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    Les publications officielles

    Littérature grise

    Par Geneviève Boisard

    L'accès universel aux publications, après le contrôle bibliographi- que universel, est un des grands programmes des bibliothèques. On s'est rapidement aperçu en effet que les bases de données les plus performantes et les plus complètes n'étaient que de peu d'intérêt s'il n'était pas possible de se procurer rapidement et facilement les docu- ments qu'elles signalent.

    Parmi la masse documentaire toujours croissante certains types de publications sont particulièrement difficiles à identifier et à retrouver. Il en est ainsi de tout ce qu'on a pu appeler la littérature grise, rap- ports de recherche ou de congrès, travaux à diffusion limitée, mais également publications officielles.

    Il peut paraître paradoxal d'assimiler à la littérature grise toute une production intéressant virtuellement dans notre pays cinquante qua- tre millions de citoyens. Il est en effet indispensable en démocratie de connaître l'activité du gouvernement que ce soit pour la contrôler ou se soumettre à ses décisions. Chacun connaiît le Journal officiel même s'il n'a pas toujours eu l'occasion de le lire, mais la production officielle dépasse de beaucoup cet illustre exemple.

    Et d'abord qu'est-ce qu'une publication officielle ?

    En France on avait retenu deux critères principaux de définition. Pre- mièrement ce qui a été fait « sur ordre et aux frais de l'administra- tion à tous les niveaux, deuxièmement ce dont l'administration recon- naît la paternité, c'est-à-dire les publications où figure la mention de sa responsabilité. Un essai de définition de la section des publica- tions officielles de l'IFLA retient l'origine officielle du document, et sa diffusion en dehors du service qui l'a produit. Ces critères qui parais- sent assez simples ne sont pas toujours faciles à dégager que ce soit sur l'origine du document ou sur sa diffusion. Il faut reconnaître que l'administration s'entend à brouiller les cartes. Nous aurons l'occa- sion d'y revenir.

    Pour retourner à notre paradoxe du début il faut constater que la dif- fusion des publications officielles est loin de correspondre à leur finalité.

    Qui a consulté le budget de l'Etat, pourtant en vente à l'Imprimerie nationale, qui connaît le budget de sa commune, pourtant accessi- ble à tous en principe ? Ces deux documents ont cependant des répercussions importantes sur la vie quotidienne de chacun.

    La première raison à ce phénomène doit être cherchée dans le fait que les publications officielles, qu'elles soient vendues ou gratuites, cas le plus fréquent, échappent aux circuits commerciaux de l'édition.

    En effet, même quand elles sont vendues, leurfinalité n'est pas la vente. Il s'agit le plus souvent de publication obligatoires, de sous-produits de l'activité des pouvoirs publics que leur origine semble entacher de quelque tare les rendant impropres à la commercialisation. Cela est si vrai qu'on peut citer de nombreux exemples de rapports du Sénat ou de l'Assemblée, vendus parcimonieusement par les Journaux offi- ciels au prix symbolique de deux francs, qui deviennent des succès de librairie une fois qu'ils sont diffusés par un éditeur commercial à un prix six ou sept fois plus élevé. Il arrive également que des rap- ports officiels publiés à la Documentation française fassent, une fois épuisés à la maison mère, une seconde carrière dans une collection de poche.

    Adiré vrai, à part quelques exceptions, dont la principale est la Docu- mentation française justement, l'administration française n'est pas équi- pée pour la vente. Vendre coûte cher et demande une infrastructure.

    De plus jusqu'à une date récente le produit de la vente retournait au Trésor public et ne revenait pas au service vendeur. Aussi le plus sou- vent les publications sont-elles distribuées gratuitement à des listes de destinataires toujours les mêmes, et n'ont qu'assez peu de chan- ces d'atteindre les lecteurs intéressés.

    En règle générale ces publications sont produites par des amateurs, peu au courant des règles de l'édition et ce qui est tout aussi grave des règles administratives, du dépôt légal par exemple. Elles sont pro- duites de façon incroyablement dispersée, soit grâce aux maisons d'éditions officielles, Imprimerie nationale, Journaux officiels, Docu- mentation française, soit par les services producteurs, administrations, établissements publics, voire associations selon la loi de 1901 créées pour la circonstance, après avoir été imprimées soit par des impri- meurs privés, soit par des imprimeries intégrées au sein même de l'ad- ministration. Ceci qui est vrai pour l'administration centrale de l'Etat l'est tout aussi pour les collectivités locales, régions, départements ou communes.

