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    Documents sans frontière

    La BDIC

    Par Hélène KAPLAN, Conservateur service slave de la BDCI.

    Historique :

    La Bibliothèque de Documentation Internationale Contemporaine est née pendant la guerre de 1914-1918 de deux initiatives : l'une privée, l'autre parlementaire. Dès le début des hostilités M. et Mme Henri Leblanc avaient commencé à constituer une collection particulière de documents et d'objets de toutes sortes relatifs à la guerre. Cette collection, devenue très importante en trois ans, fut proposée à l'Etat. En 1917, à l'invitation de deux députés, André Honnorat et Alexandre Varenne, fut créé par le gouvernement un établissement public dénommé "Bibliothèque et Musée de la guerre" (fondée avec les collections Henri Leblanc).

    Des initiatives semblables avaient été prises à la même époque dans de nombreux pays belligérants et même neutres, où de nombreuses institutions consacrées à l'étude de la guerre furent créées (par exemple, Impérial War Museum à Londres en 1917, Weltkriegsbûcherei à Berlin en 1915, Hoover Institution on War, Revolution and Peace à Stanford en 1919, les Archives internationales de la guerre et de la Croix Rouge en Suisse).

    Toutes ces institutions ne survécurent pas : l'avantage de la BDIC a consisté dans le fait qu'elle a su, dès le début, ouvrir les horizons de son domaine initial, la guerre de 1914. Très rapidement, ce domaine a été élargi vers l'étude des origines de la guerre, puis vers celle de l'application des traités, des conflits locaux qui avaient surgi dans l'Est européen et l'Orient, des révolutions, des crises économiques provoquées par la guerre, en un mot l'histoire internationale de l'après-guerre d'où le changement de son nom en celui de Bibliothèque Internationale Contemporaine. Les limites chronologiques du domaine de la BDIC s'allongeaient de jour en jour. Aujourd'hui, après 70 ans d'existence, c'est, en fait, une bibliothèque de l'histoire du XXème siècle, histoire politique, économique et sociale avec quelques thèmes privilégiés : les relations internationales, les grands courants politiques, les mouvements sociaux, les mouvements de la population, notamment les différentes émigrations. Quant aux aires géographiques couvertes, elles étaient, au début, celles des pays belligérants de la guerre en 1914 : mais après la deuxième guerre mondiale, aux pays traditionnellement suivis se sont ajoutés les pays du Tiers-monde, en particulier ceux de l'Amérique latine et de l'Afri-que francophone.

    On comprendra aisément l'importance, dans les collections de la BDIC, de la part des publications étrangères et, dans ses activités, des relations avec l'étranger.

    Quant au mot "documentation" qui figure également dans son nom, il s'explique de deux manières. D'une part, dès sa fondation, un service de documentation fut créé qui devait fournir aux chercheurs les informations sur les problèmes les plus importants de la politique contemporaine et qui s'est transformé progressivement en un catalogue "matières" très détaillé, adapté à l'histoire politique, économique et sociale du XXème siècle. D'autre part, dès la fondation de la bibliothèque, son principal souci a été de rassembler tout ce qui pouvait servir de document aux futurs historiens : en premier lieu la presse, notamment la presse étrangère et les publications officielles des pays étrangers, mais aussi les affiches, les tracts, tout ce qu' aujourd'hui on appelle "littérature grise" ; à quoi s'ajoutent les publications clandestines, les archives, les objets de musée. Ce type de documentation est difficile à rassembler, même en France, à plus forte raison lorsqu'il s'agit de la faire venir de l'étranger.

