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Le service des acquisitions du département des entrées étrangères

1991
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    Le service des acquisitions du département des entrées étrangères

    Par Elisabeth Vilatte, Conservateur en chef, responsable du service des Acquisitions

    Depuis quelques années, l'attention du public intéressé par la Bibliothèque Nationale s'est davantage tournée vers son fonds étranger. Il semble donc opportun de présenter l'activité du Service des acquisitions, en le situant tout d'abord dans l'ensemble des services qui concourent à l'accroissement des collections.

    La Bibliothèque Nationale bénéficie de quatre sources d'enrichissement : les dons, les échanges internationaux, le dépôt légal, qui détermine sa position d'exception par rapport aux autres bibliothèques en lui assurant, dans ses modalités actuelles, l'entrée de la quasi totalité de la production française, et les acquisitions, qui compte tenu de cette originalité, ont trois missions : compléter les lacunes du D.L., enrichir la Réserve et poursuivre la constitution du fonds étranger. Le Service des acquisitions relève du département des Entrées étrangères, où sont regroupés les services responsables de 1'" entrée ", hors D.L., des collections abritées au département des Livres imprimés et à celui des Périodiques. Les autres départements ont leurs propres services d'acquisitions.

    Sans omettre l'apport que représentent pour certains pays les échanges internationaux, la part prépondérante qu'occupent les acquisitions à titre onéreux rend notre activité à peu près entièrement dépendante des crédits alloués sur le budget de la B.N. Or ils ont été insuffisants depuis la fin de la Première guerre mondiale jusqu'au début des années 80. Ensuite leur croissance régulière a permis que notre activité se développe, mais nous partions de très bas et 5 MF en 1989 ne correspondent qu'au budget d'acquisition de la bibliothèque d'une université comme Würzburg ou Regensburg, en Allemagne ! (cf. en annexe les budgets 1981 à 1990).

    A partir de 1990, le projet de construction de la Bibliothèque de France, qui prévoit, entre autres, un développement important des collections étrangères provoque, dès à présent, dans le cadre même de la B.N., une augmentation des acquisitions. Une allocation budgétaire ponctuelle a permis d'amorcer une croissance à la fin 1990, à partir de 1991 une convention régit l'allocation accordée à la B.N. par l'établissement constructeur sur ses propres crédits, une part en revient aux acquisitions ; mais elle ne bénéficie pas seulement au fonds étranger, car la constitution de collections d'usuels et d'ouvrages destinés au libreaccès, qui sont actuellement des doubles majoritairement français, représente une dépense importante.

    Achats rétrospectifs français ou pour la Réserve

    Deux de nos activités ne profitent pas encore de ces crédits supplémentaires, ce sont les achats rétrospectifs français et ceux pour la Réserve.

    Les dispositions de la loi du D.L. n'ont pas toujours autorisé une collecte satisfaisante des documents ; la loi de 1943, qui nous régit actuellement, en confirmant un contrôle croisé entre les dépôts éditeur et imprimeur, institué par la loi de 1925, a permis un progrès important. Restent les lacunes anciennes, en particulier dans l'édition provinciale ou à compte d'auteur, auxquelles s'ajoutent celles dues à l'ignorance ou à des négligences, et qu'il est parfois difficile de repérer à temps.

    Notre souci est d'identifier ces lacunes par des dépouillements bibliographiques et aussi avec la collaboration des différents services du département des Livres imprimés, comme l'Inventaire ou la Salle des catalogues, qui dans leur travail quotidien peuvent constater des lacunes ou des disparitions d'exemplaires. Le récolement devrait être une source d'information intéressante. Notre fichier de desiderata a un classement systématique qui permet un rapprochement rapide avec les listes ou catalogues de libraires d'occasion. Des documents comme les tracts politiques ou publicitaires, les faire-part intéressent aussi nos collections et font parfois l'objet d'achats en vente publique. Nous savons que nous ne pourrons jamais trouver et acheter tout ce qui nous manque, car nous sommes trop dépendants du marché de l'occasion, et donc du hasard, mais un doublement de l'unique bibliothécaire qui a cette charge augmenterait nos chances. Pour l'instant, bien que le fonds français soit le seul où la B.N. reste encyclopédique, nous devons privilégier les ouvrages de littérature, d'histoire, de philosophie et de religion, au détriment des autres domaines intellectuels.

