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    Présentation du thème

    Par Jean-Claude Annezer, Président de la Section B. U. B.L.U. de Toulouse

    Rappel de quelques exigences minimales

    Après le congrès de Dijon j'avais essayé de préciser quelles me semblaient être les exigences minimales pour la cohésion de celui d'Arles, même à évoquer la douce certitude du pire (cf. Bulletin n° 152).

    Aujourd'hui, nous avons l'occasion de nous rencontrer, d'échanger, de débattre durant trois jours et aussi de nous reconnaître autour d'objectifs clairs : n'y va-t-il pas de notre identité et de notre unité professionnelles ? Cette séance d'ouverture est un moment important. Chacun doit se sentir concerné et motivé. Il me revient de situer le thème de notre congrès, d'en préciser les objectifs et les articulations.

    Le rôle des modérateurs consistera justement à favoriser et à réguler les échanges avec souplesse et sans dérive afin de maintenir de cohésion de notre assemblée, quand bien même, les échanges pourraient être vifs et les débats houleux.

    Présentation du programme

    Cette séance d'ouverture devait être assurée par M. Pascal Ory. En historien éclairé, il aurait sans doute abordé de façon originale, les idéologies qui se sont développées autour de l'éducation et des bibliothèques. Malheureusement il n'a pu être des nôtres, pris par ses obligations au cabinet du Ministre.

    Je vous propose donc d'aborder le thème sous deux angles : celui de la problématique des discours sur la lecture (approche historique) ; c'est Jacqueline Gascuel qui va s'en charger. Nous connaissons tous l'intérêt qu'elle porte à l'analyse et à l'histoire de nos pratiques professionnelles et je la remercie d'avoir accepté de préparer en si peu de temps, son intervention.

    Quant à moi, j'ai choisi l'angle de l'analyse un peu théorique, pour dégager quelques constantes. Sans doute manque-ra-t-il à nos interventions de ce matin, l'érudition et l'éloquence de l'historien. Mais, même en prenant le risque d'être maladroits, nous voulons d'entrée de jeu faire progresser la réflexion.

    Quatre temps rythmeront ensuite le développement du thème :

    • Responsabilités institutionnelles et réseaux, par Jean-Marie Privat et Huguet-te Rigot ;
    • Objectifs communs : transmission et reproduction des savoirs, par Jean-Louis Fabiani et Claudine Belayche ;
    • Les outils techniques et les savoir-faire, par Gérard Losfeld et Pascal Sanz ;
    • Les réponses en termes de moyens, d'aptitudes et de structures (formations, équipements, déontologie, culture professionnelle...), par Jean Goasguen et Françoise Danset.

    Eléments d'analyse des logiques et des stratégies de l'éducation et des bibliothèques

    Je voudrais commencer par dégager quelques évidences simples : éducation et bibliothèque ont à faire avec les réalités de la communication et partant, de la réception. Il y a là, en même temps, des concepts, des techniques et tout un faisceau d'idéologies. Il y a là une organisation, un système et aussi des enjeux sociaux et politiques liés aux lieux, aux temps et aux personnes. Education et bibliothèque se situent d'emblée dans un lieu politique : une société qui se structure ou se défait avec comme caractéristiques majeures, un économisme ambiant (critères quantitatifs) et une crise spirituelle et morale (effritement des valeurs, déchirure du tissu social, vacillement des dispositifs éducatifs et culturels...autant de symptômes que d'alibis) avec tout un jeu de retouches conjoncturelles et un enchevêtrement de significations sociales.

    Education et bibliothèque sont aussi un programme et un projet qui fonctionnent à l'intérieur d'un espace de légitimité (réglementation, service public, options politiques...) et aussi dans ses marges (une sorte d'espace d'utopie où tous les possibles sont ouverts).

    Ainsi éducation et bibliothèque sont-elles soumises à des exigences et à des prétentions dont les bases semblent aujourd'hui confuses et même contradictoires (cf. les travaux de Pierre Bourdieu). Des forces contraires sont à l'oeuvre en chacune d'elles : laïcisation et conservatisme, fonction communautaire et élitisme... Même s'il y a une indéniable progression, il y a aussi un principe de fermeture qui est à l'oeuvre : à peine un horizon est-il ouvert qu'il est immédiatement assombri ! Des malentendus persistent, mais laissent espérer un renouvellement du regard.

    Les réflexions sur l'éducation procèdent rarement d'une définition de l'éducation ; elles sont généralement commandées par des considérations "idéologiques" à l'intérieur desquelles elles se trouvent prises. L'éducation, dans ses modalités comme dans ses motivations est un choix : des connaissances et des pratiques font l'objet d'enseignement ; mais pourquoi ces connaissances et ces pratiques là ? La réponse est souvent : parce qu'elles conviennent aux élèves que l'éducation s'efforce de former !

    Pourquoi ? En fin de compte, en s'inspirant d'un idéal. Et cet idéal est le corrélat d'un certain nombre de jugements de valeur, liés eux-mêmes, à des facteurs politiques, philosophiques, religieux, économiques...

    Si l'on examine l'histoire, on s'aperçoit que tous ceux qui ont prétendu oeuvrer à des transformations politiques les ont accompagnées de profondes modifications éducatives : du système de la Grèce antique à notre Ve République en passant par l'Eglise, qui pendant des siècles a été la "grande enseignante" en Occident, la philosophie des lumières (cf. la postérité de Rousseau) et le renouvellement de la pensée pédagogique et des sciences de l'éducation au cours des dix dernières années.

    Aujourd'hui, quand nous scrutons les champs culturels et éducatifs, nous assistons (et nous participons) à un envahissement qui se nourrit de ses effets : la communication (cf. les travaux de Lucien Sfez). On l'a vu se développer dans les entreprises, les organisations. On la voit se mêler de régler les rapports intersubjectifs, les échanges culturels et l'éducation. Il faut communiquer ! Sans finalité autre que cette communication sociale généralisée ! Le message c'est le médium.

    Les nouvelles techniques de communication et les nouveaux modes de transmission des savoirs (réseaux câblés, diffusion de masse, banques de données, CD Rom...) engendrent de nouvelles relations sociales : à mesure que la masse d'informations s'accroît, les relations entre individus décroissent. Nous sommes dans une fausse "convivialité", une communion vide et opacifiée. La logique qui structurait les anciens savoirs semble se défaire. La distribution de la communication augmente mais sa réalité diminue (cf. les travaux de M. de Certeau et L. Giard). Les certitudes qui ont sous-tendu la politique éducative depuis une quinzaine d'années sont ébranlées. Nombreux sont les livres et les articles qui déplorent la dégradation du système éducatif. Ils ont même eu quelque succès de libraire ! (de J.C. Milner à J. de Romilly en passant par M. Maschino et le duo Hamon/Rotman). Ce qui est en cause c'est la nature propre de l'éducation comme institution : elle transmet des savoirs et sans elle ils ne seraient pas transmis ; mais qui légitime ces savoirs ? Les postulats de la pédagogie d'aujourd'hui sont mis à mal. La morosité et la lassitude ne s'expliquent que superficiellement par la désuétude, l'inadaptation des programmes et des matières enseignées. Certains vont jusqu'à penser que le système scolaire dévoile sa vérité de fabrique de chômeurs ! De plus il semble tenir un double discours : celui des intentions, qui déclare rechercher l'égalité des chances, l'originalité personnelle et la promotion de l'esprit critique, et celui des pratiques, qui entretient l'inégalité socio-culturelle, fût-ce de façon détournée. Ajoutons à cette contradiction la contrainte budgétaire : c'est elle qui pilote la politique éducative. Le financement constitue l'outil privilégié du remodelage de l'appareil éducatif. Mais n'en restons pas à ce contrat désenchanté.

    Dans la diversité de nos situations professionnelles, nous participons tous à ce système de communication. Les difficultés et les chances ne tiennent-elles pas avant tout de ce qu'on attend désormais davantage ? Si les dispositifs institutionnels sont fragiles et menacés, ils sont aussi perfectibles. L'effritement des logiques de structuration ne produit-il pas de nouveaux enjeux et de nouveaux défis ? (cf. la politique contractuelle des universités, schéma Université 2 000, pôles européens...).

    Les conditions de la qualité de la communication ne dépendent-elles pas de notre activité de médiation ? Educateurs nous le sommes, que nous soyons enseignants ou bibliothécaires. Nous essayons d'être des intermédiaires, des "embrayeurs", des opérateurs de circulation des savoirs afin que ceux qui les reçoivent puissent se les approprier et les transformer. En "agents de liaison" éveillés et lucides nous tentons de rassembler, d'organiser et de gérer les savoirs pour permettre aux autres (l'enfant, le jeune, l'adulte, l'étudiant, le chercheur, le tout venant) de s'en servir.

    Si l'avenir est du côté de ceux qui travaillent, réfléchissent et regardent un peu au-delà des statu quo, nous sommes à coup sûr de ceux là.

    Puisse ce congrès nous donner l'occasion de le prouver.