C'est par un livret-programme trilingue élégant et éminemment politique, présentant une combinaison inhabituelle du français, du hongrois et de l'allemand que l'Institut français (1) en Hongrie et le Goethe Institut (2) de Budapest annonçaient le colloque international de bibliothécaires qu'ils ont organisé du 25 au 27 septembre sous le titre « Bibliothèques publiques dans une Europe nouvelle ». »
(...)« Le public visé était les bibliothécaires d'Europe centrale et orientale et quelque 200 participants, des Etats baltes à l'Albanie et à la Macédoine, ont répondu à l'invitation. Grâce à des traductions simultanées, les langues allemande, française et hongroise ont été les vecteurs d'échanges sur le nouvel ordre en Europe, sur les défis des nouvelles technologies de l'information et les nouveaux champs d'innovation qui en découlent en bibliothéconomie. Il y avait, en outre, un petit mais remarquable salon professionnel sur les lieux du congrès, l'Institut français situé au bord du Danube, et un merveilleux temps de fin d'été réchauffait le coeur.
» Après les mots de bienvenue des responsables culturels français et allemands, des instituts culturels et du BDB (3) , les conférences d'introduction ont été prononcées par Jean-Pierre Angremy, président de la Bibliothèque nationale de France (4) , et Klaus-Dieter Lehmann, le directeur général de la Deutsche Bibliothek (5) . Les deux établissements assument des fonctions de direction et de service pour les bibliothèques de leur pays, mais elles les exercent de façon différente. Angremy représente un système encore fortement centralisé avec le vieil espace de bibliothèque des encyclopédistes - tout le savoir du monde, qu'il ne s'agit plus d'archiver mais de structurer et de rendre accessible en ligne. La relation entre bibliothèque, savoir et nation est naturelle pour l'homme de lettres (6) , et il pouvait être sûr de l'approbation des actuels responsables politiques de la culture."
[...] « Klaus-Dieter Lehmann exposa avec autant d'érudition que de réalisme les fascinantes possibilités d'une coopération électronique entre les grandes bibliothèques encyclopédiques européennes et rappela que le coeur de chacune demeure le trésor culturel de leurs collections. Partant de l'exemple du fédéralisme européen et de la politique européenne en matière de bibliothèque menée avec profit depuis des années, Lehmann définit le rôle des bibliothèques nationales comme moteur de la coopération internationale entre bibliothèques. (7)
Suivit un développement en cinq demi-journées : les grands enjeux politiques et culturels, bibliothèque et société, la bibliothèque en ligne, la formation des bibliothécaires et des utilisateurs, enfin les bibliothécaires et leurs publics, avec des interventions croisées allemandes et françaises présidées et modérées par des collègues hongrois.
Les grands enjeux furent définis par Dominique Arot, secrétaire général du Conseil supérieur des bibliothèques (8) , et Ulrich Raulff, chef de la rubrique culturelle du Frankfurter Allgemeine Zeitung. Le premier, s'appuyant sur une responsabilité accrue des pouvoirs politiques locaux dans le développement de la lecture publique et une diversité des usages et besoins des publics, a estimé que la révolution numérique n'entraînait pas bien au contraire la fin de la bibliothèque comme bâtiment, ni celle des bibliothécaires conduits à s'inventer une bibliothéconomie nouvelle pour proposer et garantir l'accès à un large public de contenus culturels et informationnels riches et diversifiés. Le second, rappelant que l'Europe est une civilisation du livre, a exprimé devant la révolution numérique les craintes et les espoirs d'un philologue dont la discipline avait réhabilité ces dernières décennies l'importance de la matérialité des supports, et répété après Umberto Ecco que l'important n'était pas tant l'accès immédiat à l'information souhaitée que la proximité des volumes posés les uns à côté des autres.
Francine Thomas, directrice de la bibliothèque municipale de Strasbourg, a expliqué comment la lecture publique française, après un essor tardif mais vigoureux, s'est trouvée investie de missions sociales, la conduisant à marier complexité (des services et des techniques) et simplicité (de l'accès autonome de l'usager), organisant et laissant s'autorganiser les publics entre déambulation et guidage, bruit et silence, groupes et individus. Son homologue de Stuttgart (9) Hannelore Jouly, a présenté la configuration possible de la bibliothèque du futur, comme atelier de formation continue, lieu littéraire et culturel, comme médiateur multi-support, comme institution favorisant l'enracinement et l'identité dans un monde interconnecté (10) .
Dominique Lahary, directeur-adjoint de la bibliothèque départementale du Val-d'Oise (11) , s'est demandé si la bibliothèque en ligne faisait plus, mieux ou autre chose. Énumérant en quoi la révolution numérique bousculait les piliers de la bibliothéconomie (la collection, le temps, le lieu, l'institution et la norme), il a plaidé pour une stratégie de présence sur ce nouveau terrain, et pour l'utilisation par les bibliothécaires des réseaux communs, des langages communs, des standards communs, faute de quoi la société de l'information n'existerait que sous forme marchande. Barbara Lison-Ziessow a présenté le projet BINE développé à la bibliothèque municipale de Brême (12) qu'elle dirige, et dont l'objectif était d'expérimenter les possibilités d'exploitation des ressources d'Internet dans le contexte d'une bibliothèque publique. Des ressources relatives aux deux domaines retenus pour le projet (l'environnement et l'informatique) ont été sélectionnées et commentées (13) .
Jean-François Jacques, directeur de la médiathèque d'Issy-les-Moulineaux (14) , a montré en quoi le multimédia entraînait pour les bibliothécaires comme pour le public la nécessité de savoir-faire nouveaux, le public enfantin étant celui pour lequel l'enjeu est le plus grand : accédant instinctivement aux nouvelles techniques, il est aussi le plus vulnérable à la déstructuration apparente des connaissances. Ute Klaasen, directrice de la bibliothèque de la ville de Gütersloh (15) , s'est appuyée sur son expérience de gestionnaire et d'animatrice de formation pour appeler à un renouvellement des modes de management et à une orientation délibérée vers l'utilisateur.
«Devenir bibliothécaire grâce au public », a plaidé Bertrand Calenge, directeur de l'Institut de formation des bibliothécaires, militant pour une bibliothèque dynamique, capable de construire avec le demandeur la réponse à sa préoccupation, pour une bibliothèque critique, appelée à valider les contenus qu'elle propose, pour une bibliothèque stratège, élaborant à l'aide de disciplines auxiliaires dont l'informatique n'est qu'une parmi d'autres dans l'art de servir le public.
Birgit Dankert, porte-parole du BDB et professeur à l'Ecole supérieure spécialisée de Hambourg, département Bibliothèque et information, a brossé un tableau des initiatives des organismes de formation professionnelles en bibliothéconomie des pays de l'Union européenne dans le domaine des nouvelles technologies de l'information, appelant à une mise à jour des cursus de préparation à une profession amenée a suivre et conduire « le chemin de Gutenberg à Internet ».
Il fut également question de coopération européenne, avec Souad Hubert, qui présenta l'importante activité internationale de la BPI (16) dont elle est responsable, et Monika Segbert, collaboratrice du secteur Télématique pour bibliothèques à la DGXIII de la Commission européenne (17) . Des ateliers monolingues ont permis à Christiane Bohrer, la responsable du département Information et bibliothèque des instituts Goethe, et Birgit Dankert d'aborder des questions pratiques et financières, et à Jacqueline Sanson, directeur général-adjoint de la BnF et Jean-Claude Utard, responsable de la mission Formation du service scientifique des bibliothèques de la Ville-de-Paris, de présenter l'action de leurs structures respectives.
Les interventions des bibliothécaires hongrois comme les réactions des participants d'Europe centrale et orientale balançaient entre la prise en compte des mutations ainsi présentées et les particularités de la période de transition qu'ils sont en train de vivre, et qui se caractérise notamment par un accroissement des difficultés matérielles des pratiques de lectures, révélées par celle des achats et des emprunts, ainsi que l'expliqua Attila Nagy, chef du service de bibliothéconomie et méthodologie de la Bibliothèque nationale hongroise.
« On retiendra de ces trois jouis que l'Institut français en Hongrie, l'Institut Goethe de Budapest et des collègues hongrois ont esquissé, dans une combinaison intelligente et collégiale, les contours d'une Europe bibliothéconomique, qui ouvre des perspectives jusqu'ici inégalées ; que la coopération franco-allemande peut se révéler dans un partenariat de qualité avec l'Europe centrale et orientale ; que Budapest peut jouer un rôle incontestable d'intermédiaire entre les expériences des bibliothèques de l'Est et de l'Ouest du continent ; que de vieilles nations nouvellement reformées sont en train de redéfinir dans un cadre européen leurs anciennes alliances déjà presque oubliées avec la France et l'Allemagne. Si nous nous mettons à la tâche de façon intelligente, les bibliothèques et les nouvelles technologies de l'information vont apporter leurpiene à l'enrichissement des relations entre européens. C'est avec raison qu'à la clôture de la conférence les représentants des ambassades française et allemande ont dit leur fierté de la réussite de cette manifestation."
Oui, il y avait de quoi être fier de cette impressionnante rencontre de toute l'Europe centrale et orientale, à l'exclusion de l'ex-URSS, et les prises de contacts entre participants furent nombreuses. Il y avait de quoi être fier de cette conférence internationale qui donnait un sens plein au mot Europe, et au cours de laquelle on sut ne pas parler anglais. Il y avait de quoi être fier de cet exemple de coopération franco-allemande qui pourrait bien se poursuivre dans les années qui viennent, à Budapest mais aussi dans d'autres capitales. Que les trois chevilles ouvrières de ces rencontres en soient remerciées : Richard Roy, responsable de la médiathèque de l'Institut culturel français en Hongrie, Bârdossy Gyôngyvér, sa collaboratrice, et Elisabeth Macan, responsable de la bibliothèque du Goethe Institut à Budapest.
Albanie, Allemagne, Bosnie, Bulgarie, Croatie, Estonie, France, Hongrie, Lettonie, Macédoine, Pologne, Roumanie, Slovénie, Slovaquie, République tchèque, Fédération yougoslave.
(NDLR : les extraits de l'article de Brigit Dankert ont été traduits par Dominique Lahaty.)