Index des revues

  • Index des revues
    ⇓  Autres articles dans la même rubrique  ⇓

    Evaluation et bibliothèques

    Quelles réponses ?

    Par Jean Goasguen, Inspecteur général des bibliothèques

    La principale vertu qu'on L attend de l'universitaire, du chercheur, c'est que son discours pose les bonnes questions.. On juge assez sévèrement aujourd'hui ceux qui ont dépassé cette fonction en donnant des réponses, et même des réponses à tout... Car on attend du chercheur qu'il ébranle des certitudes, des préjugés, et non qu'il distribue des recettes sociales et pratiques.

    De ce point de vue, les participants au congrès d'Arles ont été gâtés. Aucun des intervenants n'a cherché à dissimuler la complexité des choses, aucun n'a prétendu apporter la solution aux problèmes. Fortement pénétrés par ces propos, les participants en ont oublié de débattre sur les nombreuses expériences ou réalisations dans lesquelles ils sont impliqués, et d'articuler ainsi ces pratiques avec les théories exposées.

    Dans ces conditions, comment faire une synthèse des différentes solutions et réponses existantes ou envisageables, en l'absence d'un débat qui n'a pas eu lieu, et dont on pouvait cependant attendre beaucoup ?

    Telle est la raison pour laquelle le titre cidessus (utilisant déjà pourtant une formulation plus prudente que le titre figurant dans le programme initial (1) , me paraît encore peut-être un peu trop hardi. Je préfère me limiter au sujet suivant : "quelques leçons à tirer de toutes nos pratiques et expériences, à mettre en relation avec le dit et le non-dit du congrès d'Arles".

    Les trois champs d'intervention

    Les organisateurs du congrès avaient considéré, après réflexion et discussions approfondies, que le thème général choisi devait être développé (par les intervenants et leurs "modérateurs") selon trois axes, correspondant à trois secteurs d'intervention des bibliothèques :

    • les interventions dans le système d'éducation ou avec lui ;
    • les interventions sur le terrain de laformation continue;
    • les interventions en soutien de l'éducation autodidacte.

    En fait, seul le premier axe a été abordé au cours des journées d'Arles (et surtout de façon théorique). Mutisme qu'explique peut-être le premier des constats suivants.

    Les principaux constats

    Chacun a pu constater, en effet, que les réponses sont de plus en plus difficiles, les possibilités de structuration de moins en moins aisées (voire inexistantes), lors-qu'on passe du premier secteur d'intervention, celui de l'enseignement, tout de même assez familier, voire "complice" (selon l'expression de Jean-Louis Fabiani) au deuxième et au troisième secteurs.

    Une autre observation générale, applicable à l'ensemble des rapports entre bibliothèques et Education, c'est le contexte général de foisonnement des initiatives, des expériences, des incitations. Laissons de côté pour le moment les initiatives mauvaises et les expériences ratées ou avortées. Faisons le pari que les bonnes initiatives et les expériences réussies sont majoritaires, et même largement majoritaires. Mais, après un temps plus ou moins long, les militants et les expérimentateurs s'essoufflent, et les enthousiasmes retombent.

    D'où le désir, le besoin, la nécessité de pérenniser les expériences réussies et les initiatives heureuses.

    Alors, les uns et les autres aspirent à des structures, à des institutions. Mais un nouveau constat s'impose alors : il est d'abord, hélas, dans la nature des institutions et des structures de s'user, de se scléroser.

    De toute façon, le contexte où nous sommes, c'est celui de la décentralisation, du décloisonnement, de l'éclatement de toutes les structures, et il favorise précisément cet éparpillement des initiatives. Par exemple, l'Education nationale elle-même est profondément engagée dans la logique du projet d'établissement (comme le rappelait notamment Gérard Losfeld).

    D'où l'idée de ne pas rechercher les réponses dans la création d'institutions ou de structures lourdes, mais principalement dans le partenariat. Cette pratique s'impose maintenant partout, c'est notre nouvelle logique, presque notre seconde nature, certains vont même jusqu'à parler d'une "idéologie du partenariat" (2) , sur laquelle il convient certainement de rester lucides, en effet.

