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    Exil intérieur

    Par JEAN-CLAUDE ANNEZER, Directeur SCD de l'université Toulouse Le Mirail.

    Campus du Mirail, vendredi 21septembre, 10h : des étudiants circulent sereins ; ils viennent aux informations pour la toute proche rentrée ou passer les épreuves de la 2ème session ; une équipe de bibliothécaires visite le nouveau bâtiment de la bibliothèque centrale qui doit nous être livré début octobre, pour une ouverture au public le 12novembre ; des livreurs et des ouvriers spécialisés s'y affairent ; les grandes baies vitrées de la façade nord sont toutes posées ; la lumière d'automne semble prendre plaisir à s'y refléter.

    iohi8 : d'abord un bruit sourd, une sorte de séisme ; puis, dans la seconde, un autre, tonitruant ; les vitres volent en éclats ; les oreilles vibrent, assourdies ; les visages se crispent ; les yeux se plissent et pleurent, hagards, hébétés ; les voix se creusent, rauques ; elles n'ont plus la force d'avoir peur, figées là, tout au bord de l'abîme, de la déchéance, écorchées vives ; aucun mal n'est si profond ; quel accablement ! plus de rythme, plus d'appui ; rien qu'un grand vide béant, une extrême fragilité.

    Les châssis se tordent, les baies vitrées explosent, les parois de briques sont ébranlées, les rayonnages s'affaissent ; le souffle de l'onde broie et ravage tout ce qu'il trouve sur son passage ; ça ressemble à un bombardement : tympans meurtris, regards aveuglés, visages entaillés.

    Tout le réel est distordu, tout l'espace est poussé dehors : quelque chose d'absurde, d'abyssal, de meurtrier ; les victimes subissent abasourdies ; les mémoires doutent, les craintes fusent ; le réel ne reconnaît plus son site ; le campus, la ville, ébouriffés, blessés prostrés ; moment d'abandon : le trouble est tel que nous ne pouvons pas saisir ce qui se passe ; les mots ne veulent plus rien dire : force aveugle, horreur innommable, même à imaginer le maximum pensable de destruction.

    Un épais nuage d'un rouge sombre et sale envahit le ciel. Quelle perdition menace encore ? Chacun éprouve sa vulnérabilité jusqu'au désarroi et à la nausée : tout peut donc ainsi être écrasé en quelques secondes ; tous les espoirs, toutes les certitudes vacillent.

    Quelque chose d'irréversible vient de se passer : il n'est pas sûr que dans les jours prochains nous puissions lui donner un sens adéquat ; mais il faudra bien qu'il mûrisse, âpre et rude, non sans révolte ni souffrances : la plaie restera longtemps sous nos yeux, même si on s'oblige à détourner le regard.