Essais politiques : quelle politique documentaire ?

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Question

Bonjour, je souhaiterais quelques précisions sur la notions de "censure", à partir d'un cas pratique : le fait d'écarter systématiquement des acquisitions des témoignages politiques très médiatisés à faible contenu analytique (exemple récent en librairie actuellement), mais très demandé par le lectorat, constitue t-il un censure ? Je précise que notre bibliothèque, de taille modeste, ne peut acheter qu'une 30e de documents en "300" par an. De plus, l'achat de tels ouvrages ne suppose t-il pas d'acheter en même temps un ouvrage d'un autre bord politique ou aux thèses opposées ? (d'où un double problème de coût). Mais d'un autre côté, Bertrand Calenge, sur son blog, indique que "le jeu des exclusions successives risque d’enfermer les collections en une sorte de bibliothèque idéale, qui a tôt fait d’osciller entre pensée convenue et pays des Bisounours ; ce faisant la bibliothèque se ferme face aux doutes, débats, tension qui animent le monde". Avez-vous un avis sur la question ? Je vous remercie

Réponse

Date de la réponse :  06/01/2015

Vous souhaitez obtenir des conseils à propos de l'acquisition de témoignages politiques.
Nous ne sommes pas en mesure de vous donner un conseil ou un avis en la matière, mais nous pouvons vous indiquez des textes et documents qui vous aideront à prendre une décision.

Votre question concerne la politique documentaire et la déontologie.
Bien qu'elle se prête à l'interprétation, les règles de déontologie sont encadrées par des textes, dont la Charte des bibliothèques :
"Article 7 :
Les collections des bibliothèques des collectivités publiques doivent être représentatives, chacune à son niveau ou dans sa spécialité, de l’ensemble des connaissances, des courants d’opinion et des productions éditoriales. Elles doivent répondre aux intérêts de tous les membres de la collectivité à desservir et de tous les courants d’opinion, dans le respect de la Constitution et des lois. Elles doivent être régulièrement renouvelées et actualisées."
Source : Charte des bibliothèques. adoptée par le Conseil supérieur des bibliothèques le 7 novembre 1991 : http://www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/documents/1096-charte-des-bi...

Le Code de déontologie du bibliothécaire indique quant à lui :
"2. la collection :
Le bibliothécaire favorise la réflexion de chacun par la constitution de collections répondant à des critères d’objectivité, d’impartialité, de pluralité d’opinion. Dans ce sens, il s’engage dans ses fonctions à ne pratiquer aucune censure, garantir le pluralisme et l’encyclopédisme intellectuel des collections"
Source : Code de déontologie du bibliothécaire. adopté lors du conseil national de l’Association des bibliothécaires français le 23 mars 2003 http://www.abf.asso.fr/6/46/78/ABF/code-de-deontologie-du-bibliothecaire...

Le pluralisme est avec l'encyclopédisme un principe sur lequel s'appuyer lors des sélections d'acquisition ; l'association des bibliothécaires de France (ABF) le définit ainsi :
"Le pluralisme est une conception qui affirme, par principe, la légitime diversité des individus, des opinions, des savoirs, et des pensées. Cette définition fait écho aux termes d’éclectisme, d’encyclopédisme, d’universalisme et à la notion de tolérance qui sont les fondements de la déontologie du bibliothécaire. Parce que le pluralisme consiste, non pas à utiliser la bibliothèque comme instrument de propagande, mais à assurer la représentation de la plus grande variété possible de sujets, de cultures, d’auteurs, de styles..., il concourt grâce à une information multiple à développer le sens critique du lecteur et non à l’embrigader.
Dans le domaine politique, la bibliothèque doit donc présenter la plus grande diversité des mouvements, des idées, et accompagner de textes critiques les documents émanant des différentes tendances politiques : à défaut de pouvoir le faire avec toute la largeur de vue nécessaire, il peut être préférable de renoncer à proposer non pas des ouvrages sur la politique, mais les titres prosélytes ; il est par ailleurs évident que la bibliothèque n’a pas vocation à offrir dans ses collections un miroir documentaire des résultats électoraux nationaux ou locaux : la collection se doit d’être un encouragement au débat partagé. Ainsi, l’œuvre d’un romancier ne peut être estimée qu’à l’aune de sa valeur créative, comme les documents scientifiques (sciences pures, sciences humaines, sciences sociales) n’ont pour référence que la reconnaissance de la communauté scientifique."
Source : Où situer le pluralisme ? Association des bibliothécaires de France http://www.abf.asso.fr/6/144/50/ABF/ou-situer-le-pluralisme-?p=1&p2=0

Ainsi, si la représentation de tous les courants d'opinion est un principe sur lequel bâtir sa politique d'acquisition, l’environnement, le contexte, le public, les objectifs et les moyens financiers sont d'autres aspects qui régissent la politique documentaire d'une bibliothèque. Chaque élément pondère les autres. La définition d'une politique documentaire et surtout des critères de sélection est forcément subjective. C'est ce qu'explique l'ABF dans sa politique d'acquisition en 12 points : http://www.abf.asso.fr/6/144/49/ABF/la-politique-d-acquisition-en-12-poi...

Il est donc nécessaire de se poser ces questions une fois pour toutes en équipe et d'y répondre clairement dans des documents procéduriers pour les acquéreurs et dans une charte pour le public. N'oubliez pas qu'une politique documentaire comprend certes une politique d'acquisition, mais également une politique de désherbage.

Pour illustrer notre propos, voici un extrait du manuel Les politiques d’acquisition :
"La décision d'acquisition est particulièrement délicate; c'est à ce stade que les collections vont s'enrichir, en conservant autant que possible une cohérence dans leur diversité, en respectant aussi bien les objectifs de la Charte des collections que ceux de Plan de développement des collections (PDC). [...] L'acquéreur veille aux grands équilibres budgétaires du PDC. [...] L'acquéreur veille aussi au suivi des demandes du public : demandes réelles et exprimées bien sûr, mais aussi réactions et analyses des [besoins...]."
Source :
CALENGE, Bertrand. Les politiques d’acquisition : constituer une collection dans une bibliothèque. Paris : Éd. du Cercle de la librairie, 1994. Pages 78-79.

L'inspecteur général des bibliothèques Jean-Luc Gautier-Gentès réfléchit à ces questions dans le livre Une république documentaire, dont voici quelques extraits :
Page 26 : "Du dilemme : "Que faut-il acheter ?", avec son corollaire : "Si j'achète des publications favorables à un parti, il conviendra que j'achète des publications favorables à tous les partis", je prétends qu'un bibliothécaire a le droit de sortir en répondant : "rien; je ne mettrai pas le doigt dans cet engrenage."
Page 27 : "dès lors que vous ouvrirez vos collections à la politique, vous l'ouvrirez à toutes les idéologies."
Page 148 : "Pour partie il dépend des bibliothèques de remplacer le pluralisme de principe par un pluralisme effectif."
Source : GAUTIER-GENTÈS, Jean-Luc. Une république documentaire : lettre ouverte à une jeune bibliothécaire et autres textes. Paris : Bibliothèque publique d’information-Centre Pompidou, 2004.
 
Pour obtenir des réponses plus concrètes, vous pouvez poser votre question sur le forum Agorabib http://www.agorabib.fr/ .

Enfin, vous pouvez consulter de nombreuses chartes de bibliothèque et plans de développement des collections sur le site Poldoc http://poldoc.enssib.fr/ .
 

Cordialement,

Le service Questions? Réponses! de l'enssib

MOTS CLES : Collections : Politique documentaire