    La Bibliothèque de Documentation Internationale Contemporaine fut, au cours des premières années de son existence, l'objet de l'attention particulière de la part des pouvoirs publics qui favorisèrent par divers moyens les efforts déployés par les bibliothécaires pour obtenir la documentation étrangère notamment par l'envoi de plusieurs missions à l'étranger, et ceci même avant la fin des hostilités : en Belgique, en Angleterre, en Russie, où André Mazon réussit à rassembler, en pleine révolution et guerre civile, des tracts et autres documents. Tout de suite après la fin des hostilités d'autres missions furent envoyées en Allemagne, en Italie, en Finlande ; un peu plus tard, dans les années 20, dans les pays baltes, en Tchécoslovaquie, en URSS, achetant des archives et des bibliothèques entières. Plus tard encore, à l'arrivée du nazisme, de nombreux documents et livres allemands et une bibliothèque social-démocrate russe située en Allemagne furent sauvés de la destruction, ramenés en France et déposés à la BDIC. Des résidents français à l'étranger furent chargés par le gouvernement de la collecte sur place de documents. Entre les deux guerres, les collections de la BDIC s'enrichissaient dans une proportion très importante, par dons, services gracieux et échanges. Le directeur de la bibliothèque Camille Bloch, aidé par André Honnorat, sénateur et ministre de l'Instruction publique qui avait été à l'origine de la création de la BDIC, ainsi que par d'autres hommes politiques comme Anatole de Monzie ou des historiens, comme Aulard et Pierre Renouvin qui devait devenir plus tard directeur de la BDIC, multipliait les démarches auprès des gouvernements et institutions étrangers. Le ministère des affaires étrangères de Prague donna à la BDIC une collection complète de documents sur la légion tchèque en Russie. L'Estonie envoya une importante collection d'affiches, le gouvernement de Cuba un ensemble de documents administratifs, etc. La BDIC recevait également des dons en argent de mécènes étrangers intéressés par son entreprise.

    On trouve les traces de l'énorme travail de prospection, de démarches, de demandes, accompli à cette époque, conservées dans les archives de la BDIC qui n'ont pas été détruites. Dès les années 20, la BDIC organisa un réseau d'échanges avec les bibliothèques et les instituts scientifiques étrangers qui n'a fait que croître depuis. Les échanges ne furent même pas totalement interrompus pendant le deuxième guerre. Une bibliothécaire, Alexandra Dumesnil, put établir des relations avec les pays alliés via la Suisse et obtenir des documents précieux pour la BDIC.

    Situation actuelle

    Les publications étrangères occupent une place très importante dans les collections de la BDIC : environ 85 070 de son fonds en ouvrages et documents, 75 070 des périodiques (37.500 sur 50.000 titres).

    Elles constituent actuellement 90 % des entrées annuelles en ce qui concerne les ouvrages et les documents et 80 % en ce qui concerne les périodiques (4.000 sur 5.000). Cette documentation arrive par achat, par échange, par don.

    L'achat est le moyen le plus simple pour obtenir les publications étrangères courantes, c'est en tout cas le moyen le moins onéreux en main-d'oeuvre (et le manque d'effectifs a toujours été le grand problème de la BDIC). Depuis quelques années, les achats à l'étranger sont devenus, dans l'ensemble, plus faciles qu'avant. Mais la BDIC est en rapport avec beaucoup de petits pays ; avec certains les relations commerciales ne sont pas bien organisées, et d'ailleurs pour ces pays le commerce du livre passe souvent au dernier plan. Pour certains pays, il n'existe pas de libraire acceptant de faire les transactions, pour d'autres, ces libraires existent mais travaillent très irrégulièrement. Les achats à l'étranger restent donc inégaux et difficiles, même en ce qui concerne la production courante, a fortiori en ce qui concerne les documents rares.

    La principale source d'enrichissement en documentation étrangère sont les échanges et les dons (la distribution entre les deux n'est pas toujours facile) qui représentent 75 % des entrées annuelles des ouvrages et documents et 70 % des périodiques.

    La BDIC possède un vaste réseau d'échanges, constamment tenu à jour et modifié selon les besoins (plus de deux mille partenaires réguliers).

    Tous les partenaires n'ont pas la même importance. Les partenaires principaux, ceux qui envoient régulièrement une grande quantité de documents, sont les grandes bibliothèques étrangères ou des bibliothèques étrangères spécialisées dans le même domaine que celui de la BDIC. Leur apport est particulièrement intéressant dans le cas des pays qui exportent peu leur production imprimée, comme, par exemple, les pays de l'Europe de l'Est. Dans certains cas, ces établissements nous procurent la totalité de la production qui nous intéresse (par exemple la Bulgarie ou la Hongrie). Dans d'autres cas, ils assurent un complément à nos achats, notamment en ce qui concerne les publications à faible tirage ou d'autres types de documents difficiles à obtenir.

    Nous avons relativement peu de conventions écrites avec ces partenaires. Elles existent quelquefois pour des opérations précises, comme par exemple, l'engagement pris par notre partenaire de nous abonner à une série de périodiques ou de nous fournir régulièrement tout ce qui est publié sur tel ou tel sujet (une sorte de standing order). Mais en général, nous évitons cette pratique qui risque de nous submerger de documents inutiles.

