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    La bibliothèque de l'antenne universitaire de Troyes

    Une greffe réussie?

    Par Marie-Jeanne Poisson, dir SCD de Reims
    Par Thierry Delcourt, dir BMVR de Troyes
    [En complément au numéro 183 du Bulletin]

    L, antenne universitaire de Troyes a été créée en 1992. Elle est le fruit de la volonté politique des élus : conseil général de l'Aube (qui a pris en charge la réhabilitation et l'aménagement des locaux), communauté de communes de l'agglomération troyenne et ville de Troyes. On peut discuter la politique de création des antennes délocalisées. Il est néanmoins indéniable qu'elle répondait à une véritable angoisse des élus locaux qui, avec la démocratisation des études supérieures, voyaient leurs villes progressivement désertées par la jeunesse.

    En quelques années, l'implantation d'une antenne de l'université de Reims pour des enseignements de premier cycle en droit, AES et lettres (histoire-anglais), mais aussi le renforcement de l'IUT et la création en 1995 d'une université de technologie à part entière (l'UTT), ont transformé Troyes en (petite) ville universitaire : si l'on ajoute les BTS, élèves infirmières et autres élèves de l'école de police, la ville compte aujourd'hui plus de 5 000 étudiants. D'où une certaine animation nocturne, un regain de fréquentation des cinémas et des salles de concert... Quoique secondaires, ces effets ne sont pas négligeables en termes d'aménagement du territoire.

    La période d'autonomie

    Avec l'antenne délocalisée, l'université de Reims et les collectivités territoriales ont certes manifesté la volonté de créer à Troyes une bibliothèque universitaire de premier cycle. Mais celle-ci s'est trouvée immédiatement à la charge de la ville de Troyes, qui a assumé dès 1993 près de 80°/o de son coût de fonctionnement (personnel documentation, matériel, frais courants...), alors que le SCD de l'université ne pouvait faire mieux que reverser les droits de bibliothèque des étudiants troyens et affecter au nouveau site un poste de titulaire (chef magasinier) et deux CES, car il ne bénéficiait d'aucune dotation supplémentaire pour le fonctionnement de la nouvelle section. On s'est donc trouvé face à une situation inédite : une bibliothèque universitaire fonctionnant très majoritairement sur crédits municipaux, et avec du personnel municipal. Aussi la nouvelle entité prit-elle le nom de « bibliothèque municipale universitaire » (BMU).

    Les liens avec la bibliothèque municipale de Troyes sont tout d'abord demeurés assez lâches, même si le directeur de la BM était associé aux principales réunions pilotées par le SCD de Reims. La création de l'antenne s'était en effet produite dans un contexte assez difficile et faisait suite à plusieurs projets avortés de restructuration de la BM. Elle apparut donc en partie comme une décision inavouée d'enterrer la BM et de placer tous les espoirs des collectivités dans la nouvelle structure. La BMU fut très vite présentée comme une vitrine de la modernité et bénéficia par exemple d'un système antivol et d'une salle multimédia avec une dizaine de postes en réseau et un petit laboratoire de langues.

    Aussi se développa-t-elle de manière quasi autonome, malgré le soutien et le contrôle régulier du SCD. En particulier, la politique d'acquisition n'a guère tenu compte des fonds existant ou acquis à la BM. Aucune concertation réelle n'existant alors entre les deux établissements sur le plan documentaire, la BMU a plutôt visé à constituer une collection autonome et se suffisant à elle-même, afin de satisfaire les besoins de ses utilisateurs : étudiants de l'antenne, mais aussi élèves de BTS ou étudiants troyens suivant un deuxième ou un troisième cycle dans d'autres villes (Reims, Paris, Dijon).

    Dans le réseau de la BM

    Cette situation a cependant évolué depuis 1996. La BMU a été officiellement rattachée à la BM, dont elle est devenue l'une des annexes. Sa politique documentaire a été réorientée, en concertation étroite avec le SCD de Reims, et une meilleure complémentarité a été recherchée entre la BMU et la BM (qui possède un riche fonds d'étude, notamment en histoire et en art). La tenue régulière de réunions d'acquisitions communes a permis d'éviter les doublons inutiles. Des réunions de travail se sont tenues en vue de l'établissement d'une charte documentaire commune BM/BMU dans le cadre du projet de construction d'une bibliothèque municipale à vocation régionale (BMVR). Le SCD de Reims a été étroitement associé à cette élaboration.

