Index des revues

  • Index des revues
    ⇓  Autres articles dans la même rubrique  ⇓

    Tri, sélection, conservation

    Les choix du patrimoine

    Par Maud Espérou

    Table ronde organisée par l'École nationale du patrimoine les 23,24,25 juin 1999

    Sous la présidence de Jacques Le Goff, l'École nationale du patrimoine invitait politiques, historiens, archéologues, anthropologues, archivistes, conservateurs

    de musée et de bibliothèque à débattre pendant trois jours sur le patrimoine. Les organisateurs de cette réunion, M. Bady, directeur de l'École, et Mme Balsamo, directeur des études, ont eu le mérite de couvrir tout le champ patrimonial et de poser les interrogations propres à chaque domaine (1) .

    La matinée du troisième jour fut consacrée presque entièrement aux bibliothèques. Jacques Deville rappela l'origine des fonds patrimoniaux des bibliothèques municipales, principalement dus aux confiscations révolutionnaires, leur importance, l'organisation mise en place depuis une quinzaine d'années pour un meilleur repérage. Il insista par ailleurs sur la difficulté d'avoir une politique harmonieuse d'acquisition de documents récents (photographies, cartes postales, etc.) qui seront « le patrimoine de demain ». Georges Perrin fit le bilan de cinq années de pôles associés : trente-six pôles conventionnés et dix pôles label aujourd'hui. En vue de la réalisation d'une bonne carte documentaire, il annonça la décision de numériser les publications des sociétés savantes d'Aquitaine et de Lorraine datant des XVIIIeet xixesiècles.

    Les trois BMVR de Champagne-Ardenne, Châlonsen-Champagne, Reims et Troyes, sont un exemple de coopération régionale concertée pour la conservation du patrimoine, comme nous le montrèrent Françoise Bérard, Thierry Delcourt et Nicolas Galaud. Cette présentation, bien qu'intéressante, ne peut manquer de susciter une certaine gêne (envie ?) parmi les bibliothécaires des régions Ouest, moins bien dotées.

    Les impératifs du désherbage (2) , liés en partie à des locaux qui ne peuvent s'agrandir à l'infini, peuvent conduire tous les bibliothécaires à retirer des collections les mêmes documents, certes dégradés physiquement ou obsolètes : Claudine Lieber s'en est inquiétée pour les générations futures, qui n'auraient qu'une vision réduite des productions culturelles et intellectuelles de notre temps. Elle trouve toutefois deux motifs d'espoir dans l'arrivée du Catalogue collectif de France et surtout, dans la pratique de plus en plus répandue parmi les bibliothécaires d'établir un document écrit de la politique d'acquisition et d'élimination.

    Après avoir rappelé les différentes lois qui régissent le dépôt légal, Marcelle Beaudiquez a montré son excroissance constante : 1 500 000 fascicules de périodiques annuels, 200 000 unités-livres, 50 000 documents iconographiques, 3 000 partitions musicales. Chaque semaine, 150 nouveaux titres de périodiques viennent s'ajouter à ceux qui existent déjà. Marcelle Beaudiquez ainsi qu'Isabelle Boudet ont affirmé la nécessité d'un choix maîtrisé du dépôt légal ; à quoi Jean-Paul Oddos, dans l'assistance, a rappelé que Roger Pierrot, quand il dirigeait le département des imprimés, parlait déjà d'in-fralittérature et de l'obligation de tri.

    On peut regretter que le temps ait manqué en fin de matinée pour un véritable débat avec la salle. Des bibliothécaires, plus particulièrement ceux d'établissements privés ou indépendants des ministères de la Culture ou de l'Éducation nationale, auraient pu dire leur expérience de patrimoines marginaux, peu connus et toutefois bien utiles à la recherche.

    La table ronde qui clôturait ces trois journées annonçait un beau débat mais qui fut malheureusement, encore une fois par manque de temps, trop court. Si cette notion de patrimoine est aujourd'hui familière, toutes les implications idéologiques et matérielles qu'elle recèle ne sont pas codifiées. Devant l'afflux d'objets, les professionnels du patrimoine peuvent s'interroger sur l'opportunité de tout conserver et sur la nécessité d'un tri. Cette pratique du tri semble acquise et acceptée, mais le choix peut être toujours controversé. Qui est le maître d'oeuvre du tri ? le politique ? l'administrateur ? le praticien ? À qui est destiné ce qui est conservé après sélection ? au chercheur futur ? à la société civile ? au grand public ? À toutes ces questions, les réponses n'ont été qu'esquissées, chacun selon sa discipline, son propre tempérament. Nous avons tous bien conscience de naviguer entre deux tentations : celle de tout garder car tout sera utile et plaisant à ceux qui viendront après nous ; mais aussi celle de nous débarrasser d'objets, imprimés ou non, insignifiants et sans intérêt afin de ne pas encombrer nos successeurs d'un fatras inutile. Il est temps enfin d'analyser ces « névroses de chiffonnier » qui nous guettent et de trier en toute conscience.

    1. Les communications de tous les intervenants paraîtront en fin d'année dans les Cahiers de l'École. retour au texte

    2. Il n'y a pas si longtemps, on se contentait d'un mot plus prosaïque : l'opération était la même. On peut trouver dans des bulletins anciens d'excellents articles qui traitaient déjà des éliminations. retour au texte