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    Intervention de Daniel Renoult


    Je crois profondément que le problème qui nous préoccupe aujourd'hui : Que sont les antennes universitaires ?, ne peut être compris valablement si on l'aborde du point de vue d'un seul des partenaires, ou du seul point de vue des bibliothécaires. Nous essaierons d'envisager le point de vue de tous les partenaires.

    On ne peut pas comprendre ce que sont les antennes universitaires aujourd'hui si on n'essaie pas d'avoir une analyse globale du développement universitaire. Et c'est la raison pour laquelle je me propose d'en dire quelques mots avant d'aborder le sujet très précis des antennes ellesmêmes.

    Je voudrais vous dire d'abord dans quelle démarche de programmation et de développement le Ministère de l'Education Nationale se situe aujourd'hui, vous dire ensuite les méthodes et les moyens que l'ensemble des partenaires se donnent pour arriver aux buts qui sont fixés en matière de programmation et développement et enfin situer les antennes dans cette politique.

    Tout d'abord, quelle est la démarche de programmation et de développement du Ministère ? Elle part d'un constat, qui est une progression très forte des effectifs étudiants, une entrée plus importante des bacheliers dans l'enseignement supérieur, on est au-dessus du million d'étudiants, environ 1,2 million lors de la rentrée 90. Mais tout le monde sait qu'il y en aura 2 millions d'ici 10 ans, soit un doublement de la population dans l'enseignement supérieur. Ceci est un phénomène plus ou moins important selon les régions. La région dans laquelle nous sommes, connaît une progression très forte des effectifs entrant dans l'enseignement supérieur, plus forte que dans d'autres.

    Deuxième aspect du constat, nous sommes dans un nouveau contexte politique et culturel où l'université n'est plus considérée comme un monde à part, quasi exclu de la vie urbaine et sociale. Je dirais que, à la logique interne de développement des universités s'est substituée une logique externe qui fait que les grands acteurs de la vie politique et sociale française sont partie prenante dans l'enseignement supérieur. Ceci a été souligné par le Premier Ministre, par le Président de la République. C'est un fait nouveau : le précédent grand boum des universités, dans les années 60, ne s'est pas fait dans un contexte de cette nature.

    Troisième aspect du constat, notre pays et le Président de la République affichent une priorité constante à l'Education Nationale, et des moyens très importants ont été dégagés par le gouvernement pour développer l'enseignement supérieur. Des problèmes se posent : quelle pédagogie choisir ? Peut-on développer l'enseignement de la même manière avec un million d'étudiants qu'avec deux millions ? Doit-on reconduire indéfiniment les mêmes méthodes ? Comment programmer les équipements nouveaux ? Il est nécessaire de prévoir et d'organiser, de maîtriser ce développement, tout en augmentant la qualité actuelle de l'enseignement. Un certain nombre de principes juridiques ou politiques ont été posés. Le premier d'entre eux, objet permanent d'un débat dans le pays, mais qui a été tranché, c'est le fait que dans l'enseignement supérieur, c'est l'Etat qui a la compétence . Mais immédiatement après, l'Etat juridiquement compétent ne peut de fait développer cet enseignement supérieur, sans associer, notamment pour le financement, les collectivités locales.

    Une autre donnée est la volonté politique de développer l'autonomie des universités et de donner un contenu réel à cette autonomie. Premier principe : le rôle de l'Etat face à une France déséquilibrée dans son aménagement est de corriger les déséquilibres. (Entre l'Ile-de-France et les autres régions, mais aussi entre les régions, et à tous les points de vue).

    Deuxième principe : essayer de favoriser l'émergence de pôles européens, c'est-à-dire d'ensembles universitaires, qui aient une taille et une renommée internationale notamment dans le domaine de la recherche, et des échanges d'étudiants.

    Troisième principe : maîtriser la croissance de l'Ile-de-France, région hors norme où se trouvent 20 % de la population, + 30 % des étudiants, 40 % des effectifs d'étudiants en 3ème cycle.

    Quatrième principe : maîtriser les implantations nouvelles : la croissance des universités nouvelles annoncées par le gouvernement, et d'autre part les antennes.

    Pour faire tout cela, il faut se donner une méthode, arrêtée par le gouvernement. La relation avec les établissements publics que sont les universités est réglée par la politique contractuelle. On propose à chaque université, un contrat sur quatre ans qui, à partir d'objectifs fixés en commun, va définir les moyens pour y parvenir et des méthodes d'organisation. Nous sommes lancés avec le Ministère de l'Education Nationale dans cette politique contractuelle démarrée en 1989, et qui se poursuit par tranches géographiques. La mise en place des premiers contrats devrait s'achever dans le courant de l'année 1991, avec la contractualisation de la région parisienne.

