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Du papier au papier, un service numérique de bibliothèque

2000
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    Du papier au papier, un service numérique de bibliothèque

    Orphée, fils de Calliope

    Par Jean-Michel Salaün, Département t des ressources documentaires, ENSSIB

    Les relations entre les éditeurs et les bibliothèques ont toujours été ambiguës et n'ont jamais été vraiment faciles. Les secondes sont des clientes des premiers, elles sont aussi parfois perçues comme des concurrentes. Les difficultés des négociations sont aujourd'hui exacerbées par la montée du numérique, qui est souvent anticipée par les protagonistes.

    Aussi, aux problèmes objectifs, anciens ou nouveaux, s'ajoute une appréhension subjective des évolutions à venir. Chacun cherche à se placer dans la position qui lui paraît la plus favorable pour aborder un avenir encore très incertain. Autrement dit, l'arrivée d'une alternative au papier, le numérique, a ajouté un degré de complexité à des relations déjà compliquées.

    Pourtant, de notre point de vue, il n'y a pas de concurrence frontale entre le papier et l'électronique ; il y a un entrelacement à toutes les étapes de la chaîne de production et de diffusion des publications. Ni le papier imprimé ni le fichier numérique ne sont une fin en soi. Ce ne sont que des supports et des formats pour l'échange d'informations. Le papier est plus pratique que l'électronique dans un certain nombre de circonstances (par exemple : maniabilité, lecture longue, échanges dans un environnement hétérogène...). Il l'est moins dans d'autres (traitement des textes, gros stockages, envoi à distance...).

    Mais, de plus en plus, à tout moment il est possible de passer d'un support à l'autre. Le choix d'un support ou de l'autre dépend de leurs performances pratiques mais aussi de l'attitude des acteurs et de leurs relations, ceux du bout de la chaîne (auteurs ou lecteurs) et les intermédiaires (éditeurs, bibliothécaires...).

    En France et dans de nombreux pays, les discussions entre bibliothécaires et éditeurs ont pris un tour polémique sur plusieurs sujets, notamment sur la distribution des revues scientifiques (dont l'augmentation des tarifs d'abonnement paraît injustifiée aux bibliothécaires) et sur les pratiques de photocopies (considérées comme abusives par les éditeurs). Pourtant, loin de constituer une menace pour l'un ou l'autre des partenaires, certaines solutions numériques permettent au contraire de rationaliser et de pacifier les rapports tout en fournissant un service amélioré au lecteur.

    Orphée : impression à la demande de la littérature-coeur

    Orphée est, dans la mythologie, le fils de Calliope. Pour nous, il s'agit d'une expérimentation en cours qui reprend le système informatique de Calliope en l'étendant à d'autres usages bibliothéconomiques. Cette expérimentation est menée à la bibliothèque de l'École nationale supérieure des sciences de l'information et des bibliothèques.

    Problématique

    Les bibliothèques spécialisées disposent d'une littérafure-coeu/'(documents les plus demandés, lus, empruntés, reprographies...). Cette littérature est largement exclue des expérimentations sur les bibliothèques électroniques et pourtant :

    1. Ces documents, très manipulés notamment pour la photocopie, s'abîment et s'usent prématurément. Il est bien difficile de mesurer leur utilisation réelle. La rémunération de la propriété intellectuelle (modèle éditorial) se marie difficilement avec la logique de diffusion et d'échange de la bibliothèque, en particulier pour ces documents largement reprographies par les lecteurs.

    2. Le premier réflexe des bibliothécaires face à la numérisation est de traiter les fonds patrimoniaux pour deux raisons, l'une juridique, l'autre bibliothéconomique.

    Les documents sont le plus souvent libres de droits et peuvent donc être numérisés sans formalité particulière. Par ailleurs, ils sont d'accès difficile parce que rares, précieux et fragiles. La numérisation rend le patrimoine au lecteur. Le bibliothécaire répond ainsi à une part de sa mission.

