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Le plan de sauvegarde des périodiques à la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg

1999
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    Le plan de sauvegarde des périodiques à la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg

    Par Gérard Littler, Administrateur Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg

    Avec quelque 30000 titres vivants et morts, les périodiques représentent une part importante de la collection des 3 millions de volumes de la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg (BNUS). Toutefois, les périodiques, qui ne jouissent pas de la même connotation " patrimoine que d'autres collections phares (manuscrits, imprimés anciens et rares) ou fonds spécialisés (papyrus, ostraca, tablettes cunéiformes, monnaies, médailles, gravures ou cartes anciennes...), ont été longtemps, ici comme ailleurs, les enfants pauvres des plans de conservation et de sauvegarde. Alors que l'on s'est préoccupé d'assurer les meilleures conditions de sécurité aux documents rares et précieux, jusqu'à leur construire des chambres fortes, et que l'atelier de restauration leur consacre tout son temps, aucune action n'a été entreprise sur les périodiques jusqu'à l'opération de microfilmage lancée à la fin des années 1970, si l'on excepte le remarquable Inventaire des périodiques des bibliothèques de Strasbourg de Marie Kuhlmann publié en 1937, catalogue collectif dont le but était de faciliter l'accès aux ressources documentaires, mais qui est aussi un préalable à toute démarche de conservation.

    Le microfilmage des périodiques n'a porté pour le moment que sur les périodiques alsaciens, car pour eux seuls il a été possible de réunir les financements pour mener des campagnes de sauvegarde significatives. Parmi les périodiques alsaciens, priorité a été donnée à la presse parue de 1870 à 1918 : non seulement le papier acide et de médiocre qualité imposait des mesures d'urgence, mais pendant cette période le dépôt légal des publications du Reichsland n'a été effectué qu'à la BNUS, de sorte qu'elle porte l'entière responsabilité de leur conservation.

    L'ampleur des collections à traiter, et en conséquence le coût élevé d'une telle opération (990 000 F pour 137 titres de journaux représentant environ 1,2 million de pages), n'a permis d'aboutir qu'au prix d'une sensibilisation pressante des décideurs régionaux. Ainsi, l'exposition d'ouverture des nouveaux locaux de la section des Alsatiques en 1996 a été consacrée exclusivement à la collection de la presse alsacienne. De plus, la question s'est posée fort opportunément au moment où les Régions se mettaient en place en tant que collectivités publiques et où leur champ d'intervention s'étendait. Il a donc été possible d'obtenir de la Région Alsace la prise en charge à près de 85 % de cette opération, le complément étant à la charge de l'État (Enseignement supérieur). En revanche, malgré plusieurs tentatives, une même campagne estimée à un montant de 1,5 million de francs n'a malheureusement pas pu être réalisée avec la Région Lorraine ni avec le département de la Moselle pour les 56 journaux lorrains de cette période dont les collections du dépôt légal se trouvent à la BNUS.

    Après la première opération sur les journaux alsaciens de la période du Reichsland, qu'il a fallu répartir sur cinq exercices budgétaires (1978-1982), une deuxième opération a été menée pour la presse du xxe siècle. Elle a porté sur 443 titres et 2,4 millions de pages ; son coût de 2,7 millions de francs a été pris en charge par la Région Alsace pour deux tiers et par l'État (Enseignement supérieur) pour un tiers. Elle s'est déroulée de 1989 à 1995. Entre-temps, la Bibliothèque nationale avait lancé son plan de sauvegarde, dans lequel elle prenait aussi en compte, avec l'aide du ministère de la Culture, la presse régionale ; mais l'Alsace, parce que la BNUS relève de la tutelle de l'Éducation et non de celle de la Culture, n'a pas bénéficié de ces mesures. La BNUS vient d'entamer une troisième campagne pour la sauvegarde des journaux antérieurs à 1870. Il s'agit d'une opération plus réduite et dont l'urgence est moindre, la qualité des papiers étant généralement bonne.

    Enfin, il convient de signaler l'opération de sauvegarde de la presse révolutionnaire alsacienne réalisée avec l'ACRPP au moment du bicentenaire de la Révolution française. À la suite d'une importante commande de microfilms par un client étranger, la BNUS a proposé à l'ACRPP d'exécuter cette commande à sa place et de saisir cette occasion pour microfilmer la totalité des titres en vue de les proposer aussi dans son catalogue. Très peu de titres sont en effet présents à la Bibliothèque nationale ou dans d'autres bibliothèques. Le coût du microfilmage a été pris en charge par l'ACRPP, tandis que la BNUS a pris à son compte tout le traitement matériel des collections, notamment, après microfilmage, la restauration des volumes par son atelier. Cette opération a été d'autant plus satisfaisante qu'elle a précédé la publication de l'étude des journaux révolutionnaires La Presse départementale en Révolution (1 789-1 799) : bibliographie historique et critique (La Garenne-Colombes, 1992), dans laquelle Jean-Pierre Kintz a traité les deux départements alsaciens (p. 185274).

