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La place de l'information dans la formation des étudiants

1999
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    La place de l'information dans la formation des étudiants

    Par Anne Imbert, Professeur certifié dedocumentation, SCD de l'université Toulouse 2-le-Mirail

    La formation des étudiants à la recherche documentaire est un des avatars de la formation des usagers dont la mise en oeuvre préoccupe les bibliothèques de toutes natures. La BnF elle-même, sous le choc du public du haut de jardin, n'échappe pas à ce souci. Les bibliothèques universitaires, en tant qu'institutions relevant de l'enseignement, sont particulièrement soucieuses de contribuer à l'accomplissement intellectuel des étudiants par les moyens qui sont les leurs. Faut-il pour autant transformer la bibliothèque expressément en machine à enseigner ? La recherche documentaire peut-elle être l'objet d'une discipline d'enseignement et à ce titre revendiquer un corps professoral ? Il faut se poser toutes ces questions : déjà, de nombreuses formations se mettent en place alors même que la réflexion au niveau du ministère n'est pas achevée. Quelle part de ce vaste chantier peuvent prendre aujourd'hui les SCD ?

    Apprendre à lire

    L'idée d'un enseignement de la bibliographie aux étudiants avancés a acquis avec le temps une légitimité, confirmée par la pratique. Pratiquement toutes les universités, la Conférence des grandes écoles en témoigne, ont offert quelques heures d'apprentissage à l'interrogation des banques de données avec l'intervention de bibliothécaires aux doctorants.

    Cela semblait suffisant. Cette tranquillité a été troublée dans les années 1990 par le résultat des enquêtes interrogeant les pratiques de lecture des étudiants. On découvrit que seulement 52 % des étudiants considéraient la lecture comme indispensable pour les études, qu'au moins 40 % d'entre eux ne fréquentaient pas leur BU. C'est ainsi que s'imposa l'idée que lire dans l'enseignement supérieur, cela s'apprend. La révolution technologique des nouveaux supports de l'écrit, complexifiant encore l'accès à une information exponentielle, a créé un nouveau besoin de formation pour l'ensemble de la communauté universitaire.

    « La culture livresque objet élitiste doit se rendre accessible à une société de lecture de masse. " H. J. Martin (Atlas des littératures). Voilà ce que se propose la formation à la recherche documentaire. Notons au passage que la plupart des universités ont choisi cette dénomination pour les enseignements liés à la bibliothèque, le Manuel de bibliographie de 1996 entérinant lui-même cette expression en soulignant qu'elle traduit l'activité intellectuelle et l'ouverture disciplinaire aux nouvelles formes de l'écrit. Elle vise à aider l'étudiant à construire son affiliation disciplinaire, à lui permettre d'évaluer l'ampleur du champ de savoir dans son domaine en complément de l'enseignement qu'il reçoit, pour lui permettre de se l'approprier de façon personnelle et de s'émanciper de ses maîtres. Les études faites sur les pratiques de la bibliographie à l'université de Toulouse 2 ont bien montré que les étudiants ne lisaient pas forcément les livres prescrits par les professeurs (d'où le sentiment de ceux-ci que les étudiants ne lisent pas !) mais des ouvrages considérés par eux comme équivalents. Rendre capable de choisir des alternatives pertinentes sans manquer les ouvrages essentiels est un objectif pédagogique qui rejoint le principe fondamental d'une bibliothèque où le choix du fonds guide le lecteur.

