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    La COTRAO

    Mise en oeuvre d'une coopération multirégionale entre bibliothèques

    Par Brigitte WARIDEL, Directrice adjointe Bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne

    Au sein de la communauté européenne qui se construit au niveau des Etats, le Conseil de l'Europe a voulu donner l'impulsion à une autre Europe, celle des régions, tant il est vrai que les frontières nationales n'ont souvent rien à voir avec les frontières linguistiques ou culturelles. Cette conception d'une coopération multirégionale se développe dès 1972 ; trois communautés alpines vont se dessiner:

    • en 1972, l'ARGE ALP, qui réunit les régions, lânder et cantons des Alpes centrales ;
    • en 1977, ALPE ADRIA, qui réunit les régions des Alpes orientales ;
    • en 1982, enfin, c'est la COTRAO qui voit le jour : Communauté de Travail des Alpes Occidentales (1) . Le protocole d'entente de cette Communauté est signé officiellement le 2 avril 1982 à Marseille. Chaque région ou canton préside en alternance, et la PACA (région Provence-Alpes-Côte d'Azur) passe cette année le flambeau de la présidence au canton du Valais. Le protocole d'entente définit, à travers l'énoncé de 10 articles, la composition, le but et le fonctionnement de la COTRAO.

    COMPOSITION DE LA COTRAO

    Elle est donnée par l'article 1 du protocole d'entente : "Adhèrent à la communauté de travail des Cantons et des Régions des Alpes-Occidentales : le Canton de Genève, la Région Ligurie, la Région du Piémont, la Région Provence-Alpes-Côte d'Azur, la Région Rhône-Alpes, le Canton du Valais, la Région Autonome du Val d'Aoste, le Canton de Vaud".

    La traversant de part en part, en son milieu, le Rhône est quant à lui depuis longtemps le symbole d'un lien privilégié qui unit ses riverains.

    Le poète, bien avant les politiques, en avait pressenti l'évidence ; et l'on pourrait aujourd'hui, ici tout particulièrement, reprendre mot pour mot à notre compte la "grande invitation" que l'écrivain vaudois C.F. Ramuz lançait dans Chant de notre Rhône en ces termes :

    "Si on disait à tous ceux qui sont les nôtres de venir, même de loin, parce que le voyage en vaut la peine ? A nos Valaisans d'en amont, à nos Savoyards d'en face, aux gens de Lausanne, aux gens de Genève.

    Aux messieurs de Lyon même, et à ceux d'encore plus en aval, ceux de tout là-bas, ceux d'Orange, ceux d'Avignon.

    Si on allait inviter jusqu'à ceux de Marseille [...]"

    Ainsi, les fleuves et les montagnes, obstacles naturels à la libre circulation des hommes, deviennent lieux et symboles d'union, de parenté, éléments de soutien d'un cercle de famille soucieux de défendre les intérêts et les biens communs.

    BUT DE LA COTRAO

    Il est défini par l'article 3 du protocole d'entente :

    "Le but de la Communauté de travail des Cantons et des Régions des Alpes Occidentales est de discuter à un niveau informatif et technique afin de coordonner les solutions et les problèmes qui sont de l'intérêt des Cantons et des Régions qui la constituent. Grandes lignes faisant l'objet d'une attention particulière de la communauté : grandes communications et transports - mouvement portuaire - production et transport d'énergie - agriculture et économie forestière et montagnarde - économie hydrique - tourisme - protection du milieu et de la nature, sauvegarde du paysage - aspect territorial et urbanistique - culture et bien culturel. Il est prévu l'institution de commissions permanentes pour la consultation technique."

    FONCTIONNEMENT DE LA COTRAO

    Les champs d'application que l'on vient d'énumérer sont confiés à cinq groupes de travail ou commissions, intitulés respectivement :

    • Politique de la montagne;
    • Transports et communications;
    • Echanges culturels (que nos appelons "Groupe Culture");
    • Tourisme;
    • Economie et emploi.

    Ces groupes de travail se réunissent régulièrement, et leurs Présidents discutent de leurs options et rendent compte de leur activité à l'Assemblée générale qui réunit les Présidents et les délégations des 8 régions et cantons.

    LE SOUS-GROUPE BIBLIOTHEQUES

    En matière d'échanges culturels, il a semblé naturel au Président du groupe "Culture" de faire appel aux bibliothèques. M. Raymond Junod, Conseiller d'Etat vaudois, actuellement Chef du Département de l'Agriculture, de l'Industrie et du Commerce, a dirigé jusqu'en 1984 le Département de l'Instruction publique. Attentif aux problèmes des bibliothèques, ayant suivi et appuyé leur mouvement vers un développement conforme à celui du monde moderne et technologique, il a vu l'intérêt qu'il y avait à créer et à privilégier des échanges entre ces institutions au sein d'une communauté culturelle, géographique et linguistique (2) .

