En choisissant pour thème de cette journée « B.U. et documentation », nous ne faisons pas double emploi avec les innombrables colloques, séminaires... sur la documentation car les besoins auxquels les B.U. ont à répondre sont très différents de ceux d'un centre de documentation classique. Pour vous faire toucher du doigt cette différence, je prendrai l'exemple du service de documentation du centre de recherche Saint-Gobain à Pont-à-Mousson, qui n'est pas spécialisé, les productions de la Société étant très diverses.
La Société emploie 160.000 personnes dont 12.000 cadres, 3.000 chercheurs. Le centre est abonné à 400 revues toutes en langue anglaise, si ce n'est quelques-unes en langue allemande, la Société étant implantée en Allemagne et dans l'Est de la France. Les revues dans des langues non lues couramment sont écartées. Sur ces 400 revues, représentant un budget de 120.000 F, 40 sont de la littérature secondaire, c'est-à-dire des sommaires du type Current contents.
La dernière des B.U. de France a un budget et un personnel supérieur à ce service desservant 3.000 chercheurs et 12.000 cadres.
Comment travaille-t-on ?
Avec de grandes fiches comportant un descripteur très général du type « corrosion », « Traitement biologique de l'eau » ; suivent des titres d'articles. Le but est qu'à la lecture de ces titres se produisent dans l'esprit du chercheur des rapprochements débouchant sur une innovation et l'on comprend qu'il règne à ce service un esprit anti-informatique, la machine ne redonnant que ce que l'on a mis dedans, c'est-à-dire du connu, 'lors même que ce que l'on recherche n'existe pas encore. M. Pelletier m'a déclaré : « l'on peut travailler tant que l'on n'a pas d'ordinateur ».
Deux cents innovations, en moyenne, sont recensées chaque année, dont une centaine brevetées. Les autres sont tenues secrètes. Le résultat est concluant. Mais imaginons qu'un directeur de B.U. aligne ses méthodes sur celles qui viennent d'être décrites, cela ferait un beau scandale.
En conclusion, il nous faut penser la documentation dans nos B.U. tout autrement que celle d'un centre de documentation classique.
Pour répondre aux besoins de l'Université, la B.U. de Metz s'est efforcée d'acquérir un équipement bibliographique complet ; nous y consacrons chaque année plus de 100.000 F. Il résulte de notre expérience que le Service des bibliothèques devrait souscrire d'office à toutes les bibliographies paraissant en France, tout particulièrement au Bulletin Signalétique qui a des partisans et des détracteurs et en faire l'envoi d'office aux B.U. et imposer l'achat d'un certain nombre de bibliographies étrangères et de catalogues de bibliothèques.
Pourquoi le terme « imposer » : trop souvent l'universitaire français ne voit que sa spécialité au sens étroit du terme. Il connaît tout ce qui paraît dans son domaine, il connaît tous les spécialistes, ceux-ci lui envoient des tirés à part. Il préférera un abonnement à telle revue hautement spécialisée plutôt que l'achat d'une bibliographie. Pendant longtemps, à Metz, les universitaires se sont opposés à ce que nous achetions le catalogue de la Bibliothèque Nationale. Les opposants à l'acquisition de l'Encyclopaedia of Chemical technology ont été les chimistes eux-mêmes. Personnellement, je regrette la disparition du « Service d'Information Bibliographique ». Il faut également initier les lecteurs au maniement des bibliographies, l'ignorance est souvent totale. En conseil de B.U. un éminent juriste, directeur de thèse, a déclaré qu'il n'existait aucune bibliographie en sciences juridiques. J'ai fait venir Mlle Lhéritier, de la Bibliothèque Nationale, les responsables du Bulletin Signalétique du C.N.R.S., Mme Rambaud viendra le 15 de ce mois parler des bibliographies dans le domaine des sciences juridiques. Il faudrait que le Service des bibliothèques organise des cycles de conférences bibliographiques, qu'il envoie régulièrement en province ses meilleurs spécialistes en chaque domaine, c'est mon deuxième souhait.
La documentation, c'est aussi l'aide au lecteur. Nos bibliothèques sont plus riches qu'on ne se l'imagine. J'ai souvent évité des demandes de prêt-inter en interrogeant le lecteur sur les raisons qui lui faisaient demander tel livre. En fait, il voulait une information qui se trouvait dans des outils très simples, grands traités, dictionnaires... J'ai toujours rêvé qu'une association de consommateurs teste les bibliothèques en posant une question dont la réponse serait dans une encyclopédie.