    Le confort intellectuel des usagers

    Tout en formant l'usager, n'est-il pas envisageable de simplifier la bibliothèque ? La bibliothèque doit cesser de se présenter comme une figure du labyrinthe. La bibliothèque par son organisation tient un langage aussi prégnant qu'arbitraire. L'étude des publics, le travail de réflexion des sociologues menés à la BPI, bibliothèque éminemment universitaire par son public ont permis à chacun de mesurer à quel point les pratiques des lecteurs ignoraient les fonctionnements institutionnels de la bibliothèque. Pour les expliciter, on peut soit réformer profondément la bibliothéconomie, soit former les usagers. Les étudiants de DEUG sont dans leur majorité des usagers de type lecture publique, incompétents, nombreux, insoucieux des usages de la bibliothèque savante. On peut penser que ne se retrouvera plus l'ancien public de l'ancienne BN, quintessence même du public universitaire, qui considérait la maîtrise de la complexité des anciens catalogues comme un signe de distinction, de légitimité. Pour maintenir leur ambition de « pédagogie libertaire » (B. Callenge Accueillir, orienter, informer) - mais dans quelle mesure l'étudiant est-il un autodidacte ? - les bibliothèques des universités devraient mener une réflexion sur la pertinence réelle de leur codes. Le libre accès est un trompe-l'oeil dans une bibliothèque savante. La BNF ellemême a dû modifier et créer des cotes pour les salles de lecture pour rendre la classification plus fonctionnelle. Transformer les institutions, et la Dewey en est une, pour le confort intellectuel des usagers ne semble pas contraire à l'idéal professionnel. De plus, la bibliothèque ne porte pas un discours univoque sur le document, puisqu'elle juxtapose l'analyse par deux langages documentaires : celui de la classification à celui du thesaurus Rameau. Leur articulation allégerait le besoin de formation du lecteur.

    L'apport des technologies

    Il faut désormais tenir compte du fait que les technologies numériques de l'information induisent de nouveaux besoins d'apprentissage. Les bibliothèques universitaires sont ébranlées comme l'ensemble de la société par les nouveaux modes de communication. L'hypothèse de la bibliothèque virtuelle semble plus crédible à court terme pour les bibliothèques universitaires scientifiques où le savoir ne s'embarrasse guère de textes anciens ; il peut s'écrire, se diffuser et s'archiver sur les écrans, quand les sciences humaines mobilisent une culture livresque dont la numérisation demeure incertaine. Déjà pourtant les écrans des OPAC, des cédéroms bibliographiques et culturels, des accès Internet offrent au néophyte l'énigme de leur lumière bleutée. Les BU doivent prendre leur part à l'apprentissage de la technologie informatique qui mobilise aujourd'hui l'ensemble de l'institution éducative. Néanmoins, ce besoin de formation technique n'aura qu'un temps, et on ne peut fonder sur lui seul un enseignement dont la bibliothèque n'est pas le lieu, si elle en est souvent l'occasion.

    Aux bibliothécaires cependant revient la tâche de créer des didacticiels efficaces pour permettre à l'usager une interrogation aisée et rentable des ressources disponibles. Veillons à ce que les aides proposées en ligne soient actualisées et pédagogiques sur les OPAC, exigeons des fournisseurs institutionnels (le CNRS par exemple) des logiques d'interrogation moins inutilement absconses. Dédions quelques postes à l'autoformation : le temps d'usage des postes de consultation est toujours limité, quand celui de l'apprentissage ne doit pas l'être pour autoriser les errements, les échecs et les arrêts pour consulter les notices écrites, - qu'il est convenu de juger inutiles - mais que nombre d'utilisateurs cherchent en vain. Il est vrai que la situation d'incompétence dérange, qu'elle est bruyante, qu'elle mobilise un personnel toujours surchargé. Le besoin se fait jour de salles de formation.

    Dès 1982, la création des URFIST par la Direction des bibliothèques au ministère de l'Éducation nationale montrait la volonté des scientifiques d'instituer un apprentissage de la recherche informatisée. L'enquête menée en 1993 sous l'égide de l'UNESCO soulignait l'état d'avancement de cet enseignement dans les écoles d'ingénieurs. À l'université, la formation à l'IST s'est adressée d'emblée aux doctorats comme naguère la bibliographie dont elle est la moderne incarnation. L'apprentissage de la recherche informatisée ne peut devenir un enseignement que s'il donne l'occasion de conceptualiser les nouveaux outils et, donnant un modèle de démarche intellectuelle, de transformer l'information en connaissance. Il se distingue radicalement de l'acquisition de compétences manipulatoires. La bibliothèque aurait beaucoup à perdre de son identité si elle déléguait aux informaticiens et aux espaces équipés de l'université la formation à la recherche documentaire sur Internet. L'image de l'encyclopédisme donnée par la présence matérielle des ouvrages disparaîtrait. Comment se représenter le volume d'un corpus dont n'affleure jamais à l'écran qu'un fragment anonyme et décontextualisé ?

