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    Intervention de Gérard Courtois


    • On m'a demandé de faire le tour de France des antennes universitaires, et je précise que c'est extrêmement difficile pour deux raisons simples :
    • on n'a pas de bilan précis, clair, ou une évaluation de cette prolifération des antennes au cours des 2, 3 ou 4 dernières années.
    • les observations que j'ai pu faire, sont très parcellaires. Car faire le tour des 100 antennes aurait été un petit peu compliqué .

    Un certain nombre d'observations.

    La première fois que l'expression antenne délocalisée est apparue dans le discours du Ministre de l'Education Nationale, c'était au printemps 1987, à l'occasion de la création par le Ministre de l'enseignement de l'époque, Monsieur Valade, des premières antennes délocalisées officielles pour la rentrée 1987. Il y en avait 5, dont 3 en région parisienne. En 90, il y en a environ 70 officielles, plus une trentaine d'autres. La progression est absolument spectaculaire. Mais si on a à peu près connaissance du nombre d'antennes, il nous manque un bilan précis du nombre d'étudiants qui les fréquentent. Des estimations par observation sur le terrain faites par le Ministère, tournent autour de 500 à 1000 étudiants par antenne. Soit un total de 60 000 à 80 000 étudiants sur un effectif de 1,1 million à la rentrée 89, et de 1,2 million à la rentrée 90.

    C'est encore à la marge, mais ça n'est plus négligeable. Projetons-nous dans l'avenir, gardons ce chiffre d'une centaine d'antennes, avec pour chacune de 1000 à 5000 étudiants, selon les voeux du ministère. Elles accueilleront d'ici 5 ans, de 3 à 400 000 étudiants. Mettons ce chiffre en relation avec l'augmentation prévue du nombre d'étudiants à cette échéance : on s'attend à l'horizon 95, à 350 000 étudiants supplémentaires, voire pour certaines estimations 500 000. Ce que je veux dire, c'est que l'on a une sorte d'adéquation un peu caricaturale entre le potentiel d'accueil que représenteront demain les antennes, et l'augmentation des flux d'entrées à l'université sur la même période.

    Les antennes constituent, même si le rapport tel que je le présente est beaucoup trop mécanique, la seule façon actuellement pour l'Etat comme pour les collectivités locales,de résoudre les problèmes quantitatifs. Cette toile de fond est indispensable à connaître avant de considérer la manière dont ces antennes se sont mises en place, et se sont développées. Loin d'être un épiphénomène, elles sont le passage obligé vers un enseignement supérieur de masse, qui correspond à la fois à une demande sociale, à une volonté politique, à la demande des collectivités locales et des entreprises.

    J'évoquais le lancement encore marginal en 87, de quelques antennes délocalisées officiellement, et bénéficiant donc de moyens spécifiques du Ministère. A cette époque, un débat a eu lieu, qui est maintenant tranché, entre l'idée d'une antenne échelon décentralisé d'une université et la notion de collège universitaire. Sur la période 87-88, la notion de collège universitaire de premier cycle l'avait emporté. Elle devait donner à ces antennes une identité particulière dans le paysage universitaire, une sorte d'échelon intermédiaire, pédagogique et fonctionnel, entre le lycée et l'université classique commençant au second cycle. Si le débat a été tranché en faveur de l'antenne échelon décentralisé d'une université, et ce d'une manière très claire et répétitive, il reste localement quelque chose de l'ordre du soupçon, du flou, de l'incertain, sur la mission réelle de ces antennes.

    D'une manière générale, elles sont considérées comme une bonne carte à jouer par la plupart des acteurs qu'il s'agisse des étudiants, des enseignants, des collectivités locales, et bien entendu de l'Etat.

    acteurs du système universitaire

    1) les étudiants.

    Il est évident, c'est un constat général, que, quelles que soient les antennes, et où qu'elles soient, elles sont des facteurs de démocratisation d'accès à l'enseignement supérieur. En l'absence de bilan global, et d'analyse fine, tous les responsables d'antennes estiment cependant, qu'elles reçoivent les étudiants qui, autrement, pour des raisons variées, géographiques, culturelles, sociales, n'auraient pas poursuivi leurs études au delà du BAC. De manière plus empirique que scientifique, il semble que les étudiants inscrits dans les antennes sont en majorité de familles de condition plus modeste que les étudiants des universités-mères. Le domicile de la famille ou la connaissance de la ville moyenne dans laquelle le bachelier a fait ses études secondaires, facilite par un rapport de proximité, le passage vers l'enseignement supérieur pour des familles qui autrement n'auraient pas sauté le pas.

