ans exemplaire, il n'y %\.Imf aurait pas d'université ». Voilà ce que l'on pouvait lire dans les statuts de l'université de Padoue en 1264. Sans l'exemplar cette copie officielle du cours du professeur réalisée méticuleusement par les copistes à partir des <- pecia », première et unique copie de l'original, il ne saurait y avoir d'enseignement. Le livre d'études est l'instrument privilégié et spécifique des étudiants et des clercs qui, à l'aube du XIIIe siècle, vont construire l'université. Savoir lire mais, bien au-delà, savoir écrire, discuter, questionner, soutenir ces lectures, ces compétences sont au centre de ce métier nouveau qui est celui d'intellectuel. Ces « artisans de l'esprit ", comme les dénomme Jacques le Goff, ne savent d'ailleurs pas faire grand-chose d'autre. «Incapable de travailler avec mes mains, j'en fus réduit à me servir de ma langue », avoue Abelard. Les universités se structurent alors sur des savoirs et des savoir-faire qui sont encore aujourd'hui d'actualité. Enseigner et étudier sont des métiers avant tout techniques, qui nécessitent d'user et de maîtriser les outils intellectuels et matériels d'une nouvelle corporation : celle de la mémoire et de l'esprit. La liste serait longue des écrits et des conseils que les maîtres de l'université prodiguent aux étudiants dans ce domaine technique. Socrate, Pétrarque, saint Thomas : tous alertent l'étudiant sur les dangers de l'écrit et l'utilité d'une attitude active dans les études. Depuis les origines de l'université, et peut-être même plus à l'époque qu'au-jourd'hui, étudier est une activité technique et intellectuelle et apprendre est un métier.
Que dire alors à l'aube du troisième millénaire de la capacité de nos étudiants à maîtriser cet artisanat de l'esprit ? Malgré les efforts constants depuis une vingtaine d'années dans l'enseignement secondaire, les étudiants arrivent toujours à l'université sans le bagage méthodologique minimal. L'illettrisme étudiant que nous constatons depuis plus de 10 ans est encore criant dans une société où les technologies de l'information sont dominantes. Notre université est productrice d'échec et l'entrée à l'université est toujours un espace de sélection sociale. Mais ce qui étonne le chercheur qui souhaite approfondir ce constat général d'échec de nos structures et de nos étudiants, c'est de constater que dans une société où l'innovation est le mot majeur, nous sommes obligés de prendre acte de l'immobilisme profond de notre dispositif de formation. C'est un paradoxe flagrant que nous devons analyser dans nos politiques universitaires : plus le besoin de maîtrise de l'information est un leitmotiv récurrent des discours officiels, plus nos enseignements de premier cycle sont dépourvus des situations permettant le développement de ces compétences. Le paradoxe est encore plus fort dans le domaine de la maîtrise documentaire. En effet, ces dernières années ont clairement montré l'efficacité de ces formations et pourtant la réticence de nombreux collègues est toujours aussi forte. L'université, malgré l'introduction récente des unités de formation dites de « méthodologie générale et de « méthodologie disciplinaire en DEUG, n'a pas su ou voulu prendre en compte ce problème. L'émergence dans les années 80 de la notion de travail personnel de l'élève en collège et lycée et le renforcement des approches documentaires en CDI ont donné lieu à la reconnaissance de la spécificité d'un métier d'élève. Du côté de l'université, ce métier d'étudiant dont le concept émerge à peine est encore l'objet de débats et de polémiques scientifiques. Parler métier reste difficile et peu mobilisateur. Notre université rechigne à reconnaître la matérialité et la technicité d'une pratique intellectuelle qui est souvent valorisée comme simple mouvement de l'esprit. Étudier, aujourd'hui comme hier, à l'université est chose beaucoup plus triviale et sordide. C'est se mouvoir dans un espace souvent en mauvais état, chercher des cours dans des salles éloignées, se tisser un espace propre et social de relation et de goûts et enfin manager des études souvent ressenties comme inéluctables car seules détentrices du diplôme, clés d'un hypothétique emploi. Étudier, c'est accepter de faire évoluer ces représentations premières et gérer ce risque de la réorientation, c'est maîtriser les techniques intellectuelles et informationnelles du résumé, de la note de cours et c'est enfin savoir lire au sens complet du terme, c'est-à-dire savoir construire un sens autonome sur des textes théoriques et complexes. L'artisanat des études est aujourd'hui encore sous le sceau de la graphosphère tant il est vrai