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Le rôle des échanges universitaires dans les acquisitions étrangères d'une grande bibliothèque

1986
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    Le rôle des échanges universitaires dans les acquisitions étrangères d'une grande bibliothèque

    Par Jacquette REBOUL, Conservateur en chef Bibliothèque de la Sorbonne

    Le Service des Echanges universitaires, qui a officiellement son siège à la Bibliothèque de la Sorbonne, est chargé de l'échange des thèses et des publications académiques entre la France et les pays étrangers des cinq continents, y compris les pays socialistes.

    Cette institution a été mise en place par l'arrêté ministériel du 30 avril 1882, signé par Jules Ferry, Ministre de l'Instruction publique et des Beaux-arts de l'époque. Elle apparaît à l'origine comme une transposition de "l'Akademische Tauschverein", créé à Marburg en 1817. Le nouvel organisme, instauré par la troisième République sur le modèle allemand, était centralisé à Paris et rattaché à la Bibliothèque de la Sorbonne qui devait rester la Bibliothèque de l'Université de France jusqu' à l'institution des premières universités décentralisées par la loi de 1896.

    Les échanges, d'abord privilégiés avec l'Allemagne, s'étendirent bientôt aux autres pays européens qui disposaient d'un doctorat dans leur cursus universitaire, Suisse, Belgique, Pays-Bas, puis Etats-Unis, etc. Les universités étrangères envoyaient des collections complètes de leurs thèses, qui étaient diffusées dans les universités françaises, et recevaient en échange des collections complètes des thèses françaises. L'arrêté du 21 février 1923 réserve 44 exemplaires des thèses soutenues en France aux échanges universitaires. La liste des 44 destinataires de ces thèses est également fixée. Cet apport documentaire était intéressant à une époque où la suppression du budget propre des bibliothèques universitaires les forçait à vivre exclusivement de leurs droits d'étudiants.

    Le second conflit mondial remet en cause le Service des Echanges universitaires qui élargit ses prérogatives. Les attributions de ce service s'étendent désormais à un matériel plus varié, qui prend en compte des publications impossibles à acheter en dehors du simple troc.

    Parallèlement, il s'ouvre à de nouveaux pays, en particulier à l'U.R.S.S., aux pays de l'Est, à la Chine, aux autres pays d'Extrême-Orient et à ceux du Tiers Monde. Il prend en compte également l'évolution de la thèse et l'apparition de types différents de publications universitaires. Ces diverses publications s'avèrent indispensables au développement de l'enseignement supérieur et de la recherche scientifique en France.

    L'arrêté ministériel du 11 septembre 1951 est inspiré de ces nouvelles considérations. Il élargit les échanges aux publications académiques, aux publications périodiques et aux collections. En dépit de mutations diverses et de certains assouplissements, ce système est toujours en vigueur actuellement. L'impression des thèses devenant de plus en plus difficile et coûteuse pour les candidats, l'Etat avait institué après la guerre un système de subvention. En 1969, ce dernier prenait en charge la reproduction intégrale des thèses de lettres après soutenance et il créait à cet effet un atelier spécial de reprographie auprès de l'Université de Lille III pour les thèses de lettres, puis ultérieurement un second atelier auprès de l'Université de Grenoble II pour les sciences économiques, les sciences politiques et, les sciences de gestion. Sur les 160, puis les 180 exemplaires imprimés de thèses déposées, 100 étaient destinés au Service des Echanges universitaires pour servir de monnaie d'échange, mais cette réglementation excluait les thèses d'Etat en science, en médecine, en pharmacie ainsi que les thèses de troisième cycle qui échappaient de cette façon au circuit des échanges universitaires.

    Cependant, l'arrêté du 25 septembre 1985, relatif aux modalités de dépôt, de signalement et de reproduction des thèses ou travaux présentés en soutenance en vue du doctorat d'Etat, faisait suite au nouveau régime du doctorat. Prévoyant le reproduction en microcopie de ces thèses par les ateliers de Lille III pour les lettres, les sciences humaines, la théologie catholique et la théologie protestante, et de Grenoble II pour les sciences et la gestion, cet arrêté devait susciter une évolution nouvelle du service des échanges universitaires. La suppression de l'obligation d'impression de la thèse et de la subvention afférente, a entraîné une raréfaction du tirage sur papier, donc des dépôts importants. D'autre part, les microfiches étant peu coûteuses, elles représentent une monnaie moins intéressante pour le troc. Dans ces nouvelles conditions, le Service des Echanges universitaires est à la recherche de nouvelles modalités et de nouveaux types d'accord afin de disposer d'un matériel d'échanges suffisant.