    La deuxième méthode est celle des schémas d'orientation à 5 - 10 ans, concertés avec les régions. Pour les établir, le Ministre de l'Education Nationale a demandé aux préfets des régions en relation avec les recteurs, leurs prévisions :

    • en matière de flux démographiques d'étudiants et d'élèves ;
    • concernant les grands objectifs de formations et les filières à développer ;
    • en matière de locaux, de surfaces, d'équipements nouveaux, fruits de ces flux et de ces objectifs de formation ;
    • comment voit-on, au niveau régional, le développement de ces implantations universitaires qu'il s'agisse d'une université nouvelle ou de délocalisation ?
    • enfin, il leur est aussi demandé de réfléchir aux mesures d'accompagnement. C'est-à-dire aux problèmes des bibliothèques, de logement, de restauration. Car une université n'est pas seulement un lieu où l'on donne des cours, c'est aussi un lieu où s'effectue du travail personnel, où l'on s'informe, où l'on rencontre des personnes qui font de la recherche. Les étudiants doivent pouvoir y vivre, et y avoir un environnement culturel.
    • Quels sont aussi les grands projets de la région et des universités en matière de relations internationales ?

    Ce premier cadrage, préparé par des réunions régionales, a eu lieu avant l'été. Parallèlement le Ministre a mis en place un comité d'experts présidé par Jacques Jolie, pour proposer les grandes orientations de politique nationale, avec la consultation d'autres organismes, comme la délégation à l'aménagement du territoire, le CNRS, et bien d'autres acteurs.

    Nous sommes en plein dans cette procédure. Pour le Nord-Pas-de-Calais, la réunion décisive aura lieu la semaine prochaine. L'idée est qu'une fois les choses réglées entre le Ministère et les différentes instances qui doivent avoir consulté tous leurs partenaires régionaux, le projet de schéma régional sera soumis pour avis et débat, au Conseil Régional, et à la fin du processus fin 90, le Ministre arrêtera le schéma national, résultant d'un ensemble de schémas régionaux, mais aussi d'un certain nombre de grandes orientations pour l'enseignement, la recherche, et la documentation.

    Voilà pour les orientations générales.

    Il faut ensuite un instrument de programmation. Le Gouvernement a décidé de débloquer une enveloppe de 16 milliards de francs au profit du développement universitaire. Ils représentent l'effort de l'Etat seul ; s'y ajouteront des investissements importants des collectivités locales. Pour les bibliothèques, le chiffrage est fait en terme de "places nouvelles", 35 000, ont été décidées. (Il y en a 70 000 dans les bibliothèques universitaires).

    A partir de l'enveloppe globale, on arrivera aux enveloppes régionales, ce qui supposera bien entendu des arbitrages par rapport aux grandes orientations proposées par les régions. L'idée fondamentale à laquelle le Ministère de l'Education tient beaucoup, est qu'il ne faut pas raisonner uniquement en termes de programmation et de financement, mais aussi en termes de programmation et d'orientations. Si on raisonne uniquement en termes de financement, on raisonne uniquement constructions sans voir les grands objectifs. Si on raisonne uniquement grands objectifs, on a une réflexion désincarnée.

    Voilà les outils de politique contractuelle, qui ont été mis en place. La plupart de nos partenaires ont vu d'un très bon oeil le fait que l'on cesse enfin de réfléchir sur les buts de l'université en termes uniquement annuels. Réfléchir dans une optique de 4 ou 5 ans entraîne des attitudes nouvelles, une remise en cause de pratiques existantes qui est féconde, et qui permet aux Présidents de penser différemment l'avenir de leur université.

    A côté de ces grandes orientations, nous avons également au Ministère de l'Education Nationale un certain nombre d'axes de structuration des universités. J'ai cité les pôles européens, qui ont décidé de se donner une lisibilité internationale. Avec l'accent, mis tout particulièrement sur la constitution de pôles documentaires d'envergure européenne.

    Un deuxième élément structurant est l'aménagement de réseaux universitaires, concernant les troisièmes cycles en relations internationales, par exemple à Lyon et à Besançon.

    Le cadre tracé, j'en viens aux antennes. Qu'est-ce qu'une antenne ? C'est un échelon décentralisé d'une université. On parle aussi de délocalisation. Il faut constater que la réalité actuelle n'a pas été le fait de l'Etat, mais est dûe à l'initiative des universités et des collectivités locales en général des villes moyennes.