que l'introduction des technologies de l'information n'a pas modifié en profondeur les pratiques d'enseignement universitaire. Dans cette domination de l'oral et de l'écrit comme médias privilégiés des pratiques d'enseignement et d'apprentissage, nous somme encore dans la même dynamique technologique que celle dominante dans les université françaises et européennes des XIIIe et XIVesiècles. Sorbon ou Abelard du haut de leurs chaires, saint Thomas d'Aquin ou Pétrarque dans leurs conseils aux étudiants seraient étonnés de constater qu'à l'aube du XXIe siècle, nous assistons aux mêmes méthodes d'apprentissages et aux mêmes dynamiques de travail que celles qui prévalaient alors dans la dispute ou la leçon universitaire. « En vérité, les maîtres doivent faire preuve de leur savoir aux étudiants en leur lisant des livres et en les aidant à comprendre au mieux de leurs capacités ". Ce conseil du roi d'Espagne Alphonse le Sage pourrait d'ailleurs s'appliquer encore de nos jours. Les étudiants sont pourtant nés dans une autre ère technologique. Fils de la médiasphère, ils éprouvent de plus en plus de mal à acquérir ou à renforcer ces savoir-faire techniques de l'imprimé et de la parole. Plus de 75 % des étudiants interrogés précisent qu'ils passent l'essentiel du temps de cours à prendre des notes sans avoir le temps de réfléchir. Face à l'immobilisme des pratiques universitaires, nous vivons la montée en puissance d'un besoin d'innovation médiatique, que l'université doit savoir accompagner. Peu de choses en matière de méthodologie des études séparent un étudiant assis sur le banc de l'université au XIIIe siècle et un étudiant du XXe siècle, mais des siècles séparent ces deux étudiants dans le domaine des pratiques de loisirs et de traitement des informations quotidiennes. Ce déséquilibre médiologique est à traiter. La bibliothèque peut accompagner cette mutation, mais les pratiques professorales doivent accepter une révolution copernicienne des modalités de formation.
Que l'on aborde les pratiques d'études des étudiants présents, à distance, des lycéens ou des collégiens, on retrouve toujours les mêmes grandes classes de pratiques de l'activité mathétique.
Apprendre est une activité cognitive qui sollicite le sujet durant une phase contrainte de temps dans le but de lui permettre de modifier ou compléter son appareil cognitif.
Apprendre est une activité informationnelle qui exige du sujet la mobilisation d'habiletés documentaires. Il doit recueillir un stock informationnel pour être en mesure de le traiter afin d'alimenter la transformation de ces connaissances.
Apprendre est une activité interrelationnelle qui mobilise le sujet au cours d'interactions en groupe ou face à un maître. Il doit alors entrer en communication, collaborer, s'opposer, contredire et il met en jeu un ensemble de processus psychosociaux spécifiques à l'activité scolaire.
Apprendre est une activité sociale où le sujet agit à travers des manières d'être, issue pour une bonne part de ses expériences antérieures et de son milieu d'origine. Il entre en relation sociale avec ses pairs dans une situation sociale signifiante et qui influe sur la structure même de l'activité.
Apprendre est une activité psychologique qui est sous-tendue par la motivation et les affects du sujet. Le sujet est alors conduit à s'émouvoir, à se révolter, à admirer, à haïr au cours de processus conscient ou inconscient.
Apprendre est une activité contextuelle qui se modifie suivant le lieu, le temps et les acteurs qui sont en présence.
Apprendre mobilise donc mémoire et motivation, information et relation, rôle et culture, connaissance et statut. Apprendre est une activité d'interaction en contexte dans un temps et des lieux définis socialement.
Apprendre à l'université, c'est donc entrer dans une nouvelle microsociété (l'univers-cité) et retisser des trames sociales, cognitives et mathétiques qui soutiennent les dynamiques de réussite des études. Les Canadiens parlent d'ailleurs des « décrocheurs » pour nommer les étudiants qui abandonnent leurs études très tôt (2 à 3 mois après l'entrée). Ces processus d'accrochage provoquent une recomposition des espaces personnels, scolaires et sociaux. Un tiers des étudiants déclare rencontrer régulièrement des amis pour travailler au domicile de l'un d'eux. Un tiers utilise la bibliothèque centrale ou celle de l'UFR. Un cinquième bricole des lieux de rencontre sauvage dans une salle vide, un café, une salle d'études. Ces pratiques d'appropriation des lieux, ces processus sociaux et non formels d'étude sont fondamentaux et déterminent l'ancrage de l'étudiant dans une cité qu'il doit maîtriser.
