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Faut-il former les bénévoles du réseau des BCP ?

1991
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    Faut-il former les bénévoles du réseau des BCP ?

    Par Geneviève BOULBET, Directrice de la Médiathèque Départementale de la Haute-Garonne

    Une telle question peut paraître saugrenue à tout bibliothécaire travaillant depuis longtemps en bibliothèque centrale de prêt, le bénévolat représentant un paramètre quotidien et permanent de son action culturelle.

    Qu'il soit professionnel par ailleurs (enseignant, agent administratif...) ou sans emploi, le bénévole gère la bi-bliothèque-relais ou le fonds de documents prêtés dans les plus petites communes. Cette situation est dûe à la très grande atomisation des collectivités territoriales en France qui a pour résultante la faiblesse démographique des communes rurales et, par conséquent, l'impossibilité économique pour celles-ci de créer des emplois culturels. Les nouvelles lois mises en chantier par le Ministère de l'Intérieur, nous laissent penser - si elles sont votées par le Parlement - que les compétences culturelles seront confiées à des regroupements de communes.

    Cette recentralisation va dans le sens de la structuration des réseaux de desserte des bibliothèques centrales de prêt, en particulier des plus récentes qui n'ont pas à gérer l'héritage de l'histoire.

    Toutefois, si cette nouvelle donnée qui prend en compte la zone d'attractivité d'une commune et le flux de population, est satisfaisante pour l'esprit et pour l'économie du système, elle ne résout pas tous les problèmes de diffusion et de développement de la lecture. Comme la grande surface de distribution ne peut prendre en compte tous les services du détaillant de quartier ou de village, la bibliothèque mise en place au sein d'un regroupement communal, aura des difficultés à gérer une desserte de proximité si elle ne s'appuie que sur un réseau de professionnels culturels. Qu'en est-il des personnes âgées ne pouvant se déplacer ? qu'en est-il des enfants que leurs parents n'emmènent pas à la bibliothèque, ou de ces populations dites minoritaires, qu'il faut aller rencontrer ?

    Il y a là un lieu où, même dans une perspective très optimiste du développement du service public à court terme, le bénévolat garde une certaine pérennité. Or. par souci d'efficacité et pour son développement personnel, le bénévole demande une formation technique et culturelle et se tourne tout naturellement vers l'établissement - ressource départementale : la B.C.P. ou la Médiathèque du département.

    Les personnels des B.C.P., pour leur part, sont très partagés entre le désir de répondre à cette demande et de l'inscrire très clairement dans leur mission, et une inquiétude souvent exprimée. Organiser une formation pour des non-professionnels, n'est-ce pas conforter un certain nombre d'élus dans la représentation qu'ils ont de notre activité ? "Pour louer quelques jolis livres, pas besoin de sortir de Polytechnique... Je connais une brave retraitée qui s'ennuie et qui lit beaucoup...". Lequel d'entre nous n'a pas entendu ce style de réflexion de la part d'un responsable culturel au cours de sa carrière ?

    Il existe, face à ces réactions, une irritation épidermique permanente vis à vis d'une non-reconnaissance professionnelle trop souvent subie et cela est exacerbé par les propositions statutaires actuelles, tout à fait inacceptables et particulièrement significatives à cet égard. De plus, la question fondamentale posée est très clairement le problème de la non-création de poste si un bénévole est considéré comme suffisant.

    Nous évoluons donc en permanence entre deux mauvaises consciences. D'une part, nous demandons avec de plus en plus de rigueur et d'exigence un travail de médiateur culturel à des personnes dont ce n'est pas le métier et nous ne répondons pas toujours de façon satisfaisante à leur demande de formation. D'autre part, nous cautionnons des communes qui créent des services municipaux de lecture, en formant leur personnel bénévole, alors qu'il n'y a pas de recrutement de professionnels. (Même s'il est évident qu'au cours des négociations, nous mettons tout en oeuvre pour obtenir des créations de postes de bibliothécaires). Cette double vision est toutefois réductrice, car elle nous oblige à poser le problème de la formation des bénévoles sous l'angle de la nécessité... ou de la défensive. Nous devons essayer d'adopter une autre approche, ne serait-ce qu'en considérant la spécificité des bibliothèques des départements.