    Ces antennes se développent depuis les années 80. Certaines sont officielles, reconnues par le Ministère de l'Education Nationale, d'autres sont régies par une convention écrite, passée entre universités et collectivités locales. D'autres encore existent de fait, c'est-à-dire que l'on enseigne à tel endroit depuis 2, 3 ou 4 ans sans qu'aucune convention n'ait été passée entre qui que ce soit. On dénombre un peu plus de 70 antennes officielles, une trentaine d'autres de statut écrit ou de fait. Financièrement et juridiquement, les antennes dépendent des universités de rattachement, le plus souvent d'une unité de formation et de recherche. En ce qui concerne leur financement, les collectivités locales et parfois les Chambres de Commerce et d'Industrie mettent à leur disposition des locaux, participent au fonctionnement y compris pour le paiement des heures complémentaires dues aux enseignants.

    La délocalisation peut aussi être partenaire de plusieurs universités. Par exemple, l'antenne de Lorient dépend à la fois de l'université de Brest, de Rennes I et de Rennes II. Compter Lorient pour 1 ou pour 3 délocalisations change évidemment le compte final. En gros, il y a 150 villes différentes, où il y a des implantations universitaires. C'est une approximation, on manque d'un bilan très précis, y compris au Ministère de l'Education Nationale ! Citons encore un autre exemple d'antenne : Boulogne associée avec Lille I, Lille II, et deux fois avec Lille III.

    Les disciplines couvertes sont surtout juridiques, littéraires, administration économique et sociale moins souvent scientifiques. Ce sont des premiers cycles longs, de DEUG, parfois de DEUST. Citons le phénomène particulier en Ile-de-France, où les antennes se sont développées, de manière volontaire, autour des villes nouvelles.

    Evidemment, et cela M. Rocard l'a rappelé avec force au Colloque des Universités pour l'an 2000, toutes les antennes universitaires n'ont pas vocation à devenir des universités. Il n'est pas question que dans l'ensemble des villes moyennes, on trouve des universités. Il faut constater que jusqu'à présent, ces antennes se sont installées de manière désordonnée, ne correspondant pas à un schéma d'ensemble.

    Quelle est néanmoins leur justification ? Il faut bien dire qu'elles répondent à une nécessité sociale. Le fait qu'il existe à proximité, dans les villes moyennes, des lieux d'enseignement supérieur permettant aux jeunes bacheliers d'y accéder, lève en partie l'obstacle du coût et de la distance.

    Elles se justifient parce que la capacité d'accueil des grandes universités françaises, dans l'état actuel, est saturée. Autrement dit, beaucoup d'universités, sans ces antennes, ne pourraient permettre l'augmentation de la proportion des jeunes entrant dans l'enseignement supérieur.

    Troisième élément positif : elles permettent une meilleure liaison entre l'emploi et la formation. Toutes les études statistiques, montrent en effet que les diplomés du premier cycle cherchent et trouvent plus volontiers du travail à proximité de leur lieu de formation, alors que le troisième cycle fait preuve d'une plus grande mobilité. Tout ceci prouve, que les antennes sont parfaitement justifiées et ont un rôle tout à fait important, notamment en matière d'égalité de chances.

    Mais les antennes, ne peuvent se suffir à elles-mêmes. Le lien, avec l'université est capital, comme est capital aussi, dans l'enseignement supérieur, le fait de lier l'enseignement, la recherche et l'information. Si l'on réduisait l'enseignement supérieur à des cycles courts, on aboutirait à instituer une autre forme de ségrégation entre les villes moyennes et les métropoles régionales, qui bénéficieraient d'un enseignement plus complet.

    Certaines antennes sont officielles et d'autres pas. Quel est le critère ? Est-ce que le Ministère de l'Education Nationale a des critères de reconnaissance ? D'abord, la création d'une antenne devrait se faire sur proposition du Recteur et devrait être arrêtée par le Ministre. Cette décision a pour effet positif de prendre en compte son existence dans la dotation de l'Etat en moyens : emplois, fonctionnement et équipement. Pour cela plusieurs conditions sont souhaitées :

