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Créer une collection numérisée dans une bibliothèque municipale

2000
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    Créer une collection numérisée dans une bibliothèque municipale

    Par Emmanuel Aziza, Direction des livres et de la lecture

    Les grands établissements comme la Bibliothèque nationale de France ne sont plus les seuls à mener à bien des opérations de numérisation. Les bibliothèques municipales se sont elles aussi lancées dans cette voie depuis plusieurs années, mais en ordre très dispersé. Leurs projets répondent en effet à des ambitions et à des contraintes très diverses : certains portent sur des textes littéraires anciens numérisés en mode texte et en interne, comme à la bibliothèque municipale de Lisieux ; d'autres, plus nombreux, portent sur la numérisation en mode image de collections patrimoniales conservées dans le fonds ancien et difficilement consultables.

    On ne peut pas encore parler de « bibliothèques numériques », car ces projets se limitent de façon réaliste à des collections spécifiques. Le nombre de ces projets va chaque année en augmentant, mais il demeure encore relativement faible. En effet, outre l'investissement humain qu'il représente, un projet de numérisation ne peut se réaliser sans un examen des modalités financières, une étude des choix techniques et une prise en compte des autres projets en cours portant sur des collections similaires. Créer une collection numérique, c'est un peu comme découvrir des objets enfouis depuis des siècles dans les sables marins : le chemin est long entre la remontée des trésors et leur présentation derrière les vitrines d'un musée...

    Quelle aide financière peut-on obtenir pour un projet de numérisation ?

    Il existe deux grands programmes d'aide à la numérisation, l'un au niveau national, l'autre à l'échelon déconcentré.

    1. Le ministère de la Culture et de la Communication a mis en place depuis quatre ans un mécanisme de prise en charge à 100 °/o des frais techniques de numérisation des collections d'État, s'inscrivant dans le cadre d'un marché national. Cette aide, réservée dans un premier temps à la numérisation des documents de substitution (microfilms ou Ektachrome, par exemple), a été élargie depuis l'an dernier à la numérisation directe de documents aussi divers que les livres, les manuscrits, les cartes et plans, les estampes, les photographies et les documents sonores.

    Une aide complémentaire peut éventuellement financer l'inventaire préalable des fonds. Chaque année, la Mission de la recherche et de la technologie (MRT) lance plusieurs appels à projets ; les dossiers sont transmis aux directions régionales des affaires culturelles, chargées d'informer les services de l'archéologie, de l'Inventaire, des monuments historiques, les musées, les archives départementales et les bibliothèques.

    Depuis 1996, six bibliothèques municipales ont bénéficié de cette aide : Amiens etTroyes pour des manuscrits médiévaux, Valenciennes pour des incunables, Pau pour des documents iconographiques sur l'histoire du Béarn, Metz pour des atlas des XVIIe et xvnie siècles, Saint-Étienne pour des plans, dessins et cours relatifs à l'art des mines. Le projet de Troyes, qui a pour but de reconstituer la bibliothèque dispersée de l'abbaye de Clairvaux dans le cadre d'une coopération avec d'autres établissements (notamment les archives départementales de l'Aube), est le plus ambitieux de ces projets ; il est également couplé avec un projet de valorisation qui s'inscrit pleinement dans la modernisation de l'établissement.

    Jusqu'à présent, ce programme ne concernait que les fonds d'Etat, mais, à partir de cette année, les fonds des collectivités locales pourront aussi bénéficier d'une aide qui atteindra jusqu'à 50 °/o du coût de la numérisation. Ces opérations ne seront aidées que si elles peuvent être menées dans un délai assez court, avec une mise à disposition très rapide des collections, si possible sur le Web. En 2000, le ministère de la Culture et de la Communication consacrera 12 millions de francs à la numérisation du patrimoine.

    2. Au niveau régional, les bibliothèques municipales peuvent désormais bénéficier de la deuxième part du Concours particulier des bibliothèques de la dotation générale de décentralisation, gérée par les directions régionales des affaires culturelles. La circulaire d'application datée de mars 1999 prévoit en effet soit le financement de l'installation d'un atelier de numérisation dans les locaux de la bibliothèque, soit celui d'une prestation de numérisation réalisée par une entreprise.

    Le premier, qui peut atteindre 50 % du montant des dépenses hors taxes, est conditionné par la présence au sein de l'établissement d'un personnel qualifié ayant reçu une formation en imagerie numérique. Le second financement porte sur la numérisation par un prestataire extérieur et peut atteindre entre 20 et 40 °/o du montant hors taxes des devis établis pour la numérisation en mode image, le passage au mode texte pour les tables des matières, sommaires ou index, la production de supports de substitution (photographies, microfilms), la conversion rétrospective des fichiers ou catalogues décrivant ces documents numérisés, et le contrôle qualité.

    S'il est plutôt recommandé de numériser des documents libres de droits, la numérisation de documents encore protégés au titre de la législation sur la propriété intellectuelle n'est pas exclue. Cependant, il revient à la commune de prendre en charge l'acquisition des droits afférents à l'exploitation numérique des documents par la bibliothèque. Outre le Concours particulier, les directions régionales des affaires culturelles disposent parfois de crédits d'intervention propres susceptibles de financer quelques projets.

