Le troisième volume de l'Histoire des bibliothèques a paru fin octobre 1991. Il nous présente les bibliothèques à l'époque révolutionnaire et au XIXesiècle jusqu'à 1914. Qui saurait juger au fond un tel ouvrage réalisé par des spécialistes qui ont su exhumer d'archives de toutes sortes l'histoire de nos bibliothèques ? Monument d'érudition, fruit de nombreuses contributions remarquables, il frappe d'abord par son unité. L'art d'élaborer une somme aussi importante réside, en effet, dans sa structuration et la coordination de toutes les parties entre elles jusqu'à une cohésion parfaite de l'ensemble. La synthèse s'échafaude sur le partage des champs d'étude et la délimitation stricte et rigoureuse de ceux-ci, ainsi que sur une excellente circulation de l'information entre les différents rédacteurs participants. On devine à peine cette construction coordonnée, rigoureuse et indispensable. Elle s'estompe pour disparaître tout à fait à mesure que grandit le plaisir d'une lecture continue que ponctuent les encadrés, assouvissement de petites curiosités éparses et anecdotiques, plaisirs supplémentaires.
Une iconographie de grande qualité, choisie par Bénédicte Roulier, aère un texte qui aurait pu sembler rébarbatif. D'une très grande variété, les illustrations ont été sélectionnées par thèmes et illustrent chaque exposé en mettant en valeur les points forts. On cherche un peu de couleur dans ce traité chic relié en toile gris perle, imprimé sur papier couché gris mat. L' Histoire de l'édition avait choisi un papier vergé crème et des illustrations en noir et en couleur qui renforçaient le caractère luxueux de l'entreprise. Cependant, l'Histoire des bibliothèques françaises reste un bel ouvrage, moins austère qu'il ne pourrait prêter à croire par son camaïeu de gris.
Certains chapitres s'enrichissent d'un nombre très important de notes, de sources, de renvois bibliographiques. Une bibliographie bien construite et très complète précède un index suffisamment développé grâce auquel on peut retrouver tout sujet intéressant traité à différents endroits.
Le plan présente trois parties : la Révolution, les défis et réponses du XIXe siècle, les bibliothèques et leurs pratiques. L'accroissement brutal des collections des bibliothèques avec les confiscations révolutionnaires soulève le problème de traitement de ces masses de documents. Les réponses évidentes à ce défi sont la formation, le contrôle de l'Inspection générale, la définition de techniques telles que recensement, conservation, et surtout, quelques bibliothécaires exceptionnels. Nous découvrons ces derniers, écrivains dans l'âme, poètes confirmés, grandes figures littéraires, tels Sainte-Beuve, Lecontede-Lisle, Nodier,... ou bien bibliothécaires prestigieux, intelligents et professionnels comme Weiss à Besançon, Peignot à Vesoul... La création de l'Association des bibliothécaires français, événement qui aurait mérité un chapitre ou un encadré, nous laisse sur notre faim car il faut chercher à plusieurs endroits dans le volume par le biais de l'index. On devine pourtant l'importance de bibliothécaires comme Charles Sustrac et Eugène Morel, militants d'une bibliothéconomie pratique et efficace, qui, avec l'ABF, vont marquer profondément le vingtième siècle.
Unissant les trois parties entre elles, se déroule la vie des grandes bibliothèques du XIXesiècle, Bibliothèque nationale en tête, suivie par la Bibliothèque du " Panthéon ". (Elle ouvre déjà, de 10 heures à 22 heures et reçoit deux à trois cents lecteurs le matin, cinq à six cents le soir dès 1838. Elle dispose, innovation rare à cette époque dans les bibliothèques, de deux poêles calorifères et d'un éclairage au gaz). Après Sainte Geneviève défilent l'Arsenal et la Mazarine, puis le Museum, la Bibliothèque historique de la Ville de Paris, Forney... Arrivent ensuite la Bibliothèque administrative de la Ville de Paris, les bibliothèques universitaires, les municipales, sans oublier les bibliothèques de l'armée et de la marine. Les bibliothèques religieuses vont clore ce panorama.
Dans le dernier tiers du livre, les réseaux de la lecture de masse, abordent le problème essentiel que représente la lecture pour les bibliothèques. Les questions fusent : lit-on ?, qui lit ?, où ?, comment ?, quoi ? ... Cabinets de lecture, bibliothèques populaires, scolaires, paroissiales diffusent une lecture moralisante, édulcorée selon des objectifs précis. Quant au bibliothécaire, il doit maintenir l'ordre, acquérir des ouvrages selon des critères de décence et de bon goût.
Le premier travail de l'Association des bibliothécaires français, une enquête sur les bibliothèques municipales de province, permet à Charles Sustrac, le rapporteur, d'écrire : " les bibliothèques sont faites pour le lecteur et celui-ci n'y trouve pas ce qu'il cherche parce qu'elles sont encombrées de vieilleries inutiles "... Il dit aussi " Le bibliothécaire n'est pas un savant : comme bibliothécaire, il n'a pas de travaux originaux à réaliser... Il a simplement à mettre le savoir à la disposition du lecteur en lui évitant le plus possible de tâtonnements et de perte de temps... " On ne pouvait mieux conclure et introduire le quatrième volume de l'Histoire des bibliothèques.
" 1789-1914 " , présente un siècle et quart d'histoire des bibliothèques et de la lecture en France. Bien que la période soit deux fois plus courte que la précédente, l'histoire en est plus importante au point que le volume semble avoir de la peine à la contenir. Les bibliothèques d'aujourd'hui y plongent leurs racines, bibliothèques municipales, bibliothèques universitaires et d'étude. Naissent alors les premiers principes de bibliothéconomie, la formation et la presse professionnelle, les grands catalogues, la lecture de masse,... L'Inspection générale des bibliothèques et le CAFB (certificat d'aptitude aux fonctions de bibliothécaire) ont été institués au XIXesiècle. Ces deux institutions contribuaient, avec la création de l'École des Chartes, à lutter contre le dilettantisme de certains bibliothécaires que la charge honorifique intéressait plus que l'exercice d'un professionnalisme efficace. L'année ultime qui nous ouvre l'Europe les voit disparaître au fin fond de la réforme statutaire, sans remous, ou presque...