Une des supériorités d'un centre de documentation classique, c'est que le lecteur n'est pas abandonné à lui-même, qu'il dialogue avec le documentaliste. Dans le privé, le documentaliste est aussi souvent chargé des relations publiques. Profitons de notre misère et de la rareté des livres à cataloguer pour sortir de nos bureaux et dialoguer avec les lecteurs.
La documentation proprement dite :
A Metz, à côté des fichiers auteurs, matières, systématiques officiels des ouvrages de la BU., existe un fichier auteurs-matières, type Biblio. Dans un premier temps, nous y avons rangé les fiches SIB des livres non commandés. Nous y avons intercalé les fiches de l'I.N.R.D.P. en refaisant les mots matières trop généraux, les fiches matières de thèses non reçues. En outre, nous avons fait faire, tout particulièrement à la B.N.U.S., la photocopie de certaines fiches, ex. Mécanique des fluides, Luxembourg, Pascal (Biaise) ... Nous y intercalons les fiches venant d'autres bibliothèques.
Nous dépouillons des périodiques. Les dépouillements sont grandement fonction des demandes de nos lecteurs. Nous intercalons dans ce fichier les fiches de dépouillement envoyées par la B.U. de Limoges.
Tels numéros de la revue Europe, l'Arc, Oblique, Notes et Etudes documentaires... valent des livres. Ne pas faire de fiches, c'est passer à côté de la source la plus complète, la plus récente.
L'idée de ce fichier m'est venue en visitant la Public Library de New York. Les fiches de dépouillement sont intégrées au fichier général, elles sont manuscrites, il ne semble pas y avoir de normes pour la notice. J'ai été surpris du service qu'elles rendaient. Mais dans le cas précis de Metz, j'ai jugé que nos fichiers étaient suffisamment lourds, qu'ils étaient régis par des règles. Pour les articles de presse, l'auteur est rarement porté. Si le mot matière correspond au titre, celui-ci n'est pas reproduit. Ex : Titre art psychédilique. La fiche comportera seulement Art psychédilique comme matière et la référence. Vous allez objecter à l'encontre du travail de dépouillement qu'il existe des bibliographies. J'ai dit plus haut leur importance, mais la documentation c'est l'exploitation des documents existant sur place, directement accessibles sans passer par le prêt-inter et surtout récents.
Divers organismes diffusent des fiches : Sciences Po, l'I.N.R.D.P. Au Québec, un certain nombre de revues ont été sélectionnées. Toutes les bibliothèques se doivent de les posséder. Ces revues sont dépouillées à la Bibliothèque de l'Université de Laval qui diffuse les fiches. En France un certain nombre de revues se trouvent dans toutes les bibliothèques. Il est souhaitable d'envisager la mise sur pied d'un tel système, soit en rentabilisant l'excellent travail de dépouillement que fait la B.U. de Limoges, soit en nous répartissant ce travail par discipline. L'expérience prouve que les revues dépouillées sont des revues utilisées.
Les dossiers.
Au départ, les dossiers ont permis de résoudre le problème de la conservation de tout ce qui n'était pas livre, qui tenait mal sur les rayons ou risquait d'être volé à cause de leur petit volume :
Nous les avons classés dans des dossiers suspendus selon la C.D.U. Les documents ne sont pas catalogués, il y a seulement un fichier matière renvoyant à des cotes C.D.U. Ces dossiers ont pris de l'extension, nous y avons intégré des coupures de presse, des photocopies d'articles et surtout nous avons fait des dossiers d'articles correspondant aux questions au programme de la licence, du CAPES, et de l'agrégation. La B.U. est abonnée à très peu de revues de lettres (ce qui lui permet en échange d'acheter davantage de livres).
Ces dossiers composés de photocopies demandées à d'autres bibliothèques connaissent un vif succès et économisent à nos lecteurs des heures de déplacement, de 8 recherche, ils économisent à la préposée au prêt-inter à avoir à demander plusieurs fois la même photocopie d'un article.