    Quelques recommandations utiles

    Depuis l'ouverture des appels à projets de numérisation, le ministère de la Culture et de la Communication s'est efforcé d'assurer la cohérence des différents programmes qu'il soutenait. À cet effet, une série de règles et de recommandations a été transmise aux bénéficiaires du plan de numérisation du Ministère, afin de garantir une homogénéité des documents numérisés et de faciliter la gestion ultérieure de ces fonds.

    Ces recommandations d'ordres juridique et technique s'adressent plus largement à l'ensemble des bibliothèques publiques, auxquelles elles peuvent apporter des réponses dans leur choix de numérisation. Il est possible de les consulter sur le site du ministère de la Culture et de la Communication, où la MRT et la DLL présentent des fiches d'information sur les différentes étapes de la numérisation, à l'adresse suivante : http ://www. culture, fr/culture/mrt/numérisation

    Ces recommandations, qu'il paraît inutile de détailler ici, insistent particulièrement sur deux aspects :

    • L'aspect juridique : la question des droits de reproduction et de diffusion se pose avec une acuité toute particulière dans le cas des documents numérisés. Il ne suffit pas de posséder un document dans sa bibliothèque pour pouvoir le numériser et le diffuser, même en Intranet. Avant de procéder à la numérisation, il est impératif de s'assurer que la bibliothèque dispose de tous les droits d'exploitation des documents et de leurs reproductions photographiques. Le statut du document, au regard de la propriété littéraire et artistique, est le premier élément à apprécier. Seuls les documents tombés dans le domaine public sont libres de droits, les autres demeurent protégés au titre du droit d'auteur. Leur numérisation ainsi que leur diffusion sont à négocier auprès des ayants droit, et doit être formalisée dans le cadre d'une convention.
    • L'aspect technique : les recommandations portent essentiellement sur la numérisation en mode image, qui correspond le mieux aux objectifs de valorisation de leurs fonds qui sont ceux des bibliothèques. La bonne exploitation informatique des fichiers numériques créés ne peut être assurée que par le choix d'un format standard et de noms de fichiers adaptés. La conservation des documents numériques et leur accessibilité sont largement tributaires de ces choix.

    Bien repérer les autres projets ou réalisations similaires

    Afin d'éviter que ne soient numérisés des documents qui l'ont déjà été ailleurs, il devient indispensable de diffuser une plus large information sur les projets initiés dans les bibliothèques publiques. Aussi, la Direction du livre et de la lecture a adressé en décembre dernier un questionnaire détaillé à cent bibliothèques municipales dépositaires de fonds anciens importants afin de mieux repérer les projets de numérisation.

    Ce questionnaire distingue les réalisations effectives des programmes en cours et de ceux qui sont encore à l'étude ; il se donne également pour objectif d'identifier les techniques employées par les établissements. Les résultats de cette enquête en cours de dépouillement alimenteront une base de données qui sera hébergée sur le site du ministère de la Culture et de la Communication à la fin de l'année 2000 et qui sera complétée par la suite.

    Un tel outil doit permettre aux bibliothèques de repérer les collections numérisées, de vérifier que leur projet n'en double pas un autre (notamment au regard des collections numérisées de la BnF), et les encourager à coordonner leurs politiques de numérisation. Un dispositif national de coordination des projets sous forme d'un comité spécifique, à l'instar de celui qui existe déjà pour les projets de restauration, est à l'étude.

    Numériser : mais pourquoi?

    Bien entendu, le montage d'un projet n'a de sens que dans un objectif de valorisation des collections numérisées, auprès tant des chercheurs que du grand public, au-delà de la simple création de documents de substitution préservant des originaux précieux. Une mise à la disposition du public sur le réseau interne de la bibliothèque, ou à tout le moins sur quelques postes de consultation, constitue un objectif minimum. Cependant, une mise à disposition de la collection sur le site Web de la bibliothèque, ou à défaut sur celui de la ville, s'impose désormais comme le mode de diffusion le plus approprié pour une large valorisation, et devient de plus en plus un critère d'attribution de subventions.

    Il est donc, là aussi, important de se poser toute une série de questions le plus en amont possible : questions juridiques, questions techniques (acquisition d'un serveur, taille des fichiers, utilisation de vignettes en format réduit renvoyant sur des fichiers plus importants en mémoire), mais aussi questions de nature scientifique ou éditoriale : faut-il faire une sélection de documents en vue d'une exposition virtuelle et/ou créer une base de données à des fins de recherche ? Faut-il faire appel à un partenaire extérieur pour la structuration et la mise en forme ?

    En tout état de cause, il est important de savoir que les élus sont de plus en plus sensibles à la visibilité des collections patrimoniales sur Internet dans le cadre de la promotion d'une ville, d'un département ou d'une Région : un atout à double tranchant pour un projet de numérisation, qui peut en bénéficier mais qui peut aussi en pâtir si cet aspect des choses est mal maîtrisé...