    Néanmoins, s'il s'en tient là, il abandonne à d'autres acteurs (éditeurs, intermédiaires...) le versant numérique d'une autre part de sa mission, en termes d'activité la part principale de la majorité des établissements : la communication des documents courants. Cet abandon est risqué, non seulement pour les bibliothèques mais aussi pour la transmission du savoir et de la culture.

    3. Aujourd'hui, les réseaux électroniques permettent de doubler le service de proximité par un service à distance.

    Il s'agit donc de trouver un système qui améliore le fonctionnement courant de la bibliothèque sans perturber le service de proximité (fondé principalement sur le papier), qui s'intègre dans un service à distance (fondé principalement sur l'électronique), tout en résolvant les difficultés juridico-économiques apparues dans les prestations de reprographie et de télécommunication.

    Organisation technique, juridique et économique

    La littérature-coeur est numérisée, elle se trouve mémorisée sur le serveur de la bibliothèque. Les tables des matières sont en format texte. Un lien est prévu des titres de parties et sous-parties vers les pages numérisées correspondantes. Un affichage du texte (sous une forme dégradée) permet un repérage fin. Un lien des notices du catalogue de la bibliothèque vers les tables des matières des documents correspondants est réalisé. Par ailleurs, un lien est aussi réalisé du titre du document (indiqué sur la liste des documents électroniques proposée sur le site de l'ENSSIB) vers la table des matières correspondantes. L'accès à la table des matières peut donc se faire soit par la notice du catalogue, soit par la liste de titres.

    Comme pour Calliope, le système part du papier pour retourner au papier. Une fois que le lecteur aura repéré les passages qui l'intéressent, il en demandera l'impression. Le système lui fournira un numéro et il ne lui restera plus qu'à aller chercher les documents imprimés à la banque de prêt. Le système peut aussi fonctionner avec des sites distants.

    L'interprétation juridique peut être la même que pour Calliope, en s'appuyant sur le Centre français d'exploitation du droit de copie. Dans un premier temps, nous avons néanmoins privilégié les accords bilatéraux avec les éditeurs spécialisés.

    Dans ce modèle, la revendication des éditeurs sur les photocopies est prise au sérieux, puisque l'on sait précisément quelles parties d'ouvrages ont été imprimées, et que donc l'on peut rémunérer les ayants droit. Inversement, le souci légitime des bibliothécaires de fournir le meilleur service à leurs lecteurs, en dehors d'une logique commerciale, est aussi préservé puisque la tarification au lecteur est indépendante de la rémunération aux ayants droit. Autrement dit, on peut très bien imaginer que le lecteur paie le prix actuel de la photocopie ordinaire (sans avoir à manipuler le livre) tandis que l'éditeur recevra une rémunération équitable. La question de savoir qui paiera cette redevance et son montant est différente. Elle peut faire l'objet d'appréciations divergentes.

    Le pari de l'expérimentation est que, finalement, on s'apercevra que les enjeux financiers, qui effraient aujourd'hui les acteurs, sont très en deçà de leurs inquiétudes. Ainsi, les principes sur lesquels campent parfois les protagonistes ne reposent peut-être pas sur une réalité très tangible. Mais, si cette hypothèse n'était pas vérifiée, cela signifierait ipso facto qu'il faut revoir l'articulation des modèles (éditorial et bibliothéconomique) ou les modèles eux-mêmes.

    Trouver des modalités pour de meilleures relations entre éditeurs et bibliothécaires est un enjeu important, mais l'essentiel est évidemment le meilleur service rendu au lecteur, ici la fourniture du document. Orphée est aussi l'occasion de s'interroger sur la place du catalogue traditionnel dans une bibliothèque numérique. Comment articule-t-il service de proximité et service à distance ? Devient-il un portail ouvrant à des ressources dépassant largement les collections (papier ou numériques) détenues par l'établissement et son lectorat traditionnel ? Ou, au contraire, doit-il se centrer sur celles-là et ceux-ci ?

    Enfin, la dynamique et le matériel acquis à l'occasion de l'expérimentation nous ont amenés à réfléchir et à développer d'autres services, notamment un service d'alerte par sommaire sur les revues anglo-saxonnes. Nous travaillons aussi à des dossiers de presse numériques.