Index des revues

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    Suzanne Honoré (13 juillet 1909 - 17 mars 2000)

    Par Geneviève Boisard, Conservateur général honoraire ancien Inspecteur général des bibliothèques

    Suzanne Duverger est née le 13juillet 1909à S Oloron-Sainte-Marie (Pyrénées-Atlantiques). Elle a toujours été très attachée à sa région d'origine. C'était une petite fille très douée, qui a eu très tôt le goût de la lecture.

    En 1928, à dix-neuf ans, elle est licenciée ès lettres en histoire-géographie. Puis elle entre à l'École des chartes, dont elle sort major de sa promotion en 1932, avec une thèse sur Les relations de la Navarre avec l'Aragon et la Castillesous le règne de Charles le Mauvais (1349- 1387). Les souvenirs qu'elle a laissés à ses condisciples sont ceux de ses brillants résultats, mais aussi de sa gaieté et de son entrain dans les revues de l'École.

    Elle passe deux ans à la Villa Médicis, puis à la Casa de Velàzquez, où elle fait la connaissance de son mari, Pierre Honoré, qui sera le compagnon de toute une vie.

    En 1936 elle entre à la Bibliothèque nationale, d'abord comme bénévole, puis comme chômeuse intellectuelle, avec un salaire plus que modique alors que son mari est fait prisonnier en juin 1939 et qu'elle a un petit garçon, Michel. Deux autres fils, Georges et Olivier, naîtront après la guerre.

    En 1943, la Bibliothèque nationale procède enfin à des recrutements et elle devient bibliothécaire titulaire. À cette occasion, elle fait entrer de nombreux collègues à la Bibliothèque. Alors qu'elle devait sûrement rêver, comme tout bon chartiste, d'être affectée aux manuscrits, elle est chargée par Julien Cain de continuer le catalogue des Actes royaux. Dans ce service, avec son intelligence aiguë, elle se rend bien vite compte qu'il n'est pas question de cataloguer au titre des publications, qui débutent toutes par « Ordonnance.... » ou « Par-devant les notaires du Châtelet... », mais qu'il faut les regrouper en ensembles chronologiques sous chaque juridiction.

    Ce sera le début de sa réflexion sur les vedettes de collectivités. En un temps record, elle prépare un volume entier du catalogue. Nommée ensuite à l'Inventaire général, Suzanne Honoré y apprend le catalogage et acquiert une connaissance étendue des fonds de la Bibliothèque nationale.

    En 1950, Julien Cain crée le Service des publications officielles. C'est tout naturellement à Mme Honoré qu'il le confie. Elle seule pouvait mener à bien ce travail, et les vocations étaient rares ! La rotonde Richelieu accueille le service dans des conditions Spartiates, avec un mobilier de bric et de broc glané au hasard des recherches dans les sous-sols de la Bibliothèque nationale. Il cohabite avec le Service des anonymes, dirigé par Roger Pierrot. C'est là que s'élaborent les règles de catalogage.

    Mme Honoré joue en la matière un rôle déterminant qui aboutit à la norme de l'Afnor de 1953 sur les vedettes de collectivités. Promue conservateur en 1952, elle participe à la conférence internationale sur le catalogage de 1960 qui reconnaît les vedettes de collectivités au plan international. Il faut souligner qu'elle a créé le premier fichier d'autorité qui ait jamais existé en France pour les vedettes de collectivités privées ou officielles.

    Elle conçoit le Supplément F de la Bibliographie de la France, consacré aux publications officielles, et participe régulièrement à la Bibliographie sélective des publications officielles françaises élaborée en commun par la Documentation française, la bibliothèque de la Fondation nationale des sciences politiques et la Bibliothèque nationale : bel exemple de collaboration entre institutions ! Des réunions hebdomadaires réunissent Suzanne Honoré, Alice Gorgeon et Jean Meyriat pour mettre au point le numéro à paraître et sélectionner les informations intéressantes.

    Elle s'intéresse aux collections de publications mineures (prospectus, catalogues de grands magasins, rapports de sociétés, etc.) venues par dépôt légal et conservées à la Bibliothèque nationale, et c'est elle qui crée, parallèlement aux Publications officielles, le Service des recueils. Elle assurera longtemps l'enseignement sur ces sujets et sur plusieurs autres à l'École nationale supérieure des bibliothèques.

