Pour accompagner l'exposition consacrée au cinq centième anniversaire du premier livre publié à Lausanne, cinquante "gens du livre" se sont unis pour produire un remarquable ouvrage embrassant toutes les activités suscitées par la presse à imprimer dans le pays de Vaud.
Silvio Corsini, conservateur de la réserve précieuse de la Bibliothèque cantonale et universitaire, et directeur de l'entreprise a consacré la première place à l'histoire même du livre imprimé dans une ville que l'éclat de l'édition à Genève ou à Neuchâtel a longtemps maintenu dans l'ombre. C'est d'ailleurs à partir de Genève que les premières tentatives furent faites, le plus souvent par des réfugiés français pour cause de religion, à commencer par Jean Belot, venu de Rouen, imprimeur-itinérant - en 1493, du Missale ad usum Lausannensem. Puis au XVIe siècle, ce furent Jean Rivery, originaire de Vendôme, les frères Lepreux, Antoine de Marcilogia (Massillargues ?) qui tentèrent de contourner la forte concurrence sur la place de Genève en implantant une imprimerie à Lausanne, mais "Messieurs de Berne" ne firent rien pour encourager une telle activité chez les vassaux vaudois. C'est seulement en 1652 qu'avec les Gentil, venant bien entendu de Genève, que l'imprimerie est durablement installée à Lausanne. Au siècle suivant - un petit âge d'or pour l'imprimerie lausannoise, écrit S. Corsini - il faut se défier des localisations fictives : neuf éditions "à Lausanne" de l'Ingénu, de Voltaire sont en réalité parisiennes ; une seule est lausannoise ; elle porte "à Utrecht". Au XIXe siècle se situe vraiment la rencontre du public vaudois : les Etrennes helvétiennes et patriotiques paraissent depuis 1783. La Société de Bible fondée en 1814, la Société des traités religieux de Lausanne, en 1827 connurent une activité intense liée au Réveil, mais aussi importantes sont les collections populaires, les almanachs, l'édition régionaliste et scolaire. Les guerres mondiales, ralentissant ou interrompant l'arrivée des livres édités à Paris, vont au XXe siècle susciter ou développer la création littéraire locale de haut niveau, et l'édition d'art originale. Les échanges avec la France vont désormais dans les deux sens, comme en témoigne l'implantation à Paris en 1923 d'une succursale de la librairie Payot établie à Lausanne en 1875, et en 1951 le transfert de Paris à Lausanne des éditions Albert Skira. La réputation des éditions Spes et des clubs comme la Guilde du livre et Rencontre a très vite traversé le Jura.
Un important chapitre est consacré à la presse qui fait une apparition éphémère en 1737 avec une Gazette du commerce et devient suivie à partir de 1762 avec la populaire Feuille d'avis de Lausanne. Un quotidien naît de l'agitation révolutionnaire en 1 798 ; il vivra 6 ans : c'est la future Gazette de Lausanne, qui, bien vite imitée, paraît chaque jour depuis 1856. De même que Londres aura le Punch, the London Charivari, Philippon a un émule à Lausanne en la personne de J.P. Luquiem qui lance en 1839 le Charivari vaudois.
Il faudrait mentionner encore les chapitres sur l'édition musicale, les papeteries vaudoises, la vie des imprimeurs et leurs luttes syndicales, la reliure d'art, la police du livre et la censure (qui disparaît dès 1 832), les librairies. Nous nous en voudrions de ne pas signaler les trop courtes pages sur la librairie ancienne (avec Rauch et Bridel, illustrant aujourd'hui un secteur où rayonna le réputé bibliographe F.C. Lonchamp) et sur les bibliothèques privées ou publiques où, en conclusion, S. Corsini suggère des axes de recherches à entreprendre.
Est-il besoin de vanter la somptueuse mise en page, la parfaite lisibilité de l'ouvrage, l'originalité et la richesse de l'illustration en couleurs (fac-similé de pages de titres, affiches, journaux, portraits, étiquettes de librairies...) ? L'index des noms cités est précédé d'un précieux répertoire alphabétique des éditeurs et imprimeurs lausannois avec leurs dates d'activité.
La conclusion s'impose : un tel livre doit inspirer des monographies aussi complètes sur leur ville à tous nos collègues soucieux d'une vision globale de l'imprimé dans le tissu local pour épauler les monumentales histoires récentes du livre et des bibliothèques en France.