    Il est évident que, dans ces plans de sauvegarde qui portent sur des quantités de documents importantes, le facteur financier est déterminant, car le montant des budgets réellement mobilisables n'est pas illimité tandis que les besoins sont énormes. Il a naturellement imposé un certain nombre de choix dans les opérations menées par la BNUS.

    Ainsi, alors que le prix unitaire d'une prise de vue eut été théoriquement moins onéreux en traitement interne, tirant la leçon de l'exemple de la Bibliothèque nationale de France, qui avait suscité à l'instigation de M. Prinet, conservateur en chef du département des périodiques, la création d'une structure extérieure, l'ACRPP, la BNUS n'a pas cherché à renforcer son laboratoire de photographie et de micrographie pour réaliser elle-même le microfilmage de la presse. Mais, pour obtenir les meilleurs prix et des engagements fermes sur la quantité et la durée des travaux, nous avons fait appel à des façonniers extérieurs soumis aux règles de la concurrence : tout d'abord l'ACRPP, puis, lorsque sa politique de prix ne la rendait plus compétitive, une entreprise privée de Stuttgart travaillant pour la Deutsche Bibliothek de Francfort et pour d'autres grandes bibliothèques allemandes. Toutefois, la BNUS est restée fidèle aux préconisations françaises du film argentique alors qu'en Allemagne les bibliothèques, pourtant réputées sérieuses, utilisaient les films diazoïques, ce qui leur permettait de réduire d'au moins 10 % le coût du microfilmage.

    La BNUS a également renoncé à produire, en plus du film original et de la copie pour la consultation, le film internégatif que la Bibliothèque nationale fait réaliser pour produire les copies de consultation, le film original étant gelé pour une conservation absolue. Compte tenu de la nature des journaux que nous traitions, le nombre de copies à réaliser par la suite pour d'autres clients nous paraissait si faible que nous pouvions raisonnablement faire cette économie et l'investir dans la sauvegarde d'autres titres. L'expérience a confirmé cette analyse puisque même les grandes bibliothèques municipales d'Alsace ont renoncé à se procurer ces copies en raison des coûts d'exploitation (équipement en appareils de lecture et achat des films).

    Les difficultés liées à la gestion d'un parc de lecteurs-reproducteurs de microfilms, pour lesquels on arrive d'ailleurs très rarement à obtenir une maintenance satisfaisante, tout comme la lourdeur de la communication de bobines de microfilms avaient incité la BNUS à rechercher une solution de numérisation pour la deuxième campagne de sauvegarde (1989-1995). Une solution technique parfaitement opérationnelle avait été trouvée dans le Bade-Wurtemberg, mais il a fallu y renoncer pour des raisons financières : la numérisation d'une page était de l'ordre de 9 F, alors que pour le microfilmage la BNUS avait obtenu des prix d'environ 2 F l'image, une prise de vue comprenant généralement deux pages. À budget identique, l'hésitation n'était pas permise.

    Après la sauvegarde des documents, la BNUS s'est naturellement souciée de la mise en valeur de ces collections. Pour la presse alsacienne de 1870 à 1918, un catalogue modeste a été publié afin de donner la liste des titres disponibles et l'état des collections. Une description plus complète était inutile puisque les lecteurs disposaient déjà de la publication d'Erwin Ritter Dies elsass-lothringische Presse des letzten Drittels des neunzehnten Jahrhunderts (Strasbourg, 1934). En revanche, pour la période postérieure à 1918, comme seules des approches partielles existaient et que la Bibliothèque de la presse française politique et d'information générale excluait une programmation prochaine des tomes du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, la BNUS, avec le concours de la direction de la recherche de l'Enseignement supérieur, a mis en chantier un programme de recherche pour inventorier et décrire dans le détail ces titres. Le résultat de ce travail effectué par Claude Lorentz a été publié en 1997 par la BNUS en un épais volume de 565 pages sous le titre : La Presse alsacienne du XXesiècle.

    Plus récemment, la BNUS s'est lancée dans la numérisation des microfilms. L'objectif recherché est double. D'abord, simplifier la consultation des microfilms très demandés en donnant accès à un fichier images sur le réseau informatique de la BNUS. Nous avons ainsi fait numériser les années récentes des Dernières Nouvelles d'Alsace, qui représentent plus de la moitié des consultations. Ensuite, promouvoir les titres insuffisamment utilisés par les chercheurs à cause des difficultés de consultation. Un titre couvrant la période de l'entre-deux-guerres, le journal d'Alsace et de Lorraine, a été traité. Les deux expériences sont encore trop récentes pour qu'un bilan puisse en être tiré, tout comme il n'est guère possible d'informer longuement sur une nouvelle solution à laquelle nous avons recours et qui consiste à mettre à la disposition des chercheurs eux-mêmes un numériseur de microfilms. L'idée est de constituer le corpus des journaux numérisés en partant de demandes réelles au lieu de construire une offre a priori et, accessoirement, d'impliquer les lecteurs euxmêmes dans la production d'archives électroniques. L'intérêt très vif des chercheurs pour ces nouvelles façons d'aborder la sauvegarde et l'exploitation des documents de la bibliothèque nous donne beaucoup d'espoirs", .