    • 1) coordination des projets par le Recteur. Les règles de territorialité et la visibilité académique doivent être respectées.
    • 2) accepter l'idée qu'il faut un seuil minimum de 1 000 étudiants potentiels pour créer une antenne. Lorsque l'on sait les coûts induits par ces créations, un nombre de 250 étudiants n'est pas raisonnable.
    • 3) éviter les antennes monodisciplinaires, préférer la pluridisciplinarité.
    • 4) que les enseignants restent affectés dans leur université d'origine et conservent un lien fort avec la recherche.
    • 5) qu'il y ait un responsable pédagogique de l'antenne.
    • 6) que la participation des collectivités locales soit réelle, effective et durable. En raison des coûts d'infrastructure très élevés à la multiplication des lieux d'enseignement, on souhaite que les collectivités locales s'engagent au moins pour la moitié de ces coûts.
    • 7) que soient pensés les problèmes d'environnement. Une antenne est un lieu où l'on doit pouvoir à la fois suivre un enseignement mais aussi se documenter, se loger, se restaurer. Jusqu'à présent on peut dire que ces problèmes n'ont pas été fortement pris en compte.
    • 8) il n'y a pas de possibilité d'antenne si la filière concernée n'est pas saturée dans l'université de rattachement.
    • 9) il faut intégrer l'antenne dans le schéma régional.
    • 10) établir des comptes rendus de leur fonctionnement afin de connaître et de suivre leur développement.

    Ces dix conditions sont des voeux, il n'existe pas de code de bonne conduite mais elles donnent les indications de notre politique.

    Rapport avec la documentation. Il ne peut être envisagé indépendamment du reste. L'observation de l'existant montre qu'on ne peut pas réfléchir sur un modèle unique. Deux sont possibles : soit un recours à des organisations existantes ; on parlera alors des BM, ce qui suppose des moyens de part et d'autre, la volonté de coopérer et une bonne entente entre les acteurs. Il existe d'excellents exemples ! Ou deuxième voie, la construction ou la rénovation d'équipements spécifiques et la mise en place d'une mini BU. Dans tous les cas on reviendra aux problèmes de fond : est-ce une antenne officielle ? Est-ce une convention qui l'a créée ? Comment se situe la participation des partenaires en matière de financement et d'emploi ?

    Un des buts à se fixer quand on entre dans cette logique, c'est de mettre au point une convention type précisant les conditions de mise à disposition des locaux, les emplois, les équipements et les règles précises de fonctionnement. L'Etat peut participer aux crédits de premier équipement pour acheter un premier fonds d'ouvrages ou du mobilier. On peut aussi prévoir par convention qu'une partie des droits de bibliothèques (soit 16 % des droits payés par les étudiants à l'inscription en université) soit ristournée à l'antenne ; également sur la part de subventions ministérielles un quota peut aussi lui être attribué. Ces subventions sont calculées par étudiant, par unité fonctionnelle, rien n'empêche que l'antenne soit considérée comme une unité fonctionnelle et qu'elle ait donc une subvention spécifique. Enfin les antennes peuvent prétendre à des crédits du CNL. En 90 une aide de 4,5 millions de francs a été distribuée à 24 antennes.

    On pense prioritairement aux problèmes de la constitution du fonds documentaire (on voit arriver des demandes de 100 à 150 000 francs pour constitution de fonds de références) mais il faut aussi penser que les bibliothèques ont un autre rôle à jouer que de distribuer des livres. Elles sont des lieux d'accueil et de travail, des lieux d'orientation vers d'autres sources. Le personnel doit être qualifié. Dans ces antennes quel type de personnel ? Quelles qualifications ? Quel type d'encadrement ?

    Nous sommes à un moment très difficile. Nous sentons que la multiplication des points d'enseignement se traduit par des charges obligatoires nouvelles auxquelles il va être relativement difficile de faire face. C'est bien ce qui justifie notre démarche de contrat et de schéma. Réussir une politique d'antennes, c'est maîtriser le développement et l'aménagement universitaire, il n'y a pas d'autre voie. J'insiste fortement.

    A partir du moment où l'on essaie de maîtriser ce développement au lieu de le suivre, il faut faire attention à ne pas induire de nouveaux déséquilibres, en l'occurrence déséquilibrer une bibliothèque municipale. Martine Blanc-Montmayeur a précisé que beaucoup de villes moyennes avaient fait un effort très important pour la lecture publique, rencontrant l'adhésion d'un certain nombre de publics.

    Attention qu'un public ne chasse pas l'autre.

    Enfin nous avons besoin d'un point très précis sur la question car nous sommes dans une situation où tout le monde est parti d'une manière désordonnée. Il est grand temps de réfléchir ensemble à ce qui peut être fait. Pour notre part nous n'avons pas de doctrine quant à la manière de faire, nous sommes à votre écoute, nous souhaitons que cette journée vous apporte des informations complémentaires et nous avons pris la décision avec l'ABF d'en publier le bilan.