    Cependant, actuellement, plus de 200 échanges partiels sont suivis, permettant notamment de recevoir plus de 1800 titres de périodiques différents. Ces échanges intéressent en tout environ 260 institutions qui appartiennent à 49 pays différents et concernent le monde dans son ensemble. Le Service des Echanges universitaires doit s'adapter aux nécesssités modernes de la documentation et de l'information scientifique. Il n'est certes plus question de recevoir l'intégralité des thèses allemandes, pour les adresser indistinctement à toutes les bibliothèques universitaires françaises. On peut envisager plutôt une concentration documentaire sur certains points spécifiques, liée à l'institution des CADIST, comme l'ont fait les Etats-Unis avec la création du Mid-West Interlibrary Center, qui reproduit sur microfilm à la demande les thèses étrangères. Cependant, une concentration trop poussée ne paraît pas souhaitable et les échanges traditionnels conservent une valeur certaine dans la conjoncture présente. Dans cette pers-perctive, les échanges permettent d'obtenir une documentation importante dans une période de pénurie budgétaire et d'acquérir de nombreuses publications qui ne sont pas dans le commerce. Ils représentent une source irremplaçable pour nos établissements. Le rôle du Service des Echanges universitaires, quel que soit son avenir, reste essentiel pour les fonds de nos établissements, dans la mesure où il répartit actuellement chaque année environ 18 000 thèses, 3 500 dissertations allemandes, et 2 500 périodiques entre les bibliothèques universitaires de Paris et de province.

    Le bilan des Echanges universitaires était déjà positif à la veille de la première guerre mondiale, puisque la France avait reçu un total de 105 725 titres en plusieurs exemplaires. Elle en avait expédié en revanche 45 000. En trois décennies 1 600 000 documents quittèrent nos frontières et 1 903 050 y entrèrent. On voit que la balance favorisait les Français. Les apports prussiens furent d'abord prépondérants, complétés bientôt par les échanges danois, néerlandais, suédois, baltes et scandinaves. La place des travaux de lettres et de sciences l'emporta d'abord, suivie bientôt par le droit et les sciences sociales. La théologie restait marginale dans les travaux reçus. En 1985, un total de 4 720 thèses avait été envoyé aux différentes bibliothèques universitaires. 1 842 titres de périodiques différents, dont certains obtenus en plusieurs exemplaires, totalisant 2 062 collections, furent diffusés dans les bibliothèques universitaires françaises. 2 501 volumes de monographies dont 1 860 reçus par l'intermédiaire du Service des Echanges slaves de la Bibliothèque de la Sorbonne parvinrent dans notre pays. On voit donc que l'équilibre penche encore en faveur de la France, mais il sera nécessaire à court terme de rétablir la balance pour satisfaire nos correspondants étrangers. On s'oriente donc vers l'achat de collections de thèses microfichées, l'utilisation des publications de la bibliothèque avec l'envoi des Mélanges de la Bibliothèque de la Sorbonne, des volumes de la collection des Mélanges, des catalogues d'expositions, etc., la recherche de dons comme celui des Publications orientalistes de France, et des accords passés avec certaines institutions savantes, tel le Comité des Travaux historiques et scientifiques qui en échange de certains services rendus par la bibliothèque, pourrait mettre à la disposition des échanges un certain nombre de ses publications. Enfin, le budget des Echanges permet déjà depuis plusieurs années, d'acheter des publications françaises souhaitées par nos correspondants étrangers, en particulier soviétiques.

    Ainsi, le Service des Echanges universitaires apparaît en pleine évolution et il est encore difficile de préciser avec netteté ses perspectives d'avenir. Il doit s'adapter aux nouvelles conditions internationales, à la concurence de l'anglais et à l'évolution de la thèse de doctorat et des écrits académiques dans les différents pays. L'essentiel est d'arriver à réunir des séries annuelles complètes de titres dans chaque discipline, même si la forme d'édition, impression traditionnelle, offset, ou microcarte, en est variable selon les titres.

    Si les bibliothèques universitaires françaises ont bénéficié au premier chef des échanges universitaires, les collections de la Bibliothèque de la Sorbonne en ont été également enrichies. C'est grâce à eux qu'a pu être constitué un fonds slave de premier ordre, intéressant l'histoire, la littérature et les sciences humaines et sociales, fonds de recherche essentiellement qui attire de nombreux lecteurs. Ont pu être rassemblées aussi des collections représentatives des pays de l'Est, Pologne, Roumanie, Bulgarie, Hongrie, etc. ainsi que de la Chine. Ces publications, n'étant pas commercialisées, ne peuvent être acquises que par le système du troc. Elles concernent surtout des publications spécialisées, souvent de recherche très pointue, essentielles à l'enrichissement et à l'ouverture de la vie intellectuelle française.

    Parallèlement à ces publications européennes, on a pu acquérir depuis quelques années des documents du Tiers Monde, en particulier de l'Amérique latine, qui sont également très difficiles à acheter et qui représentent une recherche encore nouvelle mais souvent intéressante et originale. L'Extrême-Orient est aussi bien représenté, dans la mesure où les publications sont rédigées en français ou en anglais. Les échanges avec le Moyen-Orient sont riches et fournis depuis une longue date, mais avec l'Afrique moins nombreux et moins significatifs, car ces pays publient encore peu. On voit donc que le Service des Echanges universitaires a joué un rôle prépondérant dans la constitution du capital documentaire français utilisé par l'enseignement supérieur et la recherche. Il a accru d'une façon significative les ressources de nos établissements, à la bibliothèque de la Sorbonne, comme ailleurs. Parallèlement, il a servi le rayonnement de la culture française à l'étranger, en diffusant nos publications dans les différents pays du monde. Facteur de connaissance, de rapprochement des peuples et des cultures à travers les aléas de l'histoire, durant toute la guerre du Viet-Nam, par exemple, les échanges avec Hanoi n'ont jamais cessé et il en est de même actuellement' avec les universités libanaises, il a contribué à établir des liens d'amitié à travers le monde et à rapprocher ce que la violence humaine tendait à séparer.