    Mais c'est surtout l'informatisation des collections qui a constitué le principal changement, tant pour les bibliothécaires que pour les lecteurs. En l'absence de plaque Renater et de liaison entre l'antenne universitaire de Troyes et l'université de Reims, le SCD avait, en son temps et pour des raisons essentiellement financières, fait le choix de ne pas intégrer le catalogue de la BMU sur son propre système d'information, considérant que cette informatisation devrait se faire dans le cadre d'une mise en réseau locale avec la BM.

    La dynamique créée par le projet BMVR a permis d'accélérer le processus d'informatisation. Fin 1998, les fonds de la BMU, les documents récents de la BM (depuis 1984) et le fonds ancien (jusqu'en 1900) étaient accessibles sur le nouveau système informatique. La conversion rétrospective des catalogues se poursuit et à la fin de l'année 1999, la tranche 1900-1984 sera également informatisée.

    L'informatisation a eu un effet rapide sur la fréquentation des deux sites : la carte de lecteur est désormais commune (alors que l'usager de l'un des sites devait auparavant se réinscrire, bien que gratuitement, pour fréquenter l'autre) ; surtout, la disponibilité d'un catalogue commun sur les deux sites (BM et BMU) a entraîné des transferts de publics importants, ce qui ne laisse d'ailleurs pas de nécessiter certaines adaptations de la part des bibliothécaires de la BMU, peu habitués à recevoir, orienter, conseiller des lycéens, des actifs ou des personnes âgées. La section droit est particulièrement sollicitée, par exemple par des lecteurs qui ont à régler des problèmes de la vie quotidienne ou par des demandeurs d'emploi en formation...

    Il en va de même de la salle multimédia, qui accueille notamment un nouveau public en autoapprentissage, ou encore des classes dans le cadre du service pédagogique assuré par la BM autour du patrimoine. Au point que, à l'occasion de sa nécessaire remise à niveau technique après six ans de fonctionnement, il a été décidé de transformer la salle multimédia, jusqu'alors réservée aux étudiants, en « espace culture multimédia » ouvert à tous (étudiants compris, bien sûr). En retour, le nombre d'étudiants fréquentant la BM pour leur travail ou leurs activités de loisirs a nettement augmenté (peut-être aussi parce qu'à l'occasion de l'informatisation les règles de prêt ont été modifiées, et que l'accès à la discothèque est désormais libre sans inscription spécifique...).

    Ainsi s'est réaffirmée la vocation publique de la BMU, sans aucun problème de cohabitation entre les étudiants et les usagers de la lecture publique. (1)

    Constitution des collections et usages de la documentation

    Pour moins de 1 500 étudiants (2) ,la BMU dispose d'un budget de documentation qui avoisine les 500 000 F (3) . Cette somme relativement confortable permet donc d'acquérir les manuels en nombre assez important (souvent quatre, voire cinq). D'où une fâcheuse propension des étudiants à considérer la bibliothèque comme un libre-service : toute absence d'ouvrage équivaut à une rupture de stock qu'ils n'acceptent pas de voir se prolonger. Paradoxalement peut-être, la richesse du fonds maintient les étudiants dans une grande passivité. Convaincus que la présence systématique d'un exemplaire des manuels leur est due, ils n'envisagent même pas la possibilité d'en acheter au moins quelques-uns. De même que l'antenne délocalisée apparaît souvent comme un super-lycée, la bibliothèque risque alors d'être considérée comme un super-CDI...

