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Ville de Montpellier. Bibliothèque de Frédéric, Sabatier d'Espeyran

1966
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    Par Pierre Breillat
    Françoise Mourgue-Molines

    Ville de Montpellier. Bibliothèque de Frédéric, Sabatier d'Espeyran

    Montpellier, 1965. - 25 cm, 216 p., 72 pl., portrait du donateur.

    Il y a une crise latente, sinon éclatante, des Bibliothèques municipales. Ilots distincts et distants dans le désert français des Bibliothèques, chacune d'elles poursuit, sans bruit, son existence, aux prises avec ses problèmes propres. Moins elles paraissent armées, et plus est accablant le rôle qu'on leur assigne : conservation, c'est-à-dire aussi enrichissement, de fonds anciens et spéciaux ; fonction documentaire en tous sujets, à tous niveaux, pour le passé comme pour l'actualité ; diffusion de la Lecture publique des enfants aux adultes. Pour instituer un parallèle avec l'enseignement, elles doivent figurer à tous les degrés, de l'école maternelle à la Faculté, sans compter la « recherche ». A part quelques très grandes villes, aux maires compréhensifs, les budgets communaux ne peuvent faire face à tant de tâches. Qu'il s'agissent des locaux, du personnel, du matériel, des collections, les perspectives débouchent sur une impasse. Mais le lieu n'est pas ici d'un tel et si vaste examen. Si l'on s'en tient aux livres, et spécialement au domaine des bibliophiles, qui n'a rêvé de séries harmonieusement composées, pour offrir, sans lacunes graves, à l'instar de Musées du Livre, une histoire continue de l'imprimerie, de l'édition, de l'illustration, de la reliure ? Mais quasi partout, le hasard des confiscations ou des libéralités entraîne, sur un ou quelques points, pléthore, avec des manques essentiels par ailleurs. C'est la période moderne et contemporaine qui est la moins bien représentée : nos réserves s'arrêtent généralement au XIXe siècle. On n'a pas eu les moyens d'acheter et les sources d'acquisitions gratuites se sont raréfiées. Il faut dire que le malthusianisme de règle en la matière, tirages trop restreints aux prix inabordables, ne joue pas en notre faveur. Constatons seulement qu'il est impossible, en province, de juger, par exemple, de l'art dit de « la reliure originale », renouvellement si profond des styles et des techniques d'hier.

    Il faut donc saluer, comme un événement unique, le legs Frédéric Saba-tier d'Espeyran à la ville de Montpellier : un choix de plus de 650 numéros exceptionnels. En préface, les grands anciens, le Poliphile, Dürer, Callot, Piranèse ou Goya, une douzaine de pièces, étapes et sommets. Pour le reste, les illustres de ce temps, ils vont de Toulouse-Lautrec à Trémois, sans excepter aucun des maîtres, Chagall, Dufy, ou Picasso, sous des titres que l'on ne prononce jamais qu'avec le plus profond respect. Dunoyer de Segonzac lui-même écrit : « C'est presque la totalité de mon oeuvre livresque qui se trouve ici représentée ». Tous les exemplaires offrent, d'autre part, des particularités insignes ou uniques : attribution nominative, suites, planches refusées, dessins originaux, autographes. Les reliures surtout sont à signaler : elles font de chaque livre une oeuvre d'art qui n'a pas sa pareille, et la réunion en forme un ensemble caractéristique de la production contemporaine, tel que la Nationale elle-même serait sans doute incapable d'en aligner un semblable.

    Ce trésor, comparable à la donation, qui l'a précédé de peu, de Mme Louis Solvay, à la Royale de Belgique, et qui rend la Bibliothèque de Montpellier la seule en province où l'on puisse désormais prendre à ce degré connaissance de l'art du Livre français au XXe siècle, est échu à une jeune bibliothécaire, Mlle Françoise Mourgue-Molines. Etrennes inespérées pour une débutante ! Mais, en un temps record, avec un goût exercé déjà et une science experte, cette débutante nous a livré un volumineux et impressionnant catalogue, où l'illustration va de pair avec le texte, plus de soixante-dix planches, consacrées notamment aux reliures. Les descriptions, sûres, précises, détaillées, répondent à tous les voeux des amateurs. Les index, nombreux, pas moins de neuf, par noms d'illustrateurs, graveurs, éditeurs, imprimeurs pour le texte et l'illustration, provenances, auteurs de dessins originaux, de reliures ou d'autographes, satisfont aux normes et usages les plus classiques, proposés maintenant aux responsables d'une réserve précieuse. L'ouvrage paraît digne des richesses auxquelles il s'applique. A lui seul, il mérite de prendre place dans toutes les bibliothèques, pour nos méditations diurnes ou nocturnes, comme un document de premier ordre pour suivre l'évolution du livre de luxe en France, de 1900 à nos jours.

    Faut-il souhaiter pour finir, ou espérer, que la Ville de Montpellier sache ou puisse, dans les années à venir, consentir les sacrifices nécessaires pour assurer la continuation d'une collection de cette importance et de cette valeur ?