Ces capacités qui sont mobilisées dans l'apprentissage ne sont pas également réparties et bien souvent ces capacités reposent sur des significations fortement légitimées dans le monde scolaire. Parler alors de " métier d'élève ou d'étudiant » revient fréquemment à décrire le comportement d'un élève « idéal », souvent en symbiose avec le milieu culturel qui reproduit les modalités cognitives et sociales de son milieu. Entrer en apprentissage revient alors à intégrer avec difficulté un milieu où compétences et comportements sont réglés par le milieu social dominant ou l'institution.
Cette notion de « métier d'étudiant " fait suite à la reconnaissance dans le milieu scolaire de la nécessaire mobilisation par le futur, apprenant d'un certain nombre de méthodes propres au travail personnel de l'élève. Les recherches conduites par J. Hassenforder (1995), De Peretti (1995) ou Alain Coulon (1995) ont largement démontré que ces compétences méthodologiques, documentaires et sociales sont fortement mobilisées par les élèves et les étudiants. Apprendre est donc pour ces chercheurs « un métier ». Ce métier peut alors être abordé avec deux orientations différentes.
Face à cette pluralité de pratiques mathétiques en contexte, l'université n'a que peu évolué dans sa diversité didactique.
« Tout se passe comme si, pour apprendre, nous n'avions rien trouvé de mieux que d'extraire les apprenants de leur milieu et de les mettre en présence d'un « maître »sur les épaules de qui tout repose, confirmant ainsi son rôle de principal acteur de la formation et d'ultime responsable de l'apprentissage. »
France Henri, 1996
Durant les dix dernières années, l'émergence de la société de l'information, les évolutions économiques, l'essor des technologies de l'information et de la communication ont certes mis en exergue un besoin croissant d'information et d'autoformation mais nos espaces universitaires n'ont que peu évolué pour accueillir ou susciter de nouvelles pratiques pédagogiques. Melvil Dewey visitant nos universités serait encore ahuri de la dichotomie existant entre les espaces de la mémoire et ceux du savoir. « Le savoir ne se transmet pas, il se prend pouvait-on lire il y 30 ans sur les murs de nos universités ; triste est de constater que peu de choses sont aujourd'hui réalisées afin que nos bibliothèques ne soient pas seulement de merveilleuses cathédrales de la connaissance et de la connectique. « Une bibliothèque, c'est une université sans professeurs » : voilà un slogan qui valut à Dewey bien des critiques en 1890 et qui nous vaudrait aujourd'hui encore bien des incompréhensions. Face à la mutation de nos bibliothèques, face à l'immobilisme de nos pratiques pédagogiques, face à la permanence d'un apprentissage difficile de nos étudiants à l'artisanat de la connaissance, devrons-nous baisser les bras, devons-nous prier le dieu « Internet pour qu'il veuille bien régler pour nous les problèmes que nous n'osons pas aborder ? Je ne le pense pas.
Cette visée n'est pas utopique, elle est même de plus en plus à l'ordre du jour. Face à l'arrivée des supports modernes de communication et à la mise en place des autoroutes de l'information, il ne s'agit plus de rechercher de façon frileuse les spécificités de chacun mais bien de repenser l'université comme un lieu social de culture, d'information et d'apprentissage au service de la réussite des étudiants. Dans les établissements scolaires, les premiers Centres de documentation et d'information (CDI) sont nés avec la volonté de former les élèves aux pratiques documentaires et de réunir dans un même lieu la documentation au service de ceux-ci. Au sein de l'université, la création des Services communs de documentation relève de cette même volonté de centrer les efforts de chacun sur l'approche pédagogique de l'étudiant. La relation du bibliothécaire comme du documentaliste n'est donc pas une relation cliente mais, au juste sens du terme, pédagogique. Par cette présence, le rapport aux informations et aux documents est fondamentalement changé. En effet, à l'ère des réseaux et des médias, ce qui importe, ce n'est plus de confier à l'étudiant le meilleur ouvrage détenteur du meilleur savoir (ce qui est la base de la relation marchande) mais bien d'offrir à l'étudiant au sein d'un espace polyvalent l'occasion de construire, par la médiation du document, ses propres informations, son propre savoir. « On lit pour poser des questions ", indiquait déjà Kafka. C'est donc à travers ce questionnement documentaire que l'étudiant peut