    Savoir se documenter, ça s'apprend

    On peut à présent poser le problème de la formation documentaire des étudiants, et plus largement de l'ensemble du public universitaire, dans la mesure où les moyens d'expression propres à la bibliothèque sont débordés par la complexité extrême du champ documentaire et de la variété des compétences à posséder pour l'exploiter efficacement. La répugnance des bibliothécaires à se transformer en enseignants était légitime. Pour les bibliothécaires des universités, il semble désormais difficile de se dérober à ses responsabilités sans courir le risque de voir la bibliothèque dépossédée du discours que l'on tient sur elle. Il lui faut penser en termes de groupes et non plus seulement d'individus si l'on veut assurer la mission documentaire au service de l'enseignement. Il s'agit de transformer chaque citoyen-étudiant en spécialiste de l'information, pour opérer la métamorphose du credo républicain « sans livre il n'y a pas d'instruction » en « sans information il n'y a pas de réussite sociale et professionnelle Heureusement, le public étudiant est captif et par définition en posture d'apprentissage !

    L'université n'envisage pas ordinairement l'idée d'initiation et d'apprentissage. Peut-être est-il temps de considérer la maîtrise de l'information comme une discipline émergente. Comme toute discipline d'enseignement, ne donne-t-elle pas lieu en effet à de nombreuses publications (depuis le Savoir se documenter de G. Lefort aux cours disponibles sur Internet), à des structures de réflexion (Groupe de travail de la SDB, GREMI), à des enseignements inscrits dans les cursus et validés ? Dans le cadre de l'Éducation nationale les méthodologies du document font déjà l'objet d'enseignement dans le primaire et le secondaire. Les enseignants documentalistes sont chargés de former aux supports, aux modes d'accès, aux méthodes d'analyse de l'information et de sa transformation en savoirs. Cet enseignement, dont on mesure encore mal l'efficacité, offre néanmoins un modèle transférable dans le supérieur quand la maturité intellectuelle est suffisante pour s'approprier des modèles.

    Typologie des formations offertes

    Les formations à l'université (initiations à la recherche documentaire, sensibilisations, introductions à la bibliothèque, formations à l'information) sont désormais nombreuses dans les universités françaises. Nous ne reprendrons pas ici la typologie disponible sur le serveur de l'URFIST de Paris, site qui donne aussi des exemples de maquettes de formation, mais nous les analyserons en fonction de leur projet pédagogique. Il en existe deux grands types :

    • celles qui visent à donner une information documentaire,
    • celles qui se proposent une formation au travail universitaire.

    Les premières ont pour objectif de donner aux étudiants la connaissance des ressources documentaires du domaine de leur discipline. Elles se désignent par des termes comme initiation ou introduction, leur volume horaire va de une à dix heures. Elles prennent la forme de visites, d'exposés magistraux, de travaux pratiques, souvent encadrés par des tuteurs. Elles présentent la bibliothèque de l'université comme métonymie de la bibliothèque mondiale et les outils qui permettent la reconstitution de celle-ci : tous supports bibliographiques, PEB, Internet. Cette information documentaire, pour complexe qu'elle soit, propose seulement une médiation entre la ressource documentaire et son public, étant donné le nombre d'étudiants qu'elle doit toucher dans le premier cycle universitaire. Elle aurait tout à gagner, comme on l'a vu plus haut, à se donner les moyens de la formation grand public : audioguides pour les présentations de bibliothèques, cédéroms didactiques pour les bibliographies (le cédérom de démonstration de l'Universalis est un bon exemple du genre), didacticiels développés pour les OPAC et installation de traitement de texte pour récupérer les données, sans négliger la rédaction de guides du lecteur multiples et variés. Il faut naturellement utiliser le média d'Internet sur le site de chaque université dont le modèle francophone est encore actuellement celui de l'université de Québec à Chicoutimi, qui par sa « clinique documentaire » donne à tous la possibilité d'une autoformation qui sera validée dans des cursus disciplinaires.