    C'est fin 1984 que la mise sur pied et la responsabilité du Sous-Groupe bibliothèques ont été confiées à M. Jean-Pierre Clavel, Directeur de la Bibliothèque Cantonale et Universitaire de Lausanne. Censé au départ mener sa réflexion dans le domaine de l'automatisation, M. Clavel proposa d'élargir le champ d'action de ce sous-groupe. Et c'est tout naturellement vers des formes d'échanges plus diversifées que se sont orientés les contacts. Les points sur lesquels le Sous-Groupe bibliothèques tente de réaliser des actions concrètes sont :

    • 1. l'automatisation ;
    • 2. les bibliographies régionales ;
    • 3. les échanges, qui sont de plusieurs natures : échanges de personnel, d'expositions, de publications.

    La première démarche consista à prendre contact avec les bibliothèques incluses dans l'aire de la COTRAO. Les critères de choix furent et restent très souples : qu'elle fût publique ou universitaire, toute bibliothèque pouvait être intéressée par l'une ou l'autre sphère d'activité citée plus haut.

    Un questionnaire devant permettre de faire le bilan de la situation, des particularités, des projets et des possibilités de chacune fut envoyé à une vingtaine de bibliothèques, à qui par ailleurs il était demandé de signaler les lacunes que devait sans doute comporter cet inventaire de départ, qui contient, à l'heure actuelle, les références d'un peu plus de trente bibliothèques. Certaines ont d'emblée choisi de participer activement ; d'autres n'ont pas répondu à notre appel jusqu'à présent du moins. Il ne s'agit d'ailleurs pas de les mettre systématiquement toutes à contribution pour toutes les activités projetées. Suivant leurs spécificités, certaines sont plus directement concernées par la question de la documentation régionale, d'autres s'intéressent davantage à l'automatisation, etc.

    Les institutions des régions françaises représentent une part largement majoritaire ; la géographie même de la COTRAO l'explique (3) . Dans les faits, il est vraisemblable que les relations entre bibliothèques des régions suisses et celles des régions françaises seront, par un effet naturel, privilégiées, et cela pour deux raisons principalement :

    • 1. depuis longtemps déjà la Suisse romande et les régions françaises comme Rhône-Alpes ou la Provence vivent une relation étroite, héritée du patrimoine culturel et de cette "géo-graphie rhodanienne" évoquée tout à l'heure ;
    • 2. indépendamment du Val d'Aoste, qui fait preuve de dynamisme et d'une forte motivation, jaloux de son statut de région autonome et du maintien de la pratique de la langue française sur son territoire, les échanges avec l'Italie seront vraisemblablement plus difficiles, en raison d'une centralisation semble-t-il accentuée des pouvoirs dans ce pays ; des contacts ont cependant été établis avec Turin ; les relations avec nos collègues de Ligurie semblent, à l'heure actuelle du moins, plus problématiques.

    AUTOMATISATION

    En ce domaine, malheureusement, les possibilités d'action sont limitées ; plusieurs raisons à cela :

    • les grandes disparités de développement des bibliothèques sur ce plan ;
    • l'incompatibilité des systèmes ;
    • le fait que le pouvoir de décision (choix d'un système) ne dépend pas toujours de la seule volonté des responsables des bibliothèques.

    Entre la Suisse et la France, il existe déjà une coopération, avec Montpel-lier et Bordeaux notamment, qui ont repris le système SIBIL. L'implantation récente d'un nouveau centre informatique à l'Isle-d'Abeau ouvre d'intéressantes perspectives de coopération et d'échanges avec les bibliothèques genevoises, vaudoises, suisses romandes en général, qui coïncideraient très précisément avec la "philosophie" de la COTRAO.

    Du côté de l'Italie, de telles perspectives sont plus faibles. On se réjouit pourtant de voir prendre forme les projets d'un réseau multisite, mis en oeuvre par le Servizio bibliotecario nazionale . Malgré l'incompatibilité des systèmes, l'interconnexion des réseaux, réalisable techniquement, reste à souhaiter. C'est financièrement une autre affaire. Seule une réelle volonté politique affirmée la rendra possible.

    Pour l'heure, le Sous-Groupe bibliothèques se contente de proposer aux bibliothèques partiellement ou totalement automatisées de présenter leurs réalisations ; la BCU de Lausanne a ainsi convié ses "correspondantes" de la COTRAO à une démonstration du système SIBIL l'automne passé.

    LES BIBLIOGRAPHIES REGIONALES

    Lors d'une réunion du Sous-Groupe bibliothèques à Grenoble en septembre dernier, l'intérêt commun s'est rapidement manifesté sur un projet à deux volets :

    • à court terme, il s'agit de l'établissement d'un répertoire de tous les organismes (bibliothèques, archives, centres de documentation ou autre) de l'aire de la COTRAO, qui recueillent de la documentation régionale, en établissant une bibliographie ou en constituant un fichier.
    • à long terme, il s'agirait de la création d'une base de données documentaires informatisée commune.