    Certaines des publications qui n'entrent pas par D.L. seront achetées spécialement pour la Réserve ; c'est le cas souvent pour les éditions originales, dont nous ne possédons qu'un tirage ultérieur, et c'est toujours le cas pour des livres précieux par leurs illustrations, leur reliure ou leur typographie, des exemplaires de tête, illustrés ou sur grand papier, des livres d'artistes contemporains, des ouvrages français inconnus des bibliographies, des exemplaires présentant des particularités, comme des dédicaces ou des annotations manuscrites, des pièces exceptionnelles par leur provenance. Ce type d'ouvrages est souvent proposé en vente publique, où la B.N. dans son rôle de conservateur du patrimoine peut exercer, après l'adjudication, son droit de préemption. Le contrôle en douane des ouvrages destinés à l'exportation permet très exceptionnellement des achats intéressants. Le choix de ces achats relève, depuis 1986, entièrement des spécialistes de la Réserve.

    Un fonds de recherches en sciences humaines

    La Bibliothèque Nationale est longtemps restée attachée à une conception encyclopédique de son fonds, donc en y incluant la production étrangère. Le comte de Pontchartrain, au début du 18e siècle écrivait à l'Abbé de Louvois, garde de la bibliothèque du Roi que " rien n'était sans doute plus important que de s'appliquer chaque année à enrichir de tout ce qui s'imprimait dans tous les pays ". Le rêve de rassembler tout le savoir humain, même s'il conserve une séduction intellectuelle indéniable, n'a pas résisté à la réalité : le développement phénoménal de la production imprimée impose la nécessité d'une sélection dès la fin du 19esiècle et petit à petit, sans d'ailleurs qu'à ma connaissance, la décision en ait été un jour publiée nettement, elle conduit à l'exclusion des ouvrages de sciences pures et appliquées, de médecine et de droit. Et, comme par ailleurs, du fait même du nombre, l'imprimé n'a plus du tout le caractère exceptionnel qu'il avait encore au 18e siècle, nous devons, même dans les domaines intellectuels couverts, exclure tout ce qui relève de la vulgarisation, qu'elle soit de bon ou de mauvais aloi. Sont aussi exclus actuellement les ouvrages de littérature enfantine, le matériel pédagogique et la plupart des traductions et anthologies.

    Enfin, notre fonds étranger a traditionnellement harmonisé les deux conceptions qui peuvent déterminer le profil du fonds étranger d'une bibliothèque nationale : celle qui préconise la collecte de tous les documents relatifs à son propre pays, et celle qui aboutit à la constitution d'un fonds étranger proprement dit qui illustre, dans les domaines intellectuels retenus, l'avancement des connaissances tel que le reflète la production imprimée des autres pays. Notre politique d'acquisition tient compte de l'une et de l'autre, sans ambitionner l'exhaustivité pour aucune. Et comme tout choix, même bien réfléchi, arrêté dans un souci d'équilibre et d'objectivité, à partir d'une information aussi vaste que possible, reste néanmoins un exercice d'élagage, nous écartons des titres qui d'un autre point de vue ou à une autre époque sont ou seront sûrement considérés comme indispensables à la qualité documentaire du fonds. Certains peuvent avoir ainsi échappé à notre vigilance. C'est pourquoi, nous apprécions toujours qu'ils nous soient signalés par d'autres services de la bibliothèque ou par nos lecteurs.

    Si nous pouvons désormais compter sur des budgets honorables, nous renoncerons avec soulagement à une politique d'échantillonnage, et nous aurons dès lors beaucoup plus d'aisance pour faire face à notre responsabilité : constituer, à partir de la production imprimée (livres et périodiques) de presque tous les pays du monde, un fonds de recherche en sciences humaines, c'est-à-dire philosophie, théologie, sociologie, ethnologie, linguistique, philologie, art, littérature, histoire, géographie humaine, histoire du droit et des sciences, et, en bordure de ce fonds traditionnel, des domaines comme la psychologie, les sciences économiques et sociales où nous nous limitons aux ouvrages de synthèse et à ceux qui traitent ces sujets d'un point de vue théorique, philosophique ou historique.

    Domaines linguistiques

    Le Service des acquisitions est organisé par secteurs linguistico-nationaux et compte actuellement 11 spécialistes : allemand (Allemagne, Autriche), italien, anglais (R.U., Australie, Nouvelle Zélande), américain (USA, Canada), espagnol-portugais (Espagne, Portugal, Amérique centrale et Amérique du Sud ; 2 agents), africain (Afrique du Sud du Sahara), Pays-Bas-Belgique-Suisse-Québec, pays nordiques (Dane-mark, Islande, Norvège, Suède, Fin-lande), grec, hongrois. Certains spécialistes du Service des langues slaves et orientales émargent également au budget des acquisitions, ce sont traditionnellement les responsables des fonds arabe, hébraïque, indien, japonais et persan, plus récemment ceux des fonds chinois et vietnamien.