    Un second type de formation tend à donner aux étudiants une méthodologie du travail intellectuel par la maîtrise de la recherche documentaire. Elle se dénomme cours d'initiation à la lecture universitaire (Paris III), méthodologie de la recherche documentaire à Paris VIII et à Rouen. Ces deux universités furent pionnières dans la définition de leur projet pédagogique. Elles tendent à accompagner l'étudiant pour lui donner les outils intellectuels nécessaires afin d'acquérir des méthodes de travail efficaces pour le travail universitaire. Elles objectivent en les conceptualisant les étapes de la recherche documentaire : problématisation (définir son sujet), enquête et collecte documentaire, analyse critique des textes et enfin restitution orale et écrite de l'information. Ces programmes permettent la transmission de toutes les données nécessaires à la maîtrise de l'information, mais elles l'insèrent dans un processus cognitif cohérent qui doit en permettre l'appropriation et le transfert dans d'autres cadres que ceux de l'enseignement. Ce sont des formations qui représentent entre 30 et 40 heures de TD, intégrés dans les cursus, validées qu'elles soient obligatoires ou facultatives.

    Une fonction partagée

    Si donc la recherche documentaire peut faire l'objet d'un enseignement, elle ne pourra prendre un caractère général et obligatoire que par la définition d'un corps de formateurs. La situation actuelle faite d'arrangements locaux n'est pas satisfaisante. Chacun « bricole » une équipe en fonction des motivations et des compétences disponibles. Les formations brèves, de type informatif, sont généralement données par des certifiés de documentation qui transfèrent dans le supérieur les compétences acquises dans le supérieur avec l'intervention ponctuelle des bibliothécaires et le soutien des tuteurs étudiants pour accompagner les TP. Les formations méthodologiques plus complètes sont issues des enseignants d'UFR, les bibliothécaires y participent peu, et plutôt en tant que techniciens de l'information et de la bibliothèque. L'articulation entre les professionnels de la documentation et ceux de la recherche se fait mal, si ce n'est à Paris VIII où l'unité d'enseignement est assurée par des professionnels de la documentation ayant en parallèle un haut niveau de qualification universitaire. La création d'un nouveau corps d'enseignement pour la recherche documentaire pourrait peut-être s'inspirer, une fois encore, d'un exemple anglo-saxon, dont le pragmatisme a de quoi séduire. À l'université d'Aberdeen fut créé, en 1992, X Académie and community information service, structure pédagogique de la bibliothèque universitaire consacrée à la formation des lecteurs, mais de nature paritaire pour les personnes entre la bibliothèque et l'université. Cela permet à l'ACIS d'intervenir à tous les niveaux de cursus et de valider l'enseignement qu'elle dispense.

    Cette formule d'un pôle de formation constitué d'une équipe mixte dans son origine mais stable et responsable à long terme éviterait plusieurs écueils. La séparation définitive de la formation documentaire du SCD ne peut que nuire à sa qualité. Les bibliothécaires doivent être engagés dans la conception et l'usage des supports didactiques. Un haut niveau de qualification, des compétences professionnelles incontestables rendraient ce pôle apte à assumer tous les besoins en formation de l'université, des DEUG aux doctorants, sans oublier les enseignants eux-mêmes. Il permettrait d'en finir avec l'émiettement et le manque de cohérence qui caractérisent la situation actuelle.

    Ce serait pour les SCD une façon éclatante d'affirmer leur appartenance à la communauté universitaire dans sa tâche d'enseignement, de faire évoluer les bibliothèques par une connaissance différente de leur public et de contribuer à la métamorphose de ces lieux de sédimentation du savoir en nouveaux collèges intellectuels. +