    Structure de coopération par excellence, mais également service délocalisé sans compétence juridique et administrative au niveau des communes qu'elle dessert, (absence d'une loi sur la lecture publique), la B.C.P. effectue l'essentiel de son activité grâce aux relations humaines. Elle est en permanence lieu de convergence entre les motivations locales et la réalisation des missions de développement de la lecture qui la caractérisent. C'est de cet espace de rencontre entre professionnels, élus, responsables et bénévoles que naît sa dynamique. Si nous voulons être objectifs, il nous faut affirmer que le bénévolat est une composante actuelle de l'évolution de la lecture publique rurale. L'ignorer, et par conséquent refuser de répondre à la demande de formation, peut nous exposer à plusieurs conséquences négatives:

    • la dévitalisation de notre réseau en le transformant en un paysage de points de desserte éclatés, sans relations entre eux, où s'effectueraient principalement des tâches de distribution ;
    • une méconnaissance du tissu local, et de ses forces vives. Le bénévole est souvent un individu nouvellement installé dans une commune. Sa sensibilité est aiguisée par son désir d'intégration et il peut également profiter d'expériences connues ailleurs. Il se présente comme le catalyseur d'énergies à peine perceptibles qui, mises en commun, génèrent une volonté culturelle. C'est souvent là que se situe la première étape d'une prise de conscience de leur responsabilité par les pouvoirs locaux. Il serait regrettable d'ignorer ce premier maillon de la chaîne et de se priver de cette diversité d'expressions culturelles ;
    • un risque de voir se développer un réseau de lecture privé par l'intermédiaire d'associations ou autres formes de groupes, où le bénévole trouverait une réponse plus adaptée à son attente de convivialité. Nous n'ignorons pas que certaines associations mettent tout en oeuvre pour former leurs adhérents à des techniques bibliothéconomiques et c'est à leur honneur.

    Il y a parfois convergence d'intérêt entre le réseau associatif et un développement démocratique d'un service de lecture publique. Mais il y a parfois glissement d'objectifs, la bibliothèque ou la section-bibliothèque deviennent le faire-valoir d'une association dans une commune, et quelquefois même, dans les cas extrêmes, un lieu de contre-pouvoir envers la municipalité. Le risque est là, surtout, de voir se créer des structures de lecture privées qui rendent difficile ensuite l'ouverture d'un véritable service public, et de se trouver paradoxalement en position de concurrence.

    Notre vigilance, en fait, outre une réflexion sur notre mission de formation, doit surtout s'exercer sur le contenu même de la formation proposée. Afin de contourner les écueils décrits plus haut, il nous faut éviter de faire ce que nous pourrions nommer de la "sous-professionnalisa-tion". De même nous devons être très clairs vis à vis de nos dépositaires. Notre formation ne leur permettra pas de devenir des professionnels. Il existe pour cela des structures spécifiques qui préparent à des diplômes permettant des recrutements, tels que le prévoient les statuts actuels. Ainsi, il ne nous paraît ni nécessaire, ni justifié de consacrer des heures à apprendre les techniques de catalogage ! Par contre, à l'issue de sa formation, le bénévole doit savoir qu'il appartient à un réseau et connaître sa place à l'intérieur de ce réseau. Nous devons aussi lui apprendre ce qu'est un véritable service public de la lecture et quels sont ses principes de fonctionnement et ses missions.

    C'est l'exigence minimum au niveau bibliothéconomique. En ce qui concerne les contenus culturels, des stages peuvent être organisés, adaptés à une demande qui se révèle multiple : littérature enfantine, romans policiers, théâtre, beaux-arts, etc. Reconnu dans son identité et sa diversité, conscient d'appartenir à un réseau où chacun possède sa compétence propre, encouragé dans son action de volontariat au sein d'un service public, le bénévole devient souvent un de nos meilleurs soutiens auprès des municipalités pour développer la bibliothèque et même parfois créer des emplois de professionnels, garantie de la continuité du service.

    Le bénévolat, en effet, n'a qu'un temps. Une enquête nationale du Secrétariat d'Etat à la Jeunesse et aux Sports, auprès des associations, avait révélé que la durée moyenne de service gratuit auprès de la communauté était de 5 ans.

    Face à ce chiffre, nous pouvons nous poser le problème de la rentabilité économique du système. Est-il vraiment utile de consacrer disponibilité et argent à la formation d'individus qui ne participent qu'un temps au développement du réseau ? Notre réponse est positive.

    Il est toujours affirmé qu'en matière culturelle, l'offre précède la demande. Il est donc particulièrement important de provoquer l'offre et de saisir ce moment privilégié où un processus de développement va s'enclencher. Mais il est vrai qu'en matière de formation, rien n'est jamais terminé et que nous devons assurer en permanence un suivi pour qu'une structure ne régresse ou ne stagne pas.

    Le financement devra également suivre et sera, selon le degré d'implication des conseils généraux, soit départemental, soit croisé communes/ départements avec parfois d'autres partenaires comme les C.N.F.P.T.

    Située à la confluence entre l'intérêt individuel et l'intérêt collectif, la formation du bénévole-dépositaire de B.C.P. nous paraît être un des vecteurs les plus importants d'un développement dynamique des réseaux départementaux. Sa mise en oeuvre est sous-tendue par les principes fondamentaux qui régissent nos missions, mais répond également aux spécificités de chacun dans un souci de créativité et de liberté.