    Un groupe de travail a été constitué, dont la direction a été confiée à la Bibliothèque régionale du Val d'Aoste. Un plan de travail a été établi

    • 1. faire l'inventaire des organismes par région ;
    • 2. fixer les limites géographiques de la , documentation ;
    • 3. préciser les domaines couverts par la documentation et décrire les types de documents dépouillés ;
    • 4. mentionner la disponibilité et l'accessibilité des documents et de la documentation.

    Des propositions concrètes pour la réalisation de ces objectifs - besoins en personnel et en argent - devraient normalement être présentées en septembre prochain lors de la réunion du Groupe "Culture".

    LES ECHANGES

    C'est en matière d'échanges de personnel et d'expositions que portent essentiellement les efforts du Sous-Groupe bibliothèques, car si les idées ne manquent pas sur ces chapitres, les difficultés et les obstacles rencontrés, d'ordre administratif notamment, rendent la concrétisation de ces idées moins aisée qu'on ne l'imaginait. Pour les échanges de personnel, deux formules ont été retenues :

    • soit échange proprement dit de deux personnes, pour une durée d'un à plusieurs mois ;
    • soit envoi unilatéral d'une personne en stage ou en mission, la durée pouvant varier de huit jours à un mois par exemple.

    L'essentiel est que l'échange corresponde et aboutisse à un réel apport réciproque d'information et d'expérience ; il est pour cela indispensable qu'il se fasse entre deux institutions ayant un développement et des caractéristiques équivalentes ou comparables. Le stage ou la mission permettent à une bibliothèque de bénéficier ou de faire bénéficier d'une expérience donnée dans un domaine particulier. A ce cadre limité par l'exigence de relations productives, réellement bénéfiques aux institutions partenaires, et par la volonté d'éviter le piège du tourisme professionnel (lorsqu'il ne s'agit pas de tourisme tout court), s'ajoutent des. contraintes d'ordre financier, mais qui sont surmontables, soit par les institutions des régions et des cantons de la COTRAO dans un premier temps, soit par le Groupe "Culture", dans les cas d'échanges entre deux régions dont le coût de la vie serait fort différent (4) .

    Quant aux échanges d'expositions, c'est à la lourdeur et à la rigidité des formalités douanières qu'ils doivent faire face. Les frais de caution ont pour bien des institutions un caractère rédhibitoire ; ces contraintes sont prises en charge par les transitaires agréés lorsqu'on fait appel à eux, mais leur facture est à la dimension de ces tracasseries administratives.

    Il faut déplorer également de la part de certaines institutions des exigences excessives en matière de valeurs d'assurance et de conditions de transport des documents. Les musées et les archives établissent le même constat, et le Groupe "Culture" tente d'obtenir un allégement des formalités ; l'idéal serait d'aboutir à l'élaboration d'un statut particulier reconnu aux institutions de l'aire de la COTRAO. La proposition d'une convention commune à toutes ces institutions été avancée dans ce but.

    CONCLUSION

    Quel bilan peut-on provisoirement dresser, après un peu plus d'une année d'existence de ce Sous-Groupe bibliothèques ? Sur la nature de ce sous-groupe, on constate que par les critères géographiques et culturels sur lesquels est fondée l'existence de la COTRAO, le Sous-Groupe bibliothèques ne peut être considéré comme une association professionnelle ; il n'en a ni les structures ni la mission ; son rôle est parallèle et complémentaire, axé sur quelques objectifs limités.

    Sur son action, il apparaît que la discussion des problèmes et la coordination ont occupé jusqu'à ce jour l'essentiel de sa tâche.

    Les solutions sont plus difficiles à dégager qu'on ne le voudrait. Il n'y a là rien de décourageant ni de très nouveau. Mais c'est évidemment à contrecoeur que nous suivons l'antique recommandation : "Festina lente!".

    1. Pour être tout à fait complet : Communauté de Travail des Cantons et des Régions des Alpes Occidentales. retour au texte

    2. Les autres domaines couverts par le Groupe "Culture" sont : les radios locales, l'enseignement et la formation professionnelle (p. ex. le problème de la reconnaissance réciproque des diplômes, échanges de stages universitaires, etc.) et toute autre forme d'échanges culturels. retour au texte

    3. Dans l'aire de la COTRAO, les cantons suisses représentent une superficie de 8 727 km2, les régions italiennes une superficie de 34 077 km2, et les régions françaises une superficie de 75 100 km2 ! retour au texte

    4. Nous avons exprimé la volonté de concrétiser ce projet dans le courant de cette année 1986, ne serait-ce, modestement, que par l'organisation d'un stage ou d'une mission, un échange étant plus long et plus délicat à mettre sur pied. La BCU de Lausanne est quant à elle prête à participer à cet objectif. Un sondage a été fait auprès du personnel, au sein duquel plusieurs personnes se sont montrées vivement intéressées. retour au texte