    Le partenariat est, à coup sûr, plutôt incontournable, car tous ces acteurs du terrain éducatif, comme l'a rappelé récemment le conseil supérieur des bibliothèques - et c'est plus ici qu'un constat, c'est un principe de base - ne sont pas et ne veulent pas être hiérarchisés. Relevons au moins deux gros inconvénients issus de cette situation :

    • a) on assiste fréquemment à un entrecroisement, à un enchevêtrement de participations diverses (entraînant confusion et gaspillages) ; par exemple un même dossier de BCD sera présenté au service Education Jeunesse du conseil général, au service des Affaires culturelles du même conseil général (au titre du "Plan lecture" du département), à l'inspection académique (pour obtention d'heures supplémentaires)..., sans la moindre concertation entre ces différentes instances ;
    • b) non hiérarchisés, les partenaires n'en sont pas moins inégaux en taille et en puissance. Même décentralisé, le partenaire "Education nationale" ne pèse pas du même poids que beaucoup d'autres.

    De ces différents constats, découlent donc quelques nécessités pour l'action.

    De quelques évidentes nécessités à quelques ébauches de propositions

    On se sent presque gêné d'avoir à rappeler la nécessité première, la règle du jeu du partenariat. Dans tous les cas de conventions, plans, programmes, etc, il faut vraiment un accord réel des partenaires sur des objectifs, et pas seulement un accord de façade et d'opportunité sur des financements croisés. Ce qui sous-entend un véritable esprit de coopération, dont une expérience relatée au cours du congrès (la coopération entre le Rectorat et la bibliothèque municipale de Besançon) fournit une illustration particulièrement intéressante. Des dizaines d'autres exemples (mettant en oeuvre d'autres formules) pourraient certainement être cités.

    L'expérience enseigne, en second lieu, que ces conventions plans, etc, doivent être pluriennaux, avec engagements financiers pluriennaux (ce qui est, comme chacun sait, en principe incompatible avec l'annualisation des budgets des collectivités publiques... mais ce qui est néanmoins faisable s'il y a réelle volonté politique) et accord explicite sur des perspectives à long terme.

    La réalisation de ces deux premières conditions permet de mettre en oeuvre un suivi minimum des actions.

    Pour obtenir un suivi plus durable et plus solide, il faut que toutes ces expériences, ces "plans", etc, soient évalués. Or, deux exemples "historiques" suffiront à montrer que l'Etat lui-même n'a pas toujours suivi cette règle d'or :

    1) l'expérience de bibliobus scolaires lancée à partir de 1968 dans huit départements n'a jamais été évaluée ;

    2) l'opération "Bibliothèques centres documentaires", lancée en 1984, dans une vingtaine de lieux pilotes de quatre académies, par convention entre le Ministère de l'Education et celui de la Culture (auxquels se joignit le Fonds d'Action sociale en 1986), n'a jamais fait l'objet d'une évaluation. Pourtant les deux ministères avaient convenu de procéder à celle-ci, mais le ministère de l'Education, relancé par son partenaire, s'est trouvé dans l'impossibilité d'élaborer une méthode satisfaisante et de faire remonter les informations de la base.

    Ensuite, bien entendu, il faut chaque fois que possible, tendre à la constitution de réseaux.. Même si la règle n'est pas générale, on observe qu'il y a une dynamique propre aux réseaux, et on observe aussi que des élus de plus en plus nombreux sont réceptifs à cette formule, dont ils prennent d'ailleurs de plus en plus souvent l'initiative.

    Ainsi se sont mis en place des réseaux de ville, par exemple à Brest, où le réseau des BCD a été constitué sous l'impulsion de la bibliothèque municipale et où, par convention, celle-ci intervient à tous les degrés de la mise en place et du fonctionnement de ces BCD. Ainsi voit-on diverses villes (Rennes, Saint-Etienne du Rouvray, Les Ulis . .) créer un emploi de coordinateur (du niveau assistant de conservation) pour mettre en place de tels réseaux et assurer leur articulation avec celui des bibliothèques publiques.