    De plus, la petite taille des antennes, des unités pédagogiques, des unités d'enseignement, où les étudiants du 1er cycle ne sont pas noyés dans l'anonymat, comme c'est le cas à Lil-le, à Paris, ou ailleurs, explique, entre autres, que les résultats aux examens, les taux de passage en 2ème année ou d'obtention du DEUG, sont au moins égaux, sinon meilleurs, que dans les universités-mères. Là, les taux d'échecs sont considérables, par manque d'équipements, de structures, de dispositifs d'accueil pour des étudiants, qui, arrivant de régions éloignées, sont souvent un peu paumés. Ajoutez-y aussi la difficulté du saut culturel et psychologique, plus facile à faire dans les antennes.

    2) les collectivités locales.

    Il est important que les collectivités locales aient retrouvé le chemin de l'enseignement supérieur. A travers la prise de conscience forte de la problématique formation-emploi, formation initiale et continue, emploi et développement économique, les lois de décentralisation ont conféré aux régions, aux départements, et aux communes, une partie de la gestion du système éducatif.

    Il est évident qu'à partir du moment où l'on est responsable, par exemple pour les régions, des investissements en matière d'enseignement secondaire, on ne peut pas penser la programmation des lycées sans réfléchir au prolongement, qu'il soit dans ces mêmes lycées (BTS, STS...) ou qu'il s'agisse d'un prolongement universitaire. Ainsi la notion de développement économique et cette implication en investissement en matière éducative ont provoqué une sorte de déclic, au milieu de la décennie 80, qui a correspondu au démarrage des antennes.

    J'ajoute qu'au niveau des collectivités locales, dans bien des cas on a l'impression qu'elles ont un peu épuisé les projets à grosse valeur ajoutée sur le plan politique : on a eu les MJC, les complexes sportifs, les Maisons de la Culture, les centres pietonniers, et maintenant on a les universités ! Et chaque ville de plus de 40 à 50 000 habitants se fait un devoir, sous peine d'avoir l'air ringard, d'avoir quelque chose qui ressemble à une université.

    Bien entendu, à partir du moment où elles s'impliquent, pour ces différentes raisons toutes plus importantes les unes que les autres, dans le développement de ces antennes, les collectivités locales à des échelons variés y mettent des billes, que ce soit sous forme d'équipement, de locaux, de terrains à construire, de logements étudiants, ou autres.

    3) l'Etat.

    Les antennes sont pour l'Etat une soupape de sécurité pour éviter que les 75 universités mères ne puissent accueillir les flux qui se présentent à leur porte. Elles sont aussi, compte tenu de l'engagement financier des collectivités locales, une soupape de sécurité en terme budgétaire. Un des paramètres pris en compte par le Ministère de l'Education Nationale pour reconnaître les antennes, c'est la clarification des dépenses entre partenaires. Afin de compenser les surcoûts induits par la dispersion des implantations, les collectivités territoriales concourent au côté de l'Etat aux investissements immobiliers et au fonctionnement des antennes, à hauteur minimale de 50%.

    Cet effort est indispensable pour une période de mise en place d'au moins dix ans. L'avantage est loin d'être négligeable, compte tenu de l'engagement que doit prendre l'Etat sur les universités-mères, pour l'accueil d'une autre partie du flux d'étudiants.

    4) les universitaires.

    Jouent-ils le jeu des antennes autant que les autres acteurs ?

    Y ont-ils intérêt ? Oui et non.

    Un certain nombre joue le jeu pour des raisons pédagogiques très nobles, des raisons personnelles, s'ils habitent dans la ville moyenne qui dispose d'une antenne, des raisons de facilité d'enseignement (petit nombre, proximité...), pour obtenir des taux d'heures complémentaires remis à niveau. Cela peut compter dans l'enthousiasme des enseignants qui fréquentent les antennes.