Constituer ces dossiers, dépasse les possibilités d'une petite B.U., voire d'une grande, par insuffisance de personnel et aussi absence de spécialiste en toutes les disciplines. Il faudrait que les B.U. se répartissent les matières. Par exemple : que la B.N.U.S. rassemble et diffuse les articles au programme de l'agrégation d'allemand, que la B.I.U. Toulouse rassemble et diffuse les articles au programme de l'agrégation d'espagnol. Nous rejoignons ici le problème du dépouillement des revues, il faudrait spécialiser nos B.U.
Qui sait quoi, qui recherche quoi ?
Un conservateur, c'est quelqu'un qui rencontre chaque jour des dizaines de personnes et dans les mains duquel passent des centaines de documents. Le problème est alors de donner le livre approprié à l'homme approprié : the right book to the right man, comme disent les anglo-saxons. J'arrive à rendre quelques services en ayant un fichier dans le tiroir gauche de mon bureau avec le nom de la personne, son centre d'intérêt, son adresse, son numéro de téléphone. Par exemple : Un professeur de géographie fait un travail sur la vigne en Moselle. En feuilletant un guide sur les richesses artistiques de la Moselle édité à l'époque allemande, j'ai trouvé une douzaine de réclames de maisons de Champagne localisées à Metz avec photo ou dessin de ces établissements. (Il y a 50 ans, la Lorraine était une autre Champagne). J'ai immédiatement téléphoné à ce professeur.
Un ingénieur désirant faire une thèse, vient à la B.U. consulter le Bulletin Signalétique sur le Laitier. Quelques jours après, je rencontre le documentaliste de l'IRSID qui me dit avoir une énorme documentation sur le sujet. Par malheur, j'avais omis de prendre les coordonnées de cet ingénieur. Huit jours après, je l'ai reconnu et j'ai établi une fiche et mis en relation avec l'IRSID.
Mieux qu'un fichier dans le tiroir de mon bureau, je rêve comme à la Bibliothèque de l'Université Laval d'un grand tableau mural avec des fiches classées en C.D.U. avec en clair à côté le sujet de recherche ou la spécialité et dans la partie cachée de la fiche, le nom et l'adresse de la personne.
La documentation ce n'est pas d'abord l'ordinateur, c'est la mise en relation avec quelqu'un capable d'expliquer tel théorème, de renseigner sur tel problème en quelques minutes. J'aurais beaucoup d'anecdotes à conter sur ce sujet. La meilleure façon de connaître les spécialités des universitaires d'un campus serait de rassembler leurs publications. Il faudrait qu'il y eut obligation de déposer à la BU. un tiré à part de tout article.
Le conservateur devrait être celui qui met les chercheurs en contact les uns avec les autres. Même sans ordinateur, et sans crédit, nous pouvons le faire. Des dizaines de lettres de remerciement témoignent de la reconnaissance de nos lecteurs qui se concrétise aussi par des dons.
Si j'avais plus d'argent, j'achèterais un miracode, appareil qui permet d'emmagasiner à la fois l'article sous forme de microfilms et de faire une sélection automatique. On peut savoir immédiatement si l'article vous intéresse et en tirer une photocopie. Si j'en avais un je travaillerais en étroite collaboration avec les universitaires, ce sont eux qui sélectionneraient les articles à archiver et indiqueraient les descripteurs. Le travail technique serait fait par la B.U. La travail bibliographique ne serait pas perdu. Un professeur donne depuis dix ans à ses étudiants des travaux sur le minerai de fer, un autre sur la vigne, chaque chercheur reprend chaque fois le travail à zéro.
Chaque point mériterait un développement d'une heure et plus. Ma façon de travailler est discutable à l'infini. Mais ce qui ne l'est pas, c'est la nécessité d'une coopération entre bibliothèques universitaires
Même si nos crédits doublaient, voire triplaient, les problèmes resteraient entiers si nous continuons à vivre repliés sur nous-mêmes. Il faut que la coopération soit organisée. L'échange de fiches entre la B.U. de Metz et celle de Limoges, est du bricolage, de même que la constitution des dossiers. L'effort est disproportionné par rapport au résultat. Telle année, il n'y eut que trois candidats à l'agrégation de géographie, deux furent reçus, c'est une consolation.
Il faut une Direction des bibliothèques donnant des directives. Cette direction n'est pas une revendication corporatiste mais une condition de notre efficacité, et lorsque nous aurons prouvé notre efficacité, l'argent nous viendra.