    Au niveau départemental, les réseaux les plus efficaces sont ceux, de plus en plus nombreux, où la desserte scolaire a été supprimée ou considérablement réduite au profit d'un solide réseau de bibliothèques-relais (mais il arrive que celles-ci soient des BCD ouvertes à tout public). De plus en plus nombreux aussi sont les directeurs de BCP désignés comme directeurs départementaux de la lecture, ce qui renforce la cohésion des actions. Parallèlement, on voit des CDDP comme celui des Bouches-du-Rhône organiser la mise en réseau des CDI de leur département, ce qui ne peut que faciliter, dans une étape suivante, la co-gestion de toutes les activités de lecture et de documentation du département par la bibliothèque départementale et le CDDP, objectif tout à fait souhaitable et à encourager.

    Cette étape suivante est, en fait, l'évolution de ces réseaux et de la coopération entre réseaux (scolaire et public) vers de véritables structures. C'était, selon J.C. Le Dro, directeur de la bibliothèque municipale, "l'objectif avoué" à Brest. C'est chose faite dans d'autres villes, par exemple à Suresnes, où les BCD ont été rattachées administrativement à la bibliothèque municipale : elles constituent un service totalement intégré, auquel ont été affectés 3,5 agents, dont deux bibliothécaires. C'est, de toute évidence, l'objectif poursuivi dans les villes citées ci-dessus (Rennes, Besançon... ) et dans beaucoup d'autres : constituer un réseau unique, une structure unique.

    Le conseil supérieur des bibliothèques, dans son rapport annuel, a rappelé qu'avec différentes circulaires d'application de la loi de juillet 1983, l'appareil législatif et réglementaire existe pour organiser la complémentarité et la cohérence entre les bibliothèques publiques et celles des établissements scolaires. Un des départements dépourvus de BCP, la Seine-Saint-Denis, s'est engagé lui aussi fortement dans cette direction.

    La structure intégrée, ce n'est pas seulement au niveau du public scolaire qu'elle se met en place, mais également à celui du public universitaire de premier cycle : dans des villes moyennes comme Valence, Blois et bien d'autres, la bibliothèque municipale et la bibliothèque universitaire sont ou ne feront qu'un. Curieuse réédition en fin de siècle d'une expérience début de siècle (Clermont-Ferrand) restée unique, cette formule a besoin de faire ses preuves et d'être évaluée ; c'est pourquoi elle est sous la loupe de plusieurs observatoires attentifs (3) .

    Faut-il aller jusqu'à l'institution d'une direction des bibliothèques scolaires et universitaires au sein du Ministère chargé de l'éducation (et depuis peu, de la Culture...), comme le propose la commission de travail "Loi" de l'ABF ? J'avoue être à la fois convaincu de tous les inconvénients historiques entraînés par l'absence d'une telle direction dans le passé, et me demander si dans le contexte actuel, il s'agit d'une proposition bien réaliste. J'ai vraiment tendance à penser que non.

    Structures et moyens ne valent, bien entendu, que s'il existe des aptitudes à gérer ces situations nouvelles, et s'il existe aussi, à tous les niveaux de l'enseignement où les bibliothèques interviennent, des outils communs entre enseignants et bibliothécaires. L'étude récente de Françoise Kleltz sur la lecture des étudiants montre que, contrairement peutêtre à une idée reçue, ce n'est pas à l'université que la situation est la meilleure. Le B.A.-BA, c'est-à-dire l'information par les enseignants sur les livres universitaires, souffre de graves déficiences : "les étudiants souhaitent avoir des bibliographies de plus en plus "réalistes", c'est-à-dire indiquant clairement des ouvrages effectivement accessibles et précisant les moyens d'y accéder" (4) .

    Aux autres niveaux d'enseignement, ces outils communs sont encore très rares. Du carrefour consacré à ce sujet, on a retenu un exemple qu'il faudrait mieux connaître et promouvoir, celui du manuel de recherche documentaire à l'usage des élèves et des lecteurs de bibliothèques réalisé en Franche-Comté (le pilotage étant assuré par l'agence de coopération ACCOLAD). Mais de l'intervention de Gérard Losfeld on aura retenu aussi qu'il faut aller beaucoup plus loin en inventant de nouveaux outils de "représentation de l'information". Vaste programme... De toute façon, n'oublions pas aussi que lorsqu'il existe des aptitudes et des techniques communes, cela n'est pas toujours connu ni exploité. Par exemple, observe Pascal Sanz, les documentalistes demeurent en général persuadés que les bibliothécaires ne connaissent pas la technique d'analyse du contenu des documents.

    Essai de récapitulation

    Arrivé à ce point de la réflexion, on aura remarqué que celle-ci s'est peu à peu totalement et inexorablement concentrée sur les rapports avec le système éducatif. Il a paru alors utile d'essayer de débroussailler un peu le maquis de l'existant et du souhaitable dans ce secteur, à l'aide des deux tableaux p.30 et 31.

    Travail avec le système éducatif : de quelques difficultés permanentes

    On ne peut nier un problème récurrent pour les bibliothèques publiques (étant dans la structure éducative, les bibliothèques universitaires ne sont a priori pas concernées), c'est qu'il y a une tendance lourde de l'Education nationale, de l'enseignement, des problèmes scolaires ... à occuper tout le terrain, à accaparer la disponibilité des partenaires et, plus généralement, à scolariser, à "récupérer scolairement" tout ce qui les approche et les fréquente.

    Vignette de l'image.Illustration
    Relations avec le système éducatif : aptitudes, outils et moyens

    C'est ce qu'exprimait par exemple un conseiller pour le Livre et la lecture au colloque "BCP - Ecole" de Beauvais en 1989, à propos de l'opération BCD ci-dessus évoquée : "L'institution scolaire a digéré les plans qu'elle avait elle-même proposés : l'ouverture sur l'extérieur a disparu ou s'est nettement limitée, la libre circulation des élèves jusqu'à la bibliothèque s'est muée en une planification de la visite des classes ..." (5) .

    L'aspect strictement quantitatif de la question n'est pas nouveau. C'est "l'invasion" étudiante dans les bibliothèques municipales, qui préoccupait déjà le directeur de la bibliothèque de Dijon dans les années cinquante, mais qui concerne maintenant les bibliothécaires de Cergy, Blois, Melun, et de cent autres villes moyennes. Ce sont les 15.000 élèves desservis par les bibliobus scolaires de Tours, les 26.000 desservis par ceux de Nantes ...

    Les aspects qualitatifs ne sont pas moins envahissants. Gérard Losfeld attend des bibliothécaires qu'ils participent à la création des nouveaux outils de "représentation de l'information" (ce qui peut être, n'en doutons pas, une tâche passionnante). De son côté, Jean-Marie Privat invite les bibliothécaires à s'intéresser au lecteur comme "sujet culturel", et à travailler avec les enseignants à ce qu'il appelle "l'acculturation du monde de l'écrit" chez ce sujet, depuis la maternelle jusqu'à l'université, en poursuivant un objectif commun : construire chez chaque enfant, petit à petit, des compétences et un savoir en matière de lecture (tout cela constituant certainement aussi une tâche non moins passionnante).

    L'immensité de ces contraintes quantitatives et qualitatives amène donc plus d'un bibliothécaire à estimer que les interventions dans le champ du système éducatif sont difficilement compatibles, voire incompatibles, avec les interventions d'un autre type.

    Une première grande difficulté, c'est le caractère illimité et incontrôlé de la demande scolaire. Par exemple, en dépit de l'attitude plus que prudente adoptée au sommet par la Direction des écoles (sur certains sujets comme "l'ouverture" des bibliothèques scolaires (6) , les initiatives de "la base" se multiplient, et on constate depuis plusieurs années un réel dynamisme, en matière d'actions autour de la lecture, de la part de nombreux enseignants, inspecteurs départementaux, CDDP, mais aussi de la part des services des affaires scolaires des villes et des départements.

    Une première exigence se manifeste donc chez le partenaire bibliothécaire, c'est qu'il y ait une cohérence, une maîtrise de la demande pédagogique. Par exemple, au niveau administratif du département, l'Association des directeurs de BCP avait exprimé le souhait, à l'occasion des journées de Beauvais, que le CDDP reçoive compétence pour formaliser cette demande. A Besançon, c'est un enseignant coordinateur, mis à la disposition de la ville par le Rectorat, qui exerce cette fonction.

    Vignette de l'image.Illustration
    Relations avec le système éducatif : structures, procédures et régulations

    La deuxième exigence, c'est un bonpartage des rôles. Les bibliothécaires (de bibliothèques publiques) affirment couramment un refus de s'investir dans "le pédagogique", et même dans "l'accompagnement" pédagogique (exemple : les ouvrages en nombre destinés à la lecture suivie), domaine que J.C. Le Dro définit comme "notre domaine d'incompétence". Allant dans le même sens, certains enseignants définissent bien ce partage des rôles. Telle cette responsable d'un PAE Lecture-Ecriture qui reconnaissait aux enseignants deux fonctions spécifiques, n'incombant en aucun cas aux bibliothèques : 1) Faire naître chez les enfants une pratique culturelle que la majorité d'entre eux n'ont pas, de façon à en faire des utilisateurs volontaires de la bibliothèque ; 2) Former ces enfants à l'utilisation du document, à sa recherche, à son exploitation (7)

    Même quand tout cela est ou sera maîtrisé, il reste ou restera une difficulté fondamentale. Face à toute cette explosion scolaire et universitaire, face à toute cette diversité des initiatives pédagogiques, face surtout à cette diversité extrême des populations scolaires (qui est une nouvelle donne socio-démographique), les bibliothèques sont engagées dans une adaptation toujours plus perfectionnée de leurs structures et de leurs activités aux exigences du système scolaire et universitaire (c'est-à-dire à celles de la société). "Mieux adapter l'offre des bibliothèques municipales aux besoins des écoles", dit Hélène Richard. Mesure-t'on jusqu'où cela peut aller, lorsqu'il s'agira de s'adapter aux ambitions didacticiennes, telles que définies par Jean-Marie Privât ?

    Et, à l'inverse des bibliothèques départementales, qui ont entrepris depuis dix ans un vaste désengagement, les bibliothèques municipales sont en train de s'impliquer considérablement dans le système. Les choix ainsi exercés sont d'autant plus lourds de conséquences que les besoins scolaires, mais surtout universitaires exigent des bibliothécaires non seulement une extrême disponibilité, mais aussi de nouvelles compétences.

    Moyens et formations indispensables

    Après avoir indiqué quelques principes et recommandations relatives aux méthodes de conventionnement, à la formalisation des relations, du travail en commun, il est clair qu'on doit également rappeler la nécessité d'un dégagement régulier de moyens. C'est-à-dire, ne serait-ce que pour les seules BCD, des locaux aux normes, des budgets minima et réguliers, un personnel au moins en partie professionnel (qui peut appartenir à la bibliothèque municipale) et, de toute façon, une formation continue de tous les autres personnels ou animateurs.

    Ce ne sont pas seulement des moyens qui seront requis, ce sont aussi, en effet, des aptitudes et des formations. Il y a certainement à continuer toute cette sensibilisation des enseignants aux nouvelles problématiques de la lecture, mais on entrevoit aussi la nécessité d'intégrer sans tarder dans la formation des bibliothécaires l'aptitude à participer à cette construction du jeune lecteur, dont parle J.M. Privat, et qui a été évoquée ci-dessus.

    Un sujet important n'a pas du tout été abordé pendant le congrès : celui des antennes universitaires délocalisées dans un grand nombre de villes moyennes. Or, de par la pression ainsi exercée sur les bibliothèques de ces villes, ce sujet représentait à coup sûr une composante essentielle du thème retenu par l'A.B.F., et donc une réelle attente chez de nombreux participants. Cela dit, et bien que les choses aient sensiblement évolué depuis le séminaire A.B.F. d'Arras (septembre 1990), mieux vaut peut-être attendre le résultat des différentes enquêtes auxquelles il a déjà été fait allusion (note 3). Faisons part seulement, à titre provisoire, de deux conclusions ou observations intéressantes qui ont réuni un certain consensus en Rhône-Alpes et en Nord-Pas-de-Calais :

    • les bibliothèques municipales de villes moyennes peuvent assurer sans difficulté majeure les fonctions de bibliothèque universitaire de premier cycle, à condition d'être assistées par des bibliothèques de proximité ; pour le second cycle, les avis sont partagés ; pour le troisième cycle, c'est hors de question ;
    • un fait apparaît préoccupant, c'est l'apparition d'un système d'offre documentaire à deux vitesses : pour les premier et deuxième cycles, une offre documentaire à faire prendre en charge par le service public et, à partir du 3e cycle, une documentation concurrentielle et ayant vocation à être privatisée.

    Sur l'un et l'autre de ces deux points, le débat est lancé : ce n'est que le début !

    Un dernier mot sur les relations avec le système scolaire. Les considérations développées jusqu'à présent ne l'ont pas été pour tirer un rideau de fumée devant certains types de réponses apportées, qui constituent autant d'exemples à ne pas reproduire : expériences sans suivi ni évaluation, interventions de plusieurs administrations qui s'enchevêtrent en s'ignorant (y compris au sein de la même collectivité), plans non réalisés ou presque vides de contenu, pseudo-réponses s'apparentant plutôt à des coups médiatiques, etc.

    Bibliothèques et formation continue

    Pour les raisons déjà exposées, on ne placera ici que quelques jalons.

    Autant le concept de "formation permanente", alias "éducation permanente" appartient de très longue date au corpus des missions fondamentales des bibliothèques publiques, autant l'univers de la "formation continue" professionnelle et extra-professionnelle est plutôt mal connu de la majorité des bibliothécaires. Ceux-ci n'y sont pas totalement absents, mais assez peu présents. Ce qui tendrait à confirmer qu'ils sont souvent plus à l'aise aux marges de l'université, dont ils sont issus, qu'à celles de l'entreprise ou des secteurs de réinsertion.

    Peut-être est-ce aussi parce qu'il s'agit d'un univers à première vue difficile à appréhender, où s'affairent notamment des myriades d'associations, et où on identifie mal l'interlocuteur ?

    Les bibliothèques, en tout cas, pourraient y jouer un rôle beaucoup plus actif (8) Dans leurs pratiques de réapprentissage de la lecture, les formateurs exerçant dans ces associations ont tendance à ignorer la dimension culturelle : le réapprentissage se fait à partir de documents strictement utilitaires (bulletins de paie, feuilles de maladie...), ce qui est pertinent, mais on se limite à cela, on ne va pas au-delà. On n'utilise pas du tout, pour l'étape suivante, les bibliothèques, dont ces formateurs ignorent en général les ressources, sinon l'existence.

    L'ignorance est réciproque. Car le "public" de la formation permanente n'est évidemment pas le même qu'il y a vingt ou trente ans. Il ne s'agit plus majoritairement de personnes sans diplômes, mais avides de connaissances, n'ayant pu poursuivre leurs études pour raisons économiques familiales. Il s'agit de catégories nouvelles, parfois aux frontières de l'illettrisme : personnes nécessitant une remise à niveau "de basse qualification", bénéficiaires du RMI, personnes en stage d'insertion... La demande ne peut donc plus être la même, et elle est certainement beaucoup plus difficile à définir et à satisfaire. D'autant plus qu'elle n'est le plus souvent pas exprimée, ou pas clairement.

    Pour mieux connaître cet univers et identifier cette demande, les bibliothèques gagneraient à se rapprocher des délégations académiques à la formation continue. Les GRETA (9) relevant de ces délégations ont une compétence particulière dans ce domaine, et les CDDP, de leur côté, parce qu'ils s'intéressent aux aspects documentaires de ce vaste champ éducatif, sont des interlocuteurs utiles.

    Dans les départements, les délégations académiques sont représentées par des relais de forme variable, tantôt services à part entière, tantôt simples correspondants.

    Pour ses actions de formation continue, l'établissement public de la Villette traite avec un autre partenaire, la Délégation à la formation professionnelle du Ministère du Travail, qui dispose lui aussi de délégations régionales.

    Avant d'aller chercher bien loin ce public, rappelons que certaines bibliothèques se sont engagées depuis longtemps (avec les ex "CFPC" de leur région), dans la formation continue du personnel communal de leur propre mairie en pilotant ou soutenant des actions de remise à niveau ou de perfectionnement de la lecture, dont l'utilité pour les agents et leur collectivité (et pour la bibliothèque) s'est révélée considérable, mais dont la pérennisation demeure cependant problématique (10) .

    Sur l'accueil des personnes en insertion professionnelle, je renvoie à un article de B. Calenge (11) qui, sous ce titre, avait naguère très bien résumé successivement "une triple problématique", "trois pièges à éviter", "trois programmes à mener" et "une triple exigence". J'en retiens le rappel que les bibliothèques n'ont pas à se substituer aux organismes sociaux ou éducatifs, qu'elles doivent éviter "les rêves pédagogico-culturels" et rester modestes.

    Elles doivent aussi réorienter leur offre documentaire. En effet, après avoir mieux balisé ce terrain et rencontré les partenaires adéquats, les bibliothèques devraient mieux faire connaître leurs propres ressources, mais aussi adapter celles-ci à la demande.

    Parallèlement, on doit souhaiter que soit développée une formation des éducateurs dans le domaine de la lecture et de l'écriture où ils ont, semble-t-il, des pratiques un peu réductrices. Mais comment organiser cette formation, et par qui l'assurer et la financer ?

    Bibliothèques et éducation autodidacte

    Il n'est pas toujours aisé de distinguer le public de la "formation continue" ou "permanente" et celui de l'autodidaxie. Convenons donc que ce dernier se définit par sa non-appartenance à toute structure éducative ou de formation, et par sa démarche complètement individuelle, donc volontaire. L'autodidacte se présente seul face à la bibliothèque, sans l'intermédiaire d'un éducateur, d'un animateur, d'un employeur, etc. Par définition, son parcours est atypique.

    Quant à la bibliothèque, elle se trouve seule aussi, face à un public sans références, non-institutionnel, sans partenaires attitrés pour co-gérer le problème, partager la responsabilité et la tâche.

    Seule donc. Certes, mais face à ce qui est tout de même une composante essentielle de sa mission permanente et universelle : la participation au combat pour l'égalité des chances et contre les exclusions. Force est donc de se demander si, dans les bibliothèques telles qu'elles sont organisées actuellement, les autodidactes trouvent bien leur compte : ne risquent-ils pas, au contraire, d'en être totalement exclus ?

    Les bibliothèques peuvent-elles accueillir correctement des autodidactes, alors que ceux-ci ont fréquemment besoin de catégories d'ouvrages et de documents complètement atypiques par rapport aux collections que les bibliothèques ont l'habitude d'acquérir ? Par exemple des petits ouvrages pratiques, des encyclopédies à 6 francs pièce qui, lorsqu'ils sont épuisés, sont également introuvables dans les catalogues collectifs et dans le circuit du PEB. Constituées par des ouvrages signalés par les critiques, ou correspondant à la demande majoritaire, les collections des bibliothèques publiques ne sont le plus souvent guère adaptées à la demande autodidacte, non légitime. La production éditoriale, non plus, est-il utile de préciser.

    L'évolution technologique actuelle des bibliothèques, à base de catalogues en réseau, d'indexations normalisées et d'instruments de plus en plus sophistiqués, s'éloigne de plus en plus, elle aussi, des besoins des autodidactes, pour lesquels une grande simplicité, un grand dépouillement sont de mise. Il est frappant de constater que, contrairement (là encore) à une idée reçue, les anciens fichiers, ceux de la première moitié du XXe siècle, constitués de notices sommaires, étaient beaucoup mieux conçus à l'intention des autodidactes que ceux de la seconde moitié du siècle.

    Quant à nos locaux, on peut se demander si, malgré leur fonctionnalité de plus en plus raffinée et leur magnificence, ils sont vraiment adaptés à une telle diversification des publics. Peut-on à la fois être bibliothèque universitaire et être un lieu où les autodidactes sont à l'aise et voient leurs besoins spécifiques et individuels pris en compte ? Beaucoup de bibliothécaires répondent aujourd'hui par l'affirmative, et sont prêts à donner des preuves concrètes. Par exemple, à tel endroit, un "coin" pour les autodidactes. D'autres n'ont pas les mêmes certitudes.

    Certains disent encore : "craignons la segmentation abusive des publics : se préoccuper des personnes en insertion ne signifie ni abandon des autres publics, ni création d'une "section" spécialisée. Ces deux attitudes ne peuvent aboutir qu'à accentuer l'exclusion des publics désirés" (B. Calenge, art. cité).

    Ce qu'on peut se demander aussi, c'est si la formation des bibliothécaires les prépare bien à faire face à ces exigences. Et non seulement la formation actuelle, d'ailleurs, mais encore plus la formation future, notamment celle des conservateurs.

    Nous sommes à une nouvelle croisée des chemins (une de plus ! ), où il s'agit encore de maîtriser des données et des aspirations contradictoires. On peut, en effet, adhérer très fortement au principe énoncé par Michel Melot : il n'est pas de l'intérêt des personnels des bibliothèques de se laisser enfermer dans des filières trop spécifiques et aux effectifs trop restreints. On peut adhérer à cela, qui est de grande logique et de grand bon sens, et se poser la question suivante : comment rapprocher les conservateurs des documentalistes et des enseignants-chercheurs, tout en les préparant à maîtriser toute la demande du public de la formation continue et du public autodidacte ? La seule réflexion où la préoccupation pour ces publics peut éventuellement trouver une place, c'est celle que la Direction du Livre et de la lecture conduit (en liaison avec le CNFPT) sur la future formation des bibliothécaires territoriaux. Mais cette réflexion ne se verra-t-elle pas précisément reprocher de participer à l'enfermement d'une catégorie, de contribuer à maintenir, voire à élargir le fossé entre les professionnels des bibliothèques et ceux de la documentation ?

    On s'en doutait un peu. Non seulement le thème "Education et bibliothèques" est loin d'avoir été épuisé par les discussions d'Arles et les réflexions ci-dessus, mais il nous ramène une fois de plus dans les débats éternels de la formation, de l'identité professionnelle, au grand risque de nous y égarer...

    1. "Les réponses en termes de moyens et de structures". retour au texte

    2. Ecole : le temps des partenaires, Centre National de documentation pédagogique, "Migrants-formation", n' 85, juin 1991. retour au texte

    3. Conseil supérieur des bibliothèques, inspection générale des bibliothèques, Sous-direction des Bibliothèques à la DPDU, Direction du Livre, observatoire des pratiques culturelles Rhône-Alpes, agence régionale de coopération ACCES. Ces trois dernières instances ont entrepris chacune une étude sur le sujet, dans leur champ de compétence propre. retour au texte

    4. Françoise KLETZ, "La lecture des étudiants en sciences humaines et sociales à l'université" in Cahiers de l'Économie du Livre, n' 7, mars 1992, p. 5-57. retour au texte

    5. Intervention de Jean-Noël SOUMY (DRAC Midi-Pyré-nées) au Colloque "BCP-Écoles" , Association des directeurs de BCP, 16-18 octobre 1989. Compte-rendu dans Transversales, n° 12, décembre 1989. retour au texte

    6. Note du Directeur des Écoles au Président du Conseil supérieur des bibliothèques sur les dispositions de la Chartes des bibliothèques relatives aux bibliothèques des établissements scolaires, juillet 1991 (document non diffusé), retour au texte

    7. Intervention de Patricia HALUSKA (coordinatrice des activités Lecture-écriture en ZEP à Dammarie-les-Lys) au Forum des bibliothèques de Seine-et-Marne : "Biblio-thèques et écoles, des partenaires pour la lecture", Melun, 26 septembre 1991. retour au texte

    8. Ces remarques ne s'adressent pas aux bibliothèques de Berre l'Étang, Bobigny, Bron, Gardanne, Grenoble, Toulouse-Empalot et... un nombre respectable d'autres, à qui elles n'apprendront rien retour au texte

    9. Groupements des établissements d'appui. retour au texte

    10. Voir par exemple l'expérience de la Petite Couronne (dans Actualité de la Formation permanente, n° 96, juin 1988, article de Claudie TABET) et celle de Gardanne (relatée au Colloque d'Arles sur "les nouveaux territoires de bibliothèques" en décembre 1989, et dans La Gazette du 13.1990). retour au texte

    11. Bertrand CALENGE, "Saône-et-Loire : accueil des personnes en insertion professionnelle", in Ministère de la Culture, etc. Direction du Livre et de la Lecture. Bibliothèques publiques et illettrisme, Paris, 1989, P. 26-28. retour au texte