    S'il est difficile pour un particulier, surtout habitant la province, de se procurer les publications officielles à moins d'en faire chaque fois la demande au service producteur, à la condition néanmoins de l'avoir identifié, peut-il au moins les trouver dans les bibliothèques ?

    Il faut ici regretter et s'étonner que tout en reconnaissant à tous le droit d'accès aux documents administratifs l'Etat ne se soit pas préoccupé de créer en France de dépôts de ses publications dans les bibliothè- ques comme cela existe aux Etats-Unis et au Canada. Dans ces deux pays tout un réseau de bibliothèques universitaires ou publiques reçoit en dépôttoutou partie de la production fédérale à charge de la ren- dre accessible aux citoyens. Selon les cas les bibliothèques déposi- taires sont soit astreintes à conserver indéfiniment les publications offi- cielles, soit libres de s'en défaire au bout d'un temps déterminé. On nous assure que ce système fonctionne au bénéfice de tous et à la satisfaction générale.

    En France me direz-vous il y a le dépôt légal et les publications offi- cielles sont au moins conservées à la bibliothèque nationale. Cela est vrai, mais le dépôt légal est loin d'être toujours spontané. Il doit être surveillé très étroitement même surtout pour les publications lar- gement diffusées. C'est ainsi que nous avons dû réclamer récemment fa brochure d'information sexuelle intitulée :« J'aime, je m'informe » distribuée gratuitement dans les lycées, le bilan du mandat de Jac- ques Chirac pourtant largement annoncé dans la presse et à la télé- vision, de même que le « Guide du contact » édité par les P.T.T., dis- ponible dans tous les bureaux de poste et tiré à 3.200.000 exemplaires.

    Personne n'avait jamais pensé que ces publications dussent être dépo- sées, probablement du fait qu'elles aient été gratuites. En principe la Bibliothèque nationale n'est pas la seule bibliothèque à recevoir les publications officielles par dépôt.

    La loi de 1881 sur les publications administratives a prévu qu'elles doi- vent être déposées à l'Assemblée nationale et au Sénat. L'imprime- rie nationale effectue également une sorte de dépôt aux Archives nationales.

    Recevant le dépôt légal en quatre exemplaires la Bibliothèque natio- nale en redistribue un certain nombre dans d'autres bibliothèques : la bibliothèque administrative de la Ville de Paris reçoit ainsi en attri- bution un grand nombre de publications administratives, en particu- lier les bulletins officiels de Ministères et les publications régionales ou locales.

    Depuis 1980 le Centre de prêt reçoit un exemplaire de tout le dépôt légal et donc de toutes les publications officielles déposées et peut en assurer le prêt à toute bibliothèque. Les grandes bibliothèques se procurent également les publications officielles soit par acquisition, soit souvent pardon. Enfin les archives possèdent elles aussi des col- lections importantes de publications officielles. A Paris les mission- naires des archives dans les administrations centrales collectent de plus en plus à la source les publications des administrations. Ces col- lections, autrefois conservées à la bibliothèque administrative des Archives nationales, viennent d'être transférées à la cité des archi- ves contemporaines à Fontainebleau. Dans les archives départemen- tales, à côté des fonds d'archives proprement dits, figure générale- ment une bibliothèque alimentée entre autres par le dépôt adminis- tratif des périodiques.

    Comment peut-on acquérir les publications officielles ?

    Nous l'avons vu, la méthode la plus commune est le dépôt légal pour les bibliothèques à qui il est dû. Mais il ne faut négliger ni les acquisi- tions, ni les dons. En général les acquisitions vont de préférence aux publications de la Documentation française ou de l'Insee. J'ai sou- vent entendu les responsables de la Documentation française s'in- quiéter de la baisse des crédits des bibliothèques tant il est vrai que celles-ci sont des clients importants. Ceci étant il ne faut pas oublier que bon nombre de publications officielles sont gratuites et qu'il suf- fit de les demander. Ce qui n'est pas négligeable en temps de crise.

