Index des revues

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    Par M.-Th. Laureilhe
    G. Burck

    Le Monde à l'heure des calculateurs

    par G. Burck et les rédacteurs de la revue « Fortune ». [ The Computer age]. Trad. de l'américain par l'équipe de la Société d'information appliquée sous la dir. de G. Letellier. - Paris, Dunod, 1967. - 21,5 cm, X-110 p., fig. couv. ill.

    En novembre 1964, le Bulletin de l'A.B.F. recensait un rapport américain, Toward the library of the 21st century, décrivant la bibliothèque du XXIe siècle entièrement automatisée où le lecteur recevra l'information d'un ordinateur qui aura enregistré la documentation contenue dans les livres et périodiques de la bibliothèque. Les événements vont plus vite que les prévisions : en novembre 1965, dans ce même Bulletin, nous signalions les premiers essais de la Library of Congress pour reproduire et multiplier les fiches au moyen d'un ordinateur qui enregistre les données de la fiche et sur demande peut livrer des fiches « auteurs », « titres », « matières », complètes ou abrégées, et des bibliographies ou catalogues établis au moyen de ces mêmes données classées par l'ordinateur. Aujourd'hui des bibliographies nationales allemandes et américaines sont établies par ce moyen, l'I.P.P.E.C. va l'être et l'on y songe sérieusement pour la « Bibliographie de la France ». Il est donc urgent que les bibliothécaires étudient les possibilités nouvelles qu'apportera l'automation dans les bibliothèques. Ce recyclage, indispensable pour ne pas nous voir dépassés, ne sera pas toujours facile, car nous n'avons reçu, en majorité, qu'une formation littéraire. L'ouvrage que nous présentons nous aidera à réaliser que nous vivons « à l'heure des calculateurs » et qu'il nous faut, de toute nécessité, nous y adapter.

    Cet ouvrage a été écrit par une équipe de journalistes de la revue « Fortune », n'ayant pas de connaissances spécialisées en calculateurs, ils ont interrogé plus de cent personnalités et techniciens qui ont transmis une foule de commentaires et de critiques. C'est donc un travail d'équipe, il nous présente les possibilités de l'ordinateur sans faire appel à des connaissances scientifiques ; c'est une excellente vulgarisation, écrite avec humour, qui ne nous donne aucune description technique mais qui nous aide à entrevoir ce que les calculateurs apporteront au monde moderne. Il est écrit avec enthousiasme et affirme que le calculateur nous apportera plus que la presse d'imprimerie, la roue, la machine à vapeur ou la dynamo... L'ouvrage commence par une définition : « Le calculateur électronique est avant tout un appareil à ingérer, juger ou, en d'autres termes, traiter ou modifier utilement les connaissances ». C'est donc une machine à traiter l'information. C'est ce que nous faisons dans le classement et la présentation de nos fiches, de nos catalogues, « auteurs » et surtout « matières » et de nos bibliographies... ; nous réalisons donc que ce que nous faisons, le calculateur le fera plus sûrement et plus vite.

    Mais pour que cette merveilleuse machine marche, l'homme doit intervenir au départ. Elle est équipée d'une mémoire qui contient ses connaissances disponibles et d'un programme enregistré, elle obéit à un ensemble d'instructions codées et d'unités de contrôle qui lui permettent de lire et d'exécuter les instructions. Elle peut choisir entre diverses possibilités, parmi toutes celles d'un problème donné, elle peut estimer puis conclure. Mais il a fallu que l'homme enregistre les données et codifie les programmes, la machine a donc besoin de nous. Il n'y a pas à craindre les suppressions d'emplois si nous savons nous adapter à ce rôle. Et de toute façon le travail de base subsiste.

    Dès maintenant les calculateurs assurent des travaux de routine dans les entreprises : établissement des feuilles de paye, gestion des paiements et recettes, contrôle des stocks, facturation, avec plus de célérité que les machines à cartes perforées en usage il y a vingt ans. Il n'y a aucune difficulté pour transférer cela dans les services administratifs et comptables des bibliothèques. Ce n'est pas le plus intéressant et d'ailleurs, à l'échelon ministériel, c'est fait, au moins partiellement.

    L'ouvrage présenté nous décrit des réalisations du calculateur aux Etats-Unis qui, en Europe, paraissent relever de la science-fiction. Nous savons déjà quels progrès l'astrophysique a fait avec eux quand le calculateur permet d'économ'ser des dizaines d'années de calcul ; les envois de fusées interplanétaires et de satellites n'ont été possibles que grâce à eux. Nous apprenons que l'armée de l'air américaine, à l'aide d'un réseau de calculateurs traitant les indications de radars, suit pas à pas tout objet volant s'ap-prochant des Etats-Unis ou du Canada. En temps de guerre ils seraient programmés pour faire décoller les moyens d'interceptions, les guider et les faire revenir. Les calculateurs permettent une meilleure gestion des compagnies aériennes en contrôlant les réservations de place de milliers de vols, une meilleure et plus sûre utilisation des chemins de fer, en calculant le taux d'utilisation des wagons, en commandant les mouvements et aiguillages et en contrôlant le triage. Nous pouvons penser que demain ils contrôleront nos collections, les entrées et les sorties, la fréquence des communications sur tel ou tel ouvrage. Le problème est certainement moins ardu techniquement que ceux qui ont été résolus pour l'industrie.

    Le plus intéressant est peut-être ce rôle de recueillir les informations, les trier, les diffuser sous diverses formes, fiches et bibliographies, dans le public. La lecture de l'ouvrage nous donne la conviction que ce n'est pas plus compliqué que les exemples de gestion industrielle décrits par l'ouvrage et que très bientôt ce sera appliqué dans les bibliothèques. Comme pour l'industrie américaine, des calculateurs régionaux pourront être branchés sur des calculateurs centraux et l'information distribuée aux bibliothèques de province. A nous de nous adapter, mais à la lecture de ce livre nous avons l'impression que cette révolution se fera aussi inévitablement que la traction mécanique a remplacé le cheval ou l'hélice, la roue. Il y a des évolutions que l'on n'arrête pas.

    Cependant des esprits regretteront que la machine supplée en partie l'homme pour un travail intellectuel... Actualisant le mythe de l'apprenti sorcier, ils craignent également que la machine n'aille trop vite, ne simplifie exagérément les décisions complexes et n'arrive à des résultats dangereusement opposés à celui attendu. Les auteurs du livre répondent à l'objection en faisant remarquer que « les machines forcent les hommes à formuler leurs problèmes avec tellement plus d'intelligence et de façon tellement plus complète qu'il leur est difficile d'ignorer les imperfections de leurs programmes. Le calculateur est là pour durer ; on ne pourra pas plus s'en débarrasser que du télescope ou de la machine à vapeur, l'homme possède une chose prodigieuse qui travaille pour lui et ce n'est pas être un incorrigible optimiste que de suggérer qu'il en tirera le maximum. C'est précisément parce que l'homme essaie si péniblement de faire imiter son comportement par un calculateur, qu'il est condamné à améliorer considérablement sa propre connaissance et celle de la machine », conclusion optimiste qui nous rappelle opportunément que le dernier mot reste aux valeurs spirituelles.