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Le centre de prêt de la bibliothèque nationale

1983
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    Le centre de prêt de la bibliothèque nationale

    Par Marc Chauveinc

    On peut directement enchaîner de l'Accès universel aux publica- tions, précédemment décrit, au Centre de prêt de la Bibliothèque nationale puisque c'est pour répondre à cet appel de l'IFLA qu'il a été créé. On devrait dire recréé car il a une longue histoire derrière lui. Son ancêtre le Service central des prêts fut créé en 1839 au Minis- tère de l'Instruction publique pour répondre aux demandes de prêts de manuscrits. Paradoxalement ceux-ci circulaient beaucoup plus que les livres au XIXesiècle. Ceux-ci n'ont été libérés que vers 1935.

    Rattaché à la Bibliothèque nationale en 1921, le Service central des prêts centralisait les demandes étrangères de livres rares et de livres courants et contrôlait la circulation des manuscrits en France et vers l'étranger. Mais la situation a changé depuis et le prêt des ouvrages courants a pris un essor considérable.

    C'est pour répondre à cette demande croissante et obéir aux princi- pes de l'UAP que le Centre de prêt fut créé par l'Administrateur général de la Bibliothèque nationale en 1980. Je ne parlerais pas d'un certain Centre national de prêt qui n'a jamais vu le jour que sur le papier ! Le changement de nom est significatif et répond bien à la mission claire et précise du Centre de prêt.

    Sa première mission est donc de fournir des documents français aux bibliothèques étrangères et d'être leur interlocuteur privilégié. On en voit toute l'importance pour le développement et la diffusion de la culture française, on voit tout l'intérêt pour les bibliothèques étran- gères d'avoir un seul correspondant clair et précis consacré à cette seule tâche ; on voit aussi très bien la raison de son rattachement à la Bibliothèque nationale puisque, parcelle-ci, il dispose de la tota- lité du Dépôt légal soit directement depuis 1980 soit indirectement depuis 1537.

    Sa deuxième mission est de prêter aux bibliothèques françaises. Lié en effet à celles-ci par de nombreux emprunts et par une obliga- tion toute morale, le Centre de prêt ne peut pas ne pas répondre aux demandes françaises. Tout naturellement donc, il en est arrivé à prê- ter à qui le lui demande au point que les demandes françaises sont passées de 25% à 45% des demandes reçues, provoquant à elles- seules une augmentation du volume des demandes (+ 36% en 1 an). Cela prouve bien que le Centre de prêt répond à un besoin réel et doit le développer.

    Sa troisième mission est celle de Dépôt national. Elle découle aussi naturellement des deux précédentes puisque pour prêter il doit cons- tituer des collections à partir de dons qu'il reçoit de toutes parts. Beaucoup de bibliothèques, centres de documentation ou particu- liers cherchentà se débarasser de doubles ou de collections périmées. Par ailleurs, il faut absolument conserver au moins un exemplaire de toute publication existant ou ayant existé en France. Il n'est peut-être pas nécessaire de multiplier les lieux de stockage ni le nombre d'exem- plaires de certains documents peu utilisés. Cela coûte cher et c'est inutile. Le Centre de prêt est donc tout à fait désigné pour rassembler et conserver une collection de recours à la disposition de toutes les bibliothèques françaises.

    La quatrième mission du Centre de prêt qui n'existe encore que par- tiellement pourrait être prise en charge de certaines fonctions liées au prêt interbibliothèques. Par exemple, il est actuellement le correspondant de la BLLD pour la vente des bulletins de prêt, les statistiques et l'échange d'informa- tion. Il pourrait éventuellement vendre les bulletins de prêt français, participer à l'enseignement du prêt interbibliothèques, à la forma- tion permanente, etc.

    Voici maintenant quelques renseignements pratiques sur le Centre de prêt. Il est situé à Versailles dans la Grande écurie du Roi (face au Châ- teau) et possède environ 20.000 mètres linéaires de rayons. Ses collections sont importantes à connaître. Il dispose en principe de tous les documents français :

    • 1) Depuis 1980 inclus, il reçoit un exemplaire de tout livre déposé à la Bibliothèque nationale dans le cadre du Dépôt légal. La couver- ture est presque totale.
    • 2) Avant 1980 il dispose de plusieurs sources qu'il utilise selon le type de document :
      • l'achat. Il peut acheter un livre encore disponible;
      • les dons. Comme indiqué plus haut, il reçoit de nombreux dons (25 à 30 000 livres par an) et conserve un exemplaire de tout ce qu'il n'a pas. De plus il sollicite des dons auprès d'organismes pri- vés éditeurs occasionnels de brochures, rapports et autres docu- ments obscurs, non dans le commerce.
      • la collection de la Bibliothèque nationale. Il dispose en faitde toute ou de presque toute la collection de la Bibliothèque nationale et ceci de plusieurs manières :
        • les doubles (500000 volumes) sont totalement sa disposition;
        • il photocopie les collections de périodiques qu'il ne possède pas ui-mêmet
        • il reçoit un exemplaire des microfiches établies à Sablé pour le plan de sauvegarde, c'est-à-dire de tous les ouvrages indispo- nibles ou hors d'usage à la Bibliothèque nationale;
        • il peut demander lui-même le microfichage de tout document sollicité.