    Cette organisation par grands domaines linguistiques exige de chaque spécialiste qui doit posséder, outre la maîtrise linguistique, une connaissance approfondie de la vie universitaire et intellectuelle du ou des pays dont il a la responsabilité, qu'il soit la personne le mieux informée de la production imprimée où il fera ses choix ; il se doit, en vrai bibliothécaire, de dominer l'information bibliographique officielle et commerciale ainsi que le monde éditorial auquel il est confronté. Il se trouve ainsi à la source même de l'information documentaire et peut y faire des choix de première main ; des revues critiques et la connaissance des particularités intellectuelles de chaque pays sont alors des aides précieuses ; il n'existe en effet pas de critères universels de choix ; ceux qui prévalent pour les Pays-Bas ne pourront être retenus, par exemple, pour l'Argentine. Cette organisation garantit, sur une envergure géographique qui n'est pas négligeable, précision et rapidité des choix. De plus, pour obtenir, une fois les sélections faites, les meilleurs résultats, nous achetons directement dans le pays éditeur le libraire sur place est celui qui connaît le mieux le marché local du livre. Ce procédé nous évite par ailleurs les frais de commission. Les avis des spécialistes par discipline sont dans une seconde étape très précieux, je pense à certains de nos lecteurs réguliers, par exemple un égyptologue, un spécialiste du Bas-Empire romain, un autre de la littérature anglaise de la Renaissance, qui nous communiquent des demandes aux motivations très sûres. Mais ils sont peu nombreux, et nous le regrettons vivement. C'est pourtant un réflexe beaucoup plus positif que de déplorer en vrac des lacunes considérables ! Il ne faut pas que ces demandes arrivent trop tard, car l'ouvrage risque d'être épuisé, c'est l'un des inconvénients des achats à partir de bibliographies spécialisées.

    Acquisitions rétrospectives

    Les lacunes seront, à l'avenir, moins nombreuses si les crédits se maintiennent. Mais pour le passé elles existent et jusqu'à présent nous ne pouvions que les regretter, des budgets à peine suffisants pour le courant ne pouvaient servir à des achats rétrospectifs. En 1990, nous avons pu obtenir la création d'un poste de conservateur pour les acquisitions rétrospectives étrangères. Mais même en se limitant au 20esiècle, c'est une tâche titanesque pour une seule personne, car, d'une part il s'agit quasiment du monde entier et, d'autre part, comme il n'y a tout de même pas que des lacunes dans le fonds étranger, des dépouillements très nombreux ne donnent qu'un tout petit nombre de titres manquants, bien identifiés et rarement disponibles. Enfin, le morcellement actuel des catalogues de la B.N. rend acrobatique les recherches préalables à toute décision. Néanmoins, les résultats, avec une demi-année de recul, sont suffisamment intéressants en qualité et en quantité pour qu'il faille prévoir un financement sérieux dès 1992.

    Jusqu'en 1990, les achats d'usuels et d'ouvrages destinés au libre-accès dans les salles de lecture occupaient une personne à mi-temps, les développements liés au projet Bibliothèque de France imposent que ce soit désormais un poste à temps complet. Comme il n'y a pas de choix à effectuer, mais un lourd travail d'identification bibliographique, c'est un poste de bibliothécaire adjoint. A terme, son titulaire devra pouvoir préparer ainsi la commande d'ouvrages étrangers sélectionnés par les salles de lecture ou de bibliographie.

    La gestion administrative de l'ensemble de ces achats occupe actuellement trois personnes, l'enregistrement, diverses statistiques et le secrétariat trois personnes également. Pour tous ceux qui comme moi travaillent depuis longtemps au Service des acquisitions et sont attachés à ce qu'il réalise, voir reconnue l'importance du fonds étranger a été une grande satisfaction, nous avons l'impression de n'être plus à la merci de suppression de crédits, telle que celle de 1980 qui avait interdit toute activité. Par ailleurs, comme, pour tous les postes actuellement pourvus, les titulaires sont capables d'assumer le développement qu'impose un quasi doublement du budget, il était souhaitable qu'intervienne un allégement des diverses étapes matérielles du processus de commande. Le choix d'une automatisation, à mettre en place dans ce contexte difficile est un défi, car nous devons pouvoir, en 1995, remettre à la Bibliothèque de France un fonds étranger en sciences humaines d'une valeur incontestable.

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    Crédits du service des acquisitions