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Pour connaître les monuments de France. Avec la collaboration de Simone Goubet

1972
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    Par Marie-Clotlde Hubert
    Pierre Lavedan

    Pour connaître les monuments de France. Avec la collaboration de Simone Goubet

    Pour connaître les monuments de France. Avec la collaboration de Simone Goubet.

    « Pour connaître les monuments de France », M. Pierre Lavedan offre à ses lecteurs une histoire générale de l'architecture française, depuis la fin de la domination romaine en Gaule jusqu'aux réalisations de Le Cor-busier. Découvrir sous sa conduite notre patrimoine monumental, c'est, en premier lieu, apprendre à situer les édifices par rapport à l'évolution continue d'un art - c'est-à-dire d'une technique et d'une esthétique -, et à tenir compte des facteurs historiques qui exercent sur la création architecturale leur influence complexe. Cette approche, menée par M. Lavedan avec une extrême clarté, doit permettre de saisir une signification dans les similitudes comme dans les dissemblances, dans les lentes transformations comme dans les mutations ou les ruptures. Il importe, en effet, aux yeux de l'auteur, de considérer « l'ensemble d'un art, beaucoup plus que l'ensemble d'une époque (...) Le Corbusier est plus près de Villard de Honne-court que Labrouste ne l'est de Baudelaire ».

    M. Pierre Lavedan souligne ès propos dans un premier chapitre suggestif, consacré aux éléments de la construction : les matériaux et leur mise en oeuvre, la décoration, l'esthétique architecturale (module, proportion, symétrie). Des matériaux traditionnels (pierre et bois) aux matières plastiques, du projet de l'architecte médiéval aux procédés de préfabrication, du tracé régulateur des cathédrales gothiques au module de nos contemporains, l'analyse met en relief la permanence des problèmes qui se posent au constructeur et la diversité des solutions que fournissent l'évolution des techniques et les conditions économiques (transport et main-d'oeuvre par exemple).

    La suite de l'ouvrage est consacrée aux étapes de l'histoire de l'architecture française : Moyen Age (Ve-XV siècles), XVIe siècle, XVIIe et XVIIIe siècles (1600 - vers 1820), architecture moderne (1850-1960). En tête de chaque partie, Pierre Lavedan dégage judicieusement les conditions d'ensemble qui contribuent à justifier la périodisation adoptée : les facteurs généraux (politiques, sociaux, économiques, techniques, culturels) interviennent sur l'évolution des formes dans la mesure où ils conditionnent en bonne partie la fonction des édifices, les possibilités des modes de construction, la condition des architectes et tout un système de représentation et d'aménagement de l'espace. Il est par exemple impossible de comprendre l'architecture médiévale sans tenir compte de la force du sentiment religieux à cette époque ; les particularités régionales de l'art roman se développent à la faveur du morcèlement territorial qu'entraîne le régime féodal ; l'épanouissement du gothique est lié à la renaissance urbaine ; les guerres d'Italie révèlent à la France des formes nouvelles ainsi qu'une autre conception de l'existence : l'hégémonie royale au XVIIe siècle impose des structures institutionnelles à l'architecture ; par suite des progrès techniques accomplis au cours du XIXe siècle, « les procédés de la construction ont plus changé dans les cent cinquante dernières années que précédemment en vingt siècles ».

    A l'intérieur de ces larges subdivisions chronologiques, l'auteur s'attache ensuite à faire apparaître la physionomie propre des phases qui les constituent. A l'aide d'exemples abondants et significatifs, il définit enfin les différents styles tels qu'ils se manifestent dans l'architecture religieuse (cathédrales, églises, monastères, hôpitaux) et dans l'architecture civile (palais, châteaux et jardins, habitations, monuments publics). Sur ce dernier point, nous nous permettons de signaler l'intérêt tout particulier des chapitres concernant l'urbanisme et l'architecture urbaine : l'auteur de la grande Histoire de l'urbanisme y évoque de façon exemplaire l'adaptation de la création artistique aux exigences de la vie même.

    Peut-être aurait-on souhaité quelques développements supplémentaires sur certains points, sur l'architecture militaire, par exemple, et notamment sur son développement aux XVI' et XVIIe siècles ; sans doute M. Pierre Lavedan a-t-il estimé que l'art de la fortification était plus le fait d'ingénieurs que d'architectes. On pourra regretter aussi que, de parti délibéré, M. Lavedan ait renoncé à parler des architectes contemporains encore vivants : on eût aimé savoir si, aux yeux de l'historien, il y avait rupture avec l'héritage du passé, ou au contraire simple renouvellement d'une tradition dont il nous a fait suivre le cours tout au long de quinze siècles.

    L'avant-propos signale que l'ouvrage se compose de deux parties : le texte d'une part, les illustrations et leurs notices d'autre part. C'est à Mlle Simone Goubet qu'on est redevable de cette seconde partie, à laquelle une mention toute particulière doit être faite. On a trop souvent à regretter que des textes de valeur soient assortis d'une iconographie insuffisante, ou au contraire encombrés d'une illustration flatteuse mais inutile, pour ne pas être sensible à l'équilibre atteint dans cet ouvrage, même si, au premier abord, cette énorme masse documentaire apparaisse presque décourageante par sa richesse. On devine le travail de recherche que représente la sélection de ces 1160 photographies dont aucune n'est indifférente ni gratuite. L'intelligence et la science qui ont présidé à leur choix se retrouve dans les notices qui les accompagnent. Ses illustrations apportent au texte de M. Lavedan un complément analytique et monographique indispensable : elles commentent, éclaircissent, définissent. Tantôt elles isolent un élément de la construction, tantôt elles situent l'édifice dans son contexte urbain ou rural. Elles font naître de surcroît, par des rapprochements frappants, toute une typologie. En marge du texte, dont elles suivent l'enchaînement rigoureux, ces images se lisent d'elles-mêmes.

    L'ouvrage est complété par des annexes substantielles. Nous avons déjà mentionné les notices explicatives des illustrations. Elles suivent le plan de M. Pierre Lavedan et comportent les renvois au texte nécessaires (p. 668-774). 86 plans et coupes, exécutés à la même échelle sont pour la plupart empruntés aux publications de la Société française d'archéologie, et aux ouvrages de R. de Lasteyrie et de M. Dumolin (p. 765-784). L'index des termes techniques comporte des définitions et des renvois au texte (p. 785-788). On pourra regretter que la bibliographie sommaire ne comporte pas de titre postérieur à 1947 et ne retienne pas les ouvrages plus récents signalés seulement en bas de page (p. 789-790) ; enfin une table alphabétique des noms de lieux sert d'index aux illustrations (p. 791-796).

    Grâce à la solidité du fond, à la clarté du style, à la richesse des perspectives suggérées et à la qualité de l'illustration, cette vaste synthèse atteint un double but : elle fournit d'une part aux chercheurs une histoire générale et maniable de l'architecture française dont la lacune se faisait sentir ; elle est d'autre part facilement accessible à un public beaucoup plus vaste et non spécialisé, à qui elle permet de s'initier à cette histoire sous la conduite d'un maître à la méthode très classique.