    Il y a là une source considérable pour l'accès au document. La col- lection de la Bibliothèque nationale est énorme et sous réserve du droit d'auteur peut être microfichée. Quand le Centre disposera de moyens nécessaires (caméras et personnel), il pourra constituer une Bibliothèque nationale bis qui, elle sera disponible à l'extérieur. Cette solution implique évidemment l'acceptation de la microfiche par le public et l'existence de lecteurs de microfiches dans les biblio- thèques. Ce sera d'ici peu obligatoire tant ce support présente d'avan- tages pour la diffusion de collections anciennes introuvables ailleurs.

    • les autres bibliothèques. En attendant la constitution de sa col- lection complète, le Centre de prêt doit emprunter d'autres biblio- thèques parisiennes essentiellement, mais aussi en province, uni- versitaires ou municipales qui acceptent de prêter leurs collections.

    Cela fait beaucoup de sources possibles et il est bien rare qu'au bout de compte un document ne soit pas trouvé sous une forme ou sous une autre.

    Comment fonctionne le Centre de prêt? L'équipe de choc qui reçoit les demandes est à Versailles, proche des collections. Soit le livre est disponible et il part le jour même (voire le lendemain), soit la demande est transmise à un autre organisme. Quatre sous-bibliothécaires, un conservateur et quatre magasiniers constituent cette équipe. Après un premier circuit extérieur, les demandes reviennent, s'il y a refus, à Paris ou une équipe de réserve complète les recherches biblio- graphiques, fouille à la Bibliothèque nationale, ou trouve une autre solution (achat, autre bibliothèque,...). Un conservateur et deux sous- bibliothécaires constituent cette équipe. Les acquisitions sont réparties ainsi :

    • à Paris le catalogage des livres et des périodiques;
    • à Versailles le catalogage rapide du Dépôt légal (deux personnes pour 38 000 livres par an !).

    Dans toutes ces procédures, catalogage ou prêt, classement des col- lections, le Centre de prêt essaye de simplifier au maximum pour aller plus vite, en attendant que l'automatisation nous décharge et du cata- logage et de la gestion des prêts. Dans beaucoup de cas, il signifie des solutions trouvées à une autre échelle par la BLLD. On ne peut ici rentrer dans les détails, mais nous nous concevons plus comme La Redoute que comme une bibliothèque classique. L'intérêt du Centre de prêt est donc sa spécialisation dans la fourni- ture de document, c'est sa seule tâche, sa seule mission. Aussi met-il tout en oeuvre pour répondre à chaque demande et poursuit-il ses recherches, y compris l'identification bibliographique, jusqu'à ce qu'il ait trouvé. Cela peut durer quelques mois, mais il est rare de ne pas aboutir. Lui seul effectue ces recherches complémen- taires. Lui seul peut donc offrir une sécurité presque totale de fourni- ture du document souhaité, dans son domaine, évidemment ; il offre aussi une adresse simple et unique bénéficiant de la franchise postale.

    C'est enfin un organisme de premier recours. Cela nous fait mal au coeur de recevoir des demandes ayant déjà circulé dans huit à dix bibliothèques et qui arrivent chez nous en désespoir de cause alors qu'un envoi direct aurait permis de satisfaire la demande depuis longtemps. Un seul conseil donc, envoyez toute demande de document français au Centre de prêt de la Bibliothèque nationale, Réf. postale 1101 Ver- sailles Cédex.

    Quelques statistiques maintenant :

    • nombre de volumes 150.000
    • nombre de thèses 35.000
    • nombre de périodiques 13.000
    • nombre de microfiches 18.000
    • nombre de demandes 30.000
    • nombre de prêts satisfaits 17.000
    • taux de satisfaction 57 %

    Quelques conseils pour utiliser le Centre de prêt :

    • 1 - Vérifier la demande du lecteur et l'identifier bibliographiquement;
    • 2 - La taper à la machine sur un formulaire normalisé en double exemplaire;
    • 3 - Mentionner clairement son adresse si possible avec une étiquette autocollante jointe.