    À cela s'ajoute le contexte social particulier des antennes universitaires : nombre d'étudiants s'inscrivent à Troyes parce que leur famille n'a pas les moyens de les envoyer suivre un premier cycle à Reims. La présence d'une antenne représente donc pour beaucoup une chance, un indéniable facteur de promotion sociale et de démocratisation de l'enseignement et de la culture. Mais il est vrai aussi que certains, faute de moyens, suivent l'une des filières de l'antenne alors que leurs goûts les auraient poussés vers d'autres secteurs. Ils s'inscrivent alors par défaut plutôt que par choix, ce qui ne les incite pas toujours à se passionner pour les matières qui leur sont enseignées.

    D'autres enfin, c'est une évidence, ne s'inscrivent que par commodité, pour voir venir ou pour éviter l'ANPE. On les verra tripler leur DEUG, changer de filière... Tous ceux-ci trouvent donc sans doute inutile d'investir dans la constitution d'une bibliothèque personnelle.

    L'aisance relative de la BMU, ajoutée pendant longtemps à l'absence de concertation avec la BM, l'a également conduite à constituer un fonds de référence qui s'aventure assez souvent hors des limites du premier cycle. Mieux que tout autre sans doute, ce point a d'ailleurs mis en lumière les difficultés de la documentation dans une antenne de premier cycle.

    La présence de collections importantes (comme les Citadelles et Mazenod ou l'Univers des formes pour l'histoire de l'art) est objectivement un facteur d'épanouissement et d'ouverture intellectuelle pour des étudiants de premier cycle. Mais, dans les faits, elle ne correspond pas à leurs besoins. La plupart d'entre eux n'utilisent guère la bibliothèque que comme salle de travail sur leurs documents personnels, ou comme centre de ressources pour une documentation de premier niveau : manuels, dictionnaires, encyclopédies, brefs ouvrages de synthèse permettant de préparer un exposé ou un partiel.

    Ces collections attirent en revanche des étudiants plus avancés qui en profitent pour emprunter également des ouvrages de premier cycle, délestant ainsi la bibliothèque d'une documentation destinée prioritairement à ses usagers naturels. Aussi la directrice du SCD de Reims et le directeur de la BM ont-ils dû rappeler officiellement que les ouvrages de la BMU étaient réservés aux étudiants de l'antenne.

    Pour mettre fin à cette dérive des usages, on pourrait donc limiter strictement la documentation aux manuels et aux ouvrages de premier niveau. Mais, outre que la distinction entre ouvrages destinés au premier et au deuxième cycle est loin d'être évidente, une telle position risquerait d'appauvrir la tâche des bibliothécaires et de les réduire à une simple fonction d'enregistrement de quelques collections universitaires. Elle viendrait également en contradiction avec le souci d'ouvrir la bibliothèque universitaire à de nouveaux publics, dans le cadre du réseau. Au risque d'aboutir à l'inverse de l'effet recherché, et à la création d'un super-CDI fermé sur lui-même.

    Sans doute la solution est-elle à chercher ailleurs. Soit dans une approche pragmatique, au cas par cas, qui laisse à la bibliothèque d'antenne délocalisée une part d'ouverture raisonnable, en relation étroite avec la BM voisine. Soit encore dans une intégration des documents et des lecteurs, dont Valence nous offre l'exemple le plus frappant et sans doute le plus abouti à ce jour. Ainsi sont possibles les économies d'échelle, les mélanges de publics, l'ouverture des étudiants à d'autres domaines que ceux qui leur sont enseignés, mais aussi l'enrichissement des usagers de lecture publique par une documentation universitaire à laquelle ils n'ont souvent pas accès.

    Notes

    1. Pour le personnel territorial : un bibliothécaire (catégorie A), un assistant qualifié (B), six agents ou agents qualifiés (C), un emploi-jeune, deux CES, auxquels s'ajoutent un magasinier en chef et deux CES sur budget Université. retour au texte

    2. Malgré l'ouverture d'une licence AES et d'un IPAG, le nombre d'inscrits à l'antenne universitaire de Troyes tend globalement à diminuer : 1 309 en 1994, 1 591 en 1995, 1 427 en 1996, 1 392 en 1997, 1 273 en 1998. retour au texte

    3. Soit environ 200 000 F de reversement des droits d'inscription, et à peu près 300 000 F de crédits alloués par la ville de Troyes. retour au texte