    Il reste que pour acquérir des publications il faut en connaître l'exis- tence, et c'est là que gît la difficulté. Les publications vendues sont déjà assez peu signalées, certaines figurent dans les annonces de Livres-Hebdo. Il s'agit principalement de celles de la Documentation française, de l'Insee, des principaux établissements publics comme le CNRS ou l'ORSTOM. Au Journal officiel sont signalées les publi- cations des assemblées parlementaires, de la Documentation fran- çaise, de l'Imprimerie nationale. Certains services ont leur propre cata- logue de vente dont la liste a été dressée par la CCDA.

    Enfin il existe des bibliographies.

    La plus complète est sans conteste le Supplément Il de la Bibliogra- phie de la France. On peut regretter que les délais d'annonce d'une publication y soient trop longs, mais à coup sûr ils ne sont pas supé- rieurs à ceux des bibliographies nationales étrangères. Il faut signa- ler que ce supplément fait depuis 1983 l'objet d'un enregistrement sur ordinateur, ce qui a permis de lui donner les index titres et matiè- res qui lui manquaient. Le Bulletin signalétique d'information administrative de la Documen- tation française a fait suite à la Bibliographie sélective. Il dépouille les plus grandes revues administratives et les documents parlemen- taires. Produit à partir de la base BIBLIOS de la BIPA, il est interro- geable en ligne et comprend des références à des publications à dif- fusion restreinte que la BIPA diffuse sous forme de microfiches sur demande.

    Il faut ajouter à ces bibliographies courantes un certain nombre de listes d'acquisition produites par des bibliothèques administratives. On peut citer celles de la Bibliothèque administrative de Paris ou de Sciences Po. Certains centres spécialisés produisent des bibliogra- phies centrées sur un domaine particulier, comme Références pour tout ce qui concerne l'urbanisme, la construction ou l'aménagement, emploi-formation, etc...

    Des répertoires signalent les publications officielles de série. La CCDA a publié deux éditions de son Répertoire des publications officielles de l'administration française, et prépare une troisième édition. Naturellement les publications officielles sont mentionnées dans le Répertoire de la presse et dans le Supplément 1 de la Bibliographie de la France, mais elles y sont regroupées par sujet avec les autres publications et ne font pas l'objet d'une série distincte. Il faut faire ici une mention spéciale du rôle que souhaite jouer la Docu- mentation française en matière d'accès à ce que nous appelons la littérature grise émanée des administrations.

    La CCDA la première avait mis l'accent sur le gaspillage de ressource de matière grise que représentait la sous-utilisation des rapports de recherche élaborés sous contrat à la demande de l'administration. Plusieurs projets avaient été élaborés successivement, le premier bap- tisé Recours, ou recherches en cours, le deuxième Indit. Ces projets n'ont pas pu être mis en œuvre pour diverses raisons, la principale étant que les crédits nécessaires n'ont pas été dégagés. Les mauvai- ses langues disant en outre que les chercheurs ne souhaitaient pas particulièrement qu'on puisse mettre en regard les sommes consa- crées aux contrats de recherche et les résultats pratiques auxquels ils avaient abouti.

    Toujours est-il que la Documentation française et plus spécialement la BI PA, a entrepris de collecter par un jeu de correspondants ou par des enquêtes les documents non diffusés élaborés au sein d'un cer- tain nombre d'administrations centrales, de les cataloguer pour sa base bibliographique Biblios, de les microficher et de les rendre ainsi accessibles sous forme de références et de microformes.

    La responsable de ce secteur à la BIPA me faisait l'autre jour une remar- que particulièrement intéressante en soulignant combien il était diffi- cile de distinguer d'après la présentation des documents que l'on envoyait ce qui était littérature grise et ce qui ne l'était pas, ce qui avait été diffusé et ce qui était resté interne bien que non confiden- tiel. On rejoint ici ce que je disais au début du caractère « gris » de la plupart des publications officielles.

    Quoiqu'il en soit, qu'elles soient fondées sur le dépôt légal, comme les bibliographies établies par la Bibliothèque nationale, sur des enquêtes auprès de l'administration, comme celles de la CCDA, ou des réseaux de relations, aucune de ces bibliographies ne peut se targuer d'être exhaustive. Seul le hasard des relations peut souvent faire connaître l'existence de telle ou telle publication après quoi il ne reste plus qu'à déployer des prodiges de diplomatie pour en deve- nir possesseur.