    Evidemment tout ne va pas pour le mieux dans le meilleur des mon- des ; il est nécessaire de souligner les difficultés rencontrées par le Centre. Longtemps, le Centre de prêt a eu des problèmes de locaux, obligé de disperser ses collections entre plusieurs endroits à Paris et à Versailles. Les travaux entrepris dans la Grande Ecurie du Roi à Versailles per- mettront d'installer en 1984 du personnel et donc de regrouper des équipes actuellement dispersées (la tenue des catalogues en dou- ble à Paris et à Versailles complique sérieusement la tâche). Ils permettront ainsi d'installer 30.000 mètres linéaires de rayons et ainsi d'attendre l'aménagement du Lycée Pethon à Troyes malheu- reusement reporté d'année en année.

    Le gros problème actuellement celui des moyens :

    • Crédits insuffisants pour acheter rapidement tous les livres dispo- nibles qui nous sont demandés et pour s'abonner aux principaux périodiques non disponibles par Dépôt légal.
    • Insuffisance du personnel. Vous avez pu vous étonner du chiffre relativement faible des prêts : 150 demandes par jour est le maxi- mum que puisse traiter l'équipe en place (5 personnes).

    Une augmentation des demandes tout en gardant la qualité de ser- vice exigera du personnel supplémentaire. Une personne de plus per- mettrait de traiter 6000 demandes de plus par an ! Par ailleurs l'équipe de catalogage réduite à trois personnes est insuf- fisante pour cataloguer tous les dons et achats reçus. Or plus le Centre sera riche, moins il empruntera à d'autres.

    • Enfin du matériel de microreproduction est nécessaire pour repro- duire à la demande les collections de la Bibliothèque nationale dans un délai rapide.

    Mais il n'y a pas que les insuffisances internes, il y a des difficultés provenant de la mauvaise qualité des demandes reçues. C'est le grand défaut du prêt interbibliothèques français reconnu pas tous. Je pro- fite de l'occasion pour lancer un appel à tous les collègues qui se « moquent » du prêt interbibliothèques et expédient n'importe quoi n'importe où. Le prêt ne pourra devenir sérieux et bien fonctionner dans notre pays, que si une certaine discipline s'instaure. Ne jamais envoyer une demande qui n'ait été au préalable vérifiée dans une bibliographie et qui ne soit correctement présentée et écrite (il y a des normes de catalogues qu'il faut respecter aussi dans les demandes !) J'espère que la DBMIST et la Direction du Livre prévoient dans leur programme de formation permanente un recyclage sur le prêt interbibliothèques.

    Si l'on essaye pour conclure de s'élever un peu et d'analyser les pro- blèmes de l'accès au document, on s'aperçoit qu'il y a plusieurs types de prêt selon les disciplines et la nature des documents. On ne peut traiter de la même façon la demande d'articles médicaux ou scienti- fiques étrangers récents et celle de livres de sciences humaines ou de thèses de droit de 1982. la première est facilement satisfaite avec une collection réduite de 8000 titres qui offrent des rendements spec- taculaires. C'est la voie astucieusement choisie par la BLLD et la cause de son succès. Quand on y regarde de plus près, son taux de satis- faction pour le prêt d'ouvrages anglais tombe à 36%. Pas mieux que d'autres !

    La demande en Sciences humaines par contre porte sur des ouvra- ges de toute époque, difficiles d'accès, dispersés dans les bibliothè- ques, parfois épuisés et exige une collection cent fois supérieure à la demande. Elle ne permet qu'un « rendement » beaucoup plus faible. Plusieurs fois nous avons essayé d'analyser la demande pour déter- miner une cible précise, chaque fois ce fut un échec car comme le montrent les exemples joints à cet exposé, cette demande est épar- pillée sur tous les siècles, sur toutes les disciplines et sur tous les types de document. De Cosmopolitan à Gérard de Villiers, de la fabrica- tion des orgues à la philosophie, de l'histoire littéraire aux revues du surréalisme, de l'Humanité de 1925 à l'Observateur de 1847 où est parue une obscure nouvelle de Gobineau. On peut tout nous demander. Cette demande, si elle est moins urgente, est-elle moins nécessaire? C'est en fonction de ces critères qu'il faudrait, me semble-t-il analy- ser la situation française et répartir au mieux la charge de l'ensemble du prêt.

    Contrairement à ce que pensaient certains collègues, peut-être le pensent-ils encore, et conformément à l'exemple de l'Angleterre où malgré une puissante BLLD, le prêt interbibliothèques est trois fois supé- rieur à la France, il y a tellement à faire pour obtenir dans notre pays un accès complet, rapide et économique à tous les documents qu'il y a sans aucun doute de la place pour tous !