    Les réserves :

    Le risque, si des schémas concertés (Etat, régions, universités), n'étaient pas suffisamment solides, c'est celui de l'émiettement du tissu universitaire français. Au-delà des petits pôles de premier cycle, beaucoup s'attendent à ce que ces antennes deviennent des embryons d'université, puis des universités de plein droit. Prenons la phase critique d'une antenne lorsqu'elle regroupe de 2 à 5 000 étudiants. De quel droit sinon historique, Avignon avec 3 000 étudiants comme Pau avec 5 000 disposeraient d'universités de plein exercice, alors que l'antenne X n'y aurait pas droit ? La pression va être très forte. Elle le sera d'autant plus que, indépendamment de la pression politique des élus, c'est ainsi que sont nées dans les années 60, une bonne partie des 72 universités existantes actuellement. Ces collèges ou antennes, ont acquis leur statut d'université de plein exercice par sédimentation, par gonflement d'effectifs. Ce double risque, atomisation ou multiplication des universités, existe.

    D'autre part, est-ce qu'un tissu universitaire de cette nature avec les problèmes pédagogiques et financiers que cela entraîne, permet à la France de tenir la route dans l'Europe de l'an 2000 ? Aura-t-on des masses critiques universitaires suffisantes pour soutenir la concurrence des grandes universités britanniques, allemandes, italiennes, ou espagnoles ?

    Il existe aussi un risque de coupure entre les antennes et la recherche universitaire. Cantonnées dans les premiers cycles, et compte tenu de ce que sont les premiers cycles dans les universités, elles sont très éloignées de la recherche. On me dira ce sont les mêmes enseignants chercheurs de la maison mère qui assurent l'enseignement dans les antennes. Ils font donc passer ce qu'ils font passer dans les premiers cycles traditionnels. Oui et non : à côté de la petite minorité qui choisissent les antennes par commodité et proximité géographique, la très forte proportion d'enseignants issus de l'université-mère accentuera le phénomène de "turbo profs", qui viendront deux à trois heures par semaine, puis repartiront.

    De plus, on a déjà, et cela risque de s'accentuer, des nominations d'agrégés du secondaire dans les antennes, avec en arrière plan le tabou de la secondarisation.

    Enfin, il y a un risque réel d'interventions, dans les antennes, des personnalités extérieures ou locales. Dans certains cas c'est une excellente chose, dans d'autres, on n'atteint pas la qualité scientifique que l'on peut attendre d'un enseignement universitaire.

    Les antennes sont un facteur de démocratisation, mais avec des effets pervers. En effet, elles proposent principalement des premiers cycles dans les lettres, sciences humaines, droit et AES, et beaucoup moins dans les disciplines scientifiques. Autrement dit il y a un risque que des étudiants ne choisissent une discipline universitaire qu'en fonction de son existence locale. Cela pose un problème de libre orientation, et de réelle démocratisation des choix. Deuxième effet pervers : ces étudiants, d'origine plus modeste, sont de fait plutôt canalisés vers des formations courtes dont les débouchés ne sont pas assurés.

    Pour finir, signalons aussi les moyens techniques très inégaux dont disposent ces antennes selon les partenariats qu'elles ont réussi à mobiliser localement.

    Remarques :

    Si l'on compare le système universitaire français au système européen et américain, on constate que l'on est les seuls à ne pas disposer, à côté de l'université au sens classique du terme, d'autres filières telles que par exemple les polytechniques anglaises, les Fachschulen allemandes, les communities colleges americains qui accueillent maintenant 40 % des élèves américains. Dans ces trois systèmes, existent deux mécanismes d'entrée dans l'enseignement supérieur avec des finalités différentes correspondant à des profils d'étudiants différents, et adaptées à une hétérogénéité croissante de la population concernée. Faut-il voir dans les antennes une esquisse d'une troisième dimension ?

    On assiste à une diversification géographique de l'université à travers ces créations. On constate par ailleurs une diversification pédagogique par la nécessité de diversifier les filières de premier cycle. La problématique des antennes est intéressante, mais peut être inquiétante ; elle suscite des réserves. Si on imagine que ces deux types de diversification se recouvrent de façon trop mécanique, si les pôles décentralisés sur les villes moyennes sont ceux qui accueillent de manière très majoritaire des formations et des étudiants voués à des études courtes, professionnalisées, et professionnalisantes, je crois qu'on aura là un système pervers à deux vitesses dans le paysage universitaire français.