    En 1963, Mme Honoré est nommée conservateur en chef et appelée à diriger le Service des échanges internationaux. Elle y fait un travail considérable de réorganisation afin répartir au mieux pour les bénéficiaires la masse considérable de volumes en attente. Elle est particulièrement soucieuse d'envoyer des ouvrages dans les pays africains francophones, qui viennent d'acquérir leur indépendance et auxquels leurs moyens ne permettent pas d'acheter beaucoup de livres.

    En 1971, elle est nommée à titre personnel membre de la toute nouvelle Commission de coordination de la documentation administrative créée auprès du Premier ministre. Elle est à ce moment directeur du Département des entrées de la Bibliothèque nationale, département considérable qui regroupe les Acquisitions, les Dons, la Bibliographie de la France et le Service étranger, l'Histoire de France, les Collectivités privées, les Recueils et les Publications officielles. À ce poste, elle réorganise les services, en particulier les acquisitions, et met en route l'informatisation de la Bibliographie de la France.

    Très au courant des travaux américains en la matière, puisque la Bibliothèque nationale reçoit les rapports et le Bulletin de la Library of Congress, Suzanne Honoré comprend très vite l'intérêt du catalogage informatisé. C'est elle qui transmet à Marc Chauveinc, alors conservateur à la Bibliothèque universitaire de Grenoble, les documents sur le format MARC qui vont donner naissance au premier format français Monocle, puis à Intermarc et Unimarc. Elle a compris l'intérêt du catalogage partagé, qui nous semble si naturel aujourd'hui.

    Parallèlement à son activité professionnelle, Mme Honoré a eu une influence considérable dans le monde des bibliothèques. Son intérêt pour la collectivité explique son rôle dans le Comité de libération de la Bibliothèque nationale après la guerre. Il explique également son engagement syndical. C'est elle qui a créé le Syndicat national des bibliothèques rattaché à la FEN.

    Comme elle n'était absolument pas sectaire, son action syndicale s'opérait en étroite liaison avec la CFTC, dont Alice Garrigou dirigeait la Section des bibliothèques. Elle a ainsi pu contribuer à l'élaboration et à l'amélioration des statuts des personnels. Elle a été militante active de l'Association des bibliothécaires français, dont elle a été présidente de 1964 à 1969. À l'ABF, elle a mis en place les structures régionales tout en essayant de concilier les intérêts de la lecture publique, des bibliothèques de recherche et de la Bibliothèque nationale.

    Elle a participé à de nombreux congrès de la Fédération des associations de bibliothécaires et des bibliothèques, et y a travaillé au sein des Comités des publications officielles et des échanges internationaux. Elle a toujours eu le souci de faire partager ses découvertes et de diffuser l'information auprès de l'ensemble de la profession. C'est ainsi qu'elle a publié de nombreux articles dans les revues professionnelles sur les vedettes de collectivités, le catalogage automatisé ou l'activité de la FIAB.

    Très gaie, elle avait une conception optimiste de l'homme confortée par une vie familiale très heureuse et un foyer très uni. Elle savait concilier ses nombreuses activités avec le soin de son mari et de ses enfants. Elle a été découvreuse de talents et beaucoup lui doivent leur réussite professionnelle. L'ascendant naturel qu'elle exerçait sur ses collaborateurs a laissé des souvenirs. C'est ainsi qu'elle arrivait le matin dans son service et commentait l'actualité avec brio.

    Elle était attentive aux personnes tout en leur laissant beaucoup d'autonomie. Sa grande culture politique, historique et artistique lui permettait de faire des choix judicieux en matière d'acquisitions ou de choix des dons à intégrer aux collections de la Bibliothèque nationale. Ses conseils étaient appréciés en toutes circonstances. Julien Cain l'estimait tout particulièrement. Quand elle se levait après un coup de téléphone et qu'elle se donnait un coup de peigne rapide, on savait qu'elle était appelée par l'administrateur. Elle seconda très efficacement Thérèse Kleindienst, alors Secrétaire générale.

    Elle a pris sa retraite en 1978, après avoir effectué un travail considérable à la Bibliothèque nationale. La profession tout entière lui doit beaucoup. De nombreuses décorations ont reconnu ses mérites. Elle a été décorée des Palmes académiques en 1958, de l'ordre national du Mérite et de la Légion d'honneur en 1960, et promue officier de la Légion d'honneur en 1976.

    Suzanne Honoré nous a quittés le 17 mars 2000, dans sa quatre-vingt-onzième année, au terme d'une brève maladie. Jusqu'au dernier moment elle a gardé intactes sa présence et ses facultés intellectuelles. Elle nous laisse le souvenir d'une vie humainement et professionnellement féconde.