construire son savoir. Les recherches dans ce domaine convergent toutes pour montrer que la maîtrise de cette médiation documentaire est indispensable dans la réussite des études (Coulon 1995). Les expérimentations européennes dans ce domaine comme les « Problem-based learning » (Pochet, 1995), les propositions documentaires (Coulon, 1995) (Serieyx, 1993) les démarches issues des pratiques autoformatrices et des centres de ressources (Dumazedier) (Portelli, 1996) (Alava, 1998), les travaux sur les corrélations entre formation documentaire et réussite scolaire (Wells, 1995) (Lance, 1994) (Bernhard, 1994) doivent nous conduire à prolonger l'investissement scientifique et pédagogique de nos universités dans ce domaine. L'action du bibliothécaire dépasse donc le management d'un système d'information. Il est urgent d'envisager aujourd'hui clairement la nécessaire évolution et redistribution de la fonction d'enseignement. Le tutorat méthodologique, les pratiques autoformatrices ou cofor-matrices, la formation par l'expérience validée doivent évoluer dans l'intérêt de notre société et des étudiants. La bibliothèque aussi car elle ne saurait rester une « cathédrale de pierre » face à la cathédrale numérique que nous connaissons et intégrons de plus en plus dans nos pratiques. Pour de nombreux étudiants, la bibliothèque est déjà avec le café et le restaurant universitaire un espace de rencontre sociale et de révision des cours. Il doit savoir prolonger son action grâce à une interaction plus efficace avec les espaces de cours et ceux de culture. La bibliothèque est en fait un espace virtuel regroupant les services communs de documentation, les bibliothèques universitaires, les librairies et les espaces formels ou informels de rencontre et de travail autour du livre. Dans ces lieux, se joue une part importante du processus d'apprentissage. Seul dans son amphithéâtre ou dans sa salle de cours, le professeur est dans l'incapacité d'interagir avec l'étudiant. Repenser la pratique pédagogique universitaire, c'est nécessairement tisser des liens didactiques et pédagogiques entre tous ces acteurs du processus d'enseignement. « Apprendre, c'est avant tout interagir ", nous rappelle Bruner, il est donc essentiel de redéfinir au sein de l'université des espaces d'interaction cognitive, informationnelle et sociale. Dans son travail d'artisanat, l'étudiant a besoin de faire appel à deux maîtres compagnons, celui du savoir et celui de la mémoire. Médiateur de la mémoire et des médias, le bibliothécaire est irrémédiablement lié à la dynamique d'apprentissage de l'étudiant. Médiateur du savoir et de la pensée, l'enseignant universitaire est irrémédiablement lié à la globalité et à la complexité de la pratique d'études. L'université est aujourd'hui en face d'un défi important. À l'aube du millénaire, dans une période de mutation extraordinaire des outils de l'intelligence, elle doit penser son espace en réseau avec les autres espaces de médiation des savoirs. Elle doit créer les conditions d'une redéfinition de l'écologie cognitive, informationnelle et sociale de la communauté d'apprentissage.
La bibliothèque à l'ère des médias n'est qu'un élément d'un réseau de connaissances qui s'étend à l'ensemble des lieux producteurs, médiateurs et diffuseurs d'informations. La bibliothèque est une interface d'accès aux informations, qui doit être utilisée par l'ensemble des enseignants comme une des technologies intellectuelles et de communication au sein de l'université. Enfin et surtout, la bibliothèque à l'ère des médias est le lieu de construction et de déconstruction des savoirs, des informations et du sens, lieu d'apprentissage et d'enseignement et lieu où se perçoivent les signes de l'évolution des connaissances. Dans cette perspective mathétique, la recherche d'une frontière entre le documentaliste, le bibliothécaire et le professeur a peu de sens, car tous agissent au coeur de la médiation documentaire et au coeur de l'océan des savoirs mis en forme. Ni lieu banalisé, simple terminal d'entrée dans un réseau de communication électronique, ni lieu ghetto, temple des livres, l'université doit repenser la bibliothèque comme un des pôles d'une nouvelle écologie de l'accès aux connaissances. Ni temple de la leçon universitaire, lieu magistral du pouvoir professoral, ni simple espace d'enregistrement et de recueil des données disciplinaires, l'université doit repenser l'amphithéâtre, la salle de cours comme un des pôles d'une autre dynamique de la construction des savoirs. +