque de l'IMA : les dons nombreux et de qualité qui nous parviennent de la part d'organismes et de particuliers. Les ouvrages et revues non retenus sont, avec l'accord des donateurs, dispersés vers d'autres bibliothèques, des associations ou des organismes travaillant avec des pays démunis.

    Le nombre d'étudiants ou de jeunes diplômés qui sollicitent notre bibliothèque pour des stages de courte ou moyenne durée s'accroît d'année en année. Les professionnels de langue arabe, ou ayant une connaissance suffisante de la langue arabe, sont particulièrement attirés par notre bibliothèque où ils peuvent découvrir un système informatique bi-alphabétique permettant de traiter les ouvrages arabes dans le strict respect de la langue du contenu. Ils peuvent également bénéficier de l'expérience non négligeable acquise par le personnel de la bibliothèque, en place depuis de longues années.

    Des publications

    La politique de publication de la bibliothèque a été réorientée. Centrée dans les années quatre-vingt sur des reprints d'ouvrages tombés dans le domaine public (Bibliographie de Chauvin, Traité des simples de Ibn al-Baytar traduit par Leclerc, Grammaire arabe de Silvestre de Sacy), cette politique privilégie aujourd'hui les catalogues, guides et répertoires. Le catalogue du Fonds Ninard sur le Maroc en constitue le fleuron. Écrivains arabes d'hier et d'aujourd'hui s'est imposé comme une référence dans le genre bio-bibliographique. Suivront en 1998, un dictionnaire des écrivains palestiniens élaboré à partir de la base biobibliographique ALAM, la nouvelle édition du Guide du monde arabe et RIMA Maghreb, répertoire de bibliothèques et centres de documentation des cinq pays du Maghreb : Mauritanie, Maroc, Algérie, Tunisie, Libye. Des bibliographies thématiques sur des sujets d'actualité ou liés aux manifestations de l'IMA sont régulièrement élaborées. Des dossiers documentaires, dont certains, comme Kalila wa Dimna Les Mille et une nuitsont connu les faveurs du public et ont fait l'objet de plusieurs tirages, complètent cette production.

    La bibliothèque, au même titre que les autres départements de l'IMA, participe dans sa sphère d'action, austère et discrète à l'effort de rapprochement de deux cultures. Documentation encyclopédique et multilingue, bases de données, publications, réponses aux demandes de recherches en salles et à distance, formation de personnel spécialisé, autant de facettes d'un même travail en profondeur qui tente, jour après jour, de gommer les aspérités ou préciser les contours d'une perception occidentale, tantôt schématique tantôt floue, quand elle n'est pas hostile, dont nous constatons chaque jour la pérennité. Le personnel et la direction de la bibliothèque sont plus que jamais conscients des enjeux de cette action située au coeur d'un débat qui n'est pas près d'être clos. Ils privilégient, pour reprendre le mot de Jacques Berque les dialogues, fussent-ils conflictuels, à condition qu'ils soient pertinents, au lieu de la réciproque indifférence... »

    Vignette de l'image.Illustration
    Institut du monde arabe, bibliothèque