    A côté des partenaires quantitativement importants, il y a ceux qui nous envoient en échange ou en don leurs publications : les organismes gouvernementaux, nationaux ou internationaux, politiques ou économiques, les partis et les mouvements politiques, les organisations d'émigrés, les syndicats, etc. Il y a aussi les intermédiaires qui nous aident à obtenir des documents : les ambassades, les centres culturels ou des individus isolés ; c'est une vieille tradition à la BDIC de posséder des correspondants dans divers pays étrangers qui ramassent et lui procurent des tracts, des affiches, quelquefois des publications clandestines. Tel le cas de cet habitant de Léningrad des années 20 qui avait appris dans une revue historique l'existence de la BDIC et qui a envoyé pendant plusieurs années des documents sur la guerre et la révolution ; tel cet ancien lecteur d'un pays d'Asie qui a fourni à la BDIC des documents uniques de l'opposition de son pays. Le cas le plus répandu est celui des anciens lecteurs de la BDIC, rentrés dans leur pays, qui nous envoient leurs publications ou celles qu'ils pensent intéresser la Bibliothèque.

    Les échanges et les dons demandent un travail considérable. En plus du travail de prospection nécessaire pour repérer par tous les moyens possibles les publications hors commerce, il faut aussi prospecter pour essayer de les obtenir auprès des organismes ou des individus pouvant les posséder ou nous les procurer. Il faut connaître les ressources des autres établissements scientifiques étrangers, travailler en collaboration avec les instituts et les bibliothèques spécialisés, avec des groupes ou commissions de travail variés, avec les archives. La BDIC participe, dans la mesure du possible, aux congrès et aux colloques internationaux, organisés soit par des associations scientifiques internationales (comme par exemple, l'International Association of Labour History Institution qui regroupe plus de 70 bibliothèques et instituts de recherche spécialisés en histoire sociale), soit par des associations professionnelles spécialisées (comme par exemple l'Association américaine pour l'avancement des études slaves ou le Groupe de travail des bibliothèques et Centres de documentation sur l'Europe de l'Est en Allemagne).

    Il faut aussi pouvoir assurer une contre-partie aux échanges. La réglementation en vigueur ne permet pas, sauf dans des cas exceptionnels, d'acheter des livres français pour les échanges avec l'étranger. C'est regrettable, car cette pratique est très appréciée de nos partenaires qui peuvent ainsi se procurer des livres et des documents français de leur choix.

    La BDIC dispose d'un fonds de doubles, constitué par les dons qu'elle reçoit régulièrement. Ce fonds lui fournit une importante monnaie d'échange. Mais elle a aussi une autre sorte de monnaie d'échange, plus précieuse encore: son propre fonds et même son fichier.

    La BDIC a l'avantage d'être, dans sa spécialité, une bibliothèque ancienne par rapport à beaucoup d'autres bibliothèques étrangères spécialisées dans ce domaine (histoire du XXe siècle), par exemple les bibliothèques américaines qui se sont développées après la deuxième guerre. Au début, ce type d'échanges se faisait d'une manière unilatérale, la BDIC apparaissant' comme un donateur sans contre-partie : dans les années 50 des collections entières de périodiques conservés à la BDIC furent microfilmées pour le compte de bibliothèques étrangères. Peu à peu, la bibliothèque a appris à utiliser cette pratique pour ses propres échanges. Ainsi, il y a quelques années, un programme d'échange de microfilms de brochures révolutionnnaires russes conservées en partie à Harvard, en partie à la BDIC, a été organisé. Pour certains périodiques, conservés en partie à la Bibliothèque du Congrès, en partie à la BDIC, des microfilms communs furent établis, etc.

    Dans le passé, la BDIC a souvent bénéficié, pour ses échanges, du soutien d'organismes officiels français. Depuis plus de vingt ans le Service des Echanges Internationaux lui procure une aide très importante, notamment en ce qui concerne les échanges avec les Pays de l'Europe de l'Est. L'existence de cette aide permet de maintenir notre couverture documentaire de cette aire géographique à un niveau qui est tout à fait comparable à celui des bibliothèques américaines ou allemandes spécialisées dans ce domaine. Malgré le travail supplémentaire considérable qu'exigent les échanges, nous continuons à éviter de les réduire par rapport aux achats, d'une part pour avoir accès à la part de la documentation impossible à obtenir par des voies commerciales, d'autre part parce qu'ils représentent une soupape de sûreté, même pour les publications courantes. Il faut ajouter également que pour certaines bibliothèques étrangères, les échanges représentent le seul moyen d'acquérir des livres français. Les échanges contribuent à la diffusion de la culture française et c'est une raison supplémentaire de les pratiquer et de ne pas réduire -leur volume.

    Nouvelles formes de coopération internationale

    A côté des circuits classiques des documents : achats, échanges, dons, apparaissent depuis peu de nouveaux circuits documentaires rendus possibles par les nouvelles technologies. Ces nouveaux circuits concernent des opérations communes effectuées par des organismes appartenant à des pays différents. En voici quelques exemples tirés de l'expérience de la BDIC en 1985:

    La BDIC, l'Institut d'histoire sociale d'Amsterdam et l'Institut Feltrinelli de Milan ont établi en commun un programme de microfilmage de périodiques publiés entre les deux guerres en Argentine et conservés dans ce pays. Les frais de cette opération ont été partagés entre les trois organismes qui conservent chacun un microfilm de ces périodiques. Il s'agit, dans ce cas, d'un achat partagé.

    Un autre cas : celui du don partagé. La BDIC a reçu récemment en don les Archives de la 4e Internationale. La condition sine qua non de ce don était de le partager avec l'Institut d'Amsterdam. La collection a été microfilmée, les deux organismes ont partagé les frais du microfilm et du catalogage des archives. L'Institut d'Amsterdam conserve le microfilm et la BDIC. les Archives.

    On remarque d'ailleurs que les organismes ou les particuliers qui sont en possession de collections précieuses qu'ils souhaiteraient mettre à la disposition des chercheurs, préfèrent les déposer à deux endroits, dans deux pays différents, pour faciliter la recherche ou pour des raisons de sauvegarde.

    C'est aussi pour des raisons de sauvegarde que les Archives de la Centrale Ouvrière de Bolivie, qui représentent 100 kgs de documents, très importants pour l'étude de l'histoire politique, économique et sociale de ce pays et d'autre pays d'Amérique latine, ont été recueillis par une mission spéciale envoyée en Bolivie par le Ministère des relations extérieures, transportés en France et microfilmés. Le microfilm reste à la BDIC, mais les documents sont rendus à la Bolivie, ainsi qu'un double du microfilm.

    La BDIC participe souvent aux expositions internationales (grâce aux collections de son Musée). Cette participation acquiert, elle aussi, de nouvelles formes. Par exemple, à l'occasion de l'anniversaire de sa fondation, Thessalonique a reconstitué une partie des archives et des documents iconographiques brûlés dans l'incendie de la ville en 1917. En souvenir du rôle que cette ville a joué pendant la première guerre mondiale, la BDIC a contribué à cette opération en offrant plusieurs centaines de contretypes de photographies et de cartes postales et en prêtant plus de 200 dessins et aquarelles d'artistes de la grande guerre.

    Une autre forme de coopération documentaire concerne leur exploitation en commun. La BDIC possède actuellement l'une des plus importantes collections de documents clandestins et semi-clandestins polonais des dix dernières années. Faute d'avoir pu trouver, jusqu'à présent, des moyens pour créer sur le plan européen un centre automatisé pour satisfaire à l'importante demande française et étrangère dans ce domaine, la BDIC va coopérer avec l'Université de Harvard, qui a pu créer une base bibliographique automatisée "Solidarité". Cette opération aura le mérite de promouvoir les travaux sur l'histoire actuelle de la Pologne.

    Il appparaît clairement désormais que dans beaucoup de domaines, en tout cas dans le domaine couvert par la BDIC, l'augmentation quantitative de la documentation mondiale est telle, qu'aucune bibliothèque, dans aucun pays du monde, ne peut prétendre à assurer à elle seule la collecte, la conservation, la sauvegarde et l'exploitation de cette documentation. Toutefois, grâce aux technologies nouvelles, il est possible d'envisager une coopération internationale organisée, avec un partage des tâches qui n'aboutirait pas à un appauvrissement des partenaires. Les solutions que nous venons de citer constituent peut-être des exemples de ce que seraient les solutions d'avenir.