    Plus un document est multiplié, parfois à des millions d'exemplaires plus sa conservation est hasardeuse. Aussi je voudrais aborder main- tenant le point le plus important de cet exposé : que peuvent et doi- vent faire les bibliothèques en ce domaine ? Il me semble qu'elles ont un rôle fondamental à jouer sur deux points : la collecte des publi- cations officielles et la communication des documents administratifs.

    Tout d'abord la collecte des publications officielles. A Paris, entre gran- des bibliothèques administratives nous faisons de notre mieux, aussi pouvons-nous espérer que les publications de l'administration cen- trale sont à peu près collectées et conservées. Mais nous ne pou- vons en aucun cas savoir ce qui se publie en province dans les diver- ses collectivités régionales et locales, sauf en ce qui concerne les grandes séries régulières de rapports, budgets et comptes, et encore... Nous ne pourrons assurer convenablement la conservation de tout ce que produisent les pouvoirs publics à tous les niveaux que par un réseau de collecte cohérent et organisé. Bien sûr il y a le dépôt légal imprimeur, mais il ne répond qu'imparfaitement à mon propos.

    La collecte des publications des administrations dépasse celle de la production des imprimeries. Il faudrait que dans chaque région, cha- que département, chaque ville, la bibliothèque municipale se charge de réunir les publications de la région, du département, de la ville, soit seule soit en liaison avec d'autres organismes, centres de docu- mentation de Préfecture ou archives, et cela par une politique dyna- mique de recherche des documents, au besoin auprès des services producteurs.

    Par ailleurs je n'ignore pas que les bibliothèques qui ont la charge du dépôt légal imprimeur sont loin d'avoir reçu les moyens nécessai- res pour l'assurerde façon satisfaisante. Il faudrait augmenter de façon sensible le personnel mis à leur disposition pour remplir cette tâche d'intérêt national.

    Ces questions ont été abordées dans le rapport de la Commission sur le patrimoine des bibliothèques qu'a présidée M. Desgraves (1) mais je voudrais y insister davantage, car il me semble que si nous n'unissons pas nos efforts des fonds entiers sont menacés de disparition.

    Nous devrions au contraire constituer un réseau cohérent dans lequel chacun se partagerait la tâche de collecte. Suivant les cas on pour- rait envisager soit que le produit de cette collecte soit envoyé à la Bibliothèque nationale pour catalogage, soit que l'annonce biblio- graphique soit faite immédiatement sur place ce qui serait sans doute plus rapide.

    La deuxième mission fondamentale des bibliothèques a trait à la Com- munication des documents administratifs. On sait que par deux loi de juillet 1978 et 1979 la communication est devenue la règle pour tous les documents non nominatifs et non couverts par le Secret. Depuis cette date les administrations sont tenues de faire paraître des bulle- tins officiels où doivent être publiés les textes qui donnent une inter- prétation du droit positif, tels que circulaires ou instructions et signa- lés les documents non couverts par le Secret et susceptibles d'être communiqués. L'arrêté qui crée ces bulletins indique les lieux où ceux-ci sont acces- sibles au public.

    A l'examen de ces arrêtés on a pu constater que quand les adminis- trations considérées avaient des services extérieurs dans les dépar- tements elles avaient choisi ces services comme lieux de consulta- tion, mais dans certains cas seulement trois, deux, ou même un seul lieu d'accès étaient prévus, à Paris naturellement.

    La CCDA se propose d'améliorer cet état de fait et de demander que l'accès soit rapproché des citoyens même quand ils habitent une petite localité de province. Là aussi on peut regretter l'inexistence d'un pro- gramme de dépôt généralisé dans les bibliothèques. Mais il faut que les bibliothèques se sentent parties prenantes et qu'elles soient cons- cientes de leur rôle à jouer pour faciliter à tous l'exercice de ce droit nouveau à connaître les publications de l'administration. Là aussi nul ne peut faire tout tout seul, mais il faut que nous le fassions ensem- ble. Les bibliothèques se doivent de répondre à cette nouvelle mis- sion, faute de quoi des centres de consultation risquent de se créer en dehors d'elles.

    1. Rapport au directeur du livre et de la lecture sur le patrimoine des bibliothèques in Bulletin des bibliothèques de France, t